Préambule : Par où tout commence.

« Ma vie n'a été qu'une vaste mascarade. J'ai été un patin pendant des années, et le jour où j'ai appris la vérité, je suis devenu un imposteur. »

Harry Potter, derniers mots.


Godric's Hollow, le samedi 31 octobre 1981.

La nuit était tombée depuis plusieurs heures déjà, mais la rue baignait dans la lumière jaunâtre des lampadaires.

À voir les façades blafardes des petites maisons résidentielles, on aurait cru tout le quartier endormi. Pourtant, à y regarder de plus près, on pouvait constater que de l'une des fenêtres, un faible halo lumineux filtrait à travers les épais rideaux.

Une pièce de cette maison était en effet éclairée. Le jeune couple qui y habitait s'était confortablement installé dans son salon après le repas.

Il s'agissait du couple Potter. James et Lily, tous les deux très jeunes.

Mr Potter, dans son fauteuil, lisait un livre. Sur la couverture de cuir était inscrit « Un chant de Noël, par Charles Dickens ». Tenant le volume de sa main gauche, il caressait pensivement son menton de sa main droite. Régulièrement, il hochait la tête en signe d'approbation à ce qu'il lisait, ou se grattait le crâne au travers de son épaisse chevelure noire en bataille.

Mme Potter, assise en tailleur sur le tapis, lisait elle aussi ; mais il s'agissait d'un livre pour enfant comportant d'épaisses pages en carton, et elle lisait à haute voix pour leur fils Harry, âgé d'à peine plus d'un an, installé dans son giron. Assise ainsi, sa longue crinière rousse touchait presque le sol.

Le petit garçon était ravi : il frappait dans ses mains, attrapait les grosses pages pour les tourner avant que sa mère n'ait fini de les lire, et régulièrement pouffait ou partait en un éclat de rire enfantin qui ressemblait presque à un gargouillement.

James Potter baissa alors son livre.

« Encore ces histoires de moldus ? s'offusqua-t-il faussement et alors même qu'elle lisait depuis un bon quart d'heure. Et pourquoi pas les contes de Beedle le barde ? Ce serait bien plus adapté pour un futur grand sorcier. »

Lily Potter ne put s'empêcher de sourire.

« Ce que tu peux être bête quand tu veux ! lança-t-elle affectueusement.
– Quoi ? Tu contestes le fait que notre fils sera un grand sorcier ? demanda-t-il malicieusement. »

Lily éclata de rire.

« Ne fais pas celui qui ne comprend pas : je te parlais des histoires de moldus – comme celle que tu lis en ce moment, d'ailleurs. Je te rappelle que j'ai été élevé avec ça, et je pense que notre fils gagnera à être nourrit de nos deux cultures, parce que… »

Mais, devant le sourire goguenard de son mari, elle comprit qu'il ne faisait que la taquiner et reprit sa lecture à haute voix.

La vieille horloge sonna.

« Déjà onze heures ? s'écria Lily en regardant les aiguilles d'étain. Mais il est grand temps d'aller coucher ce petit bonhomme ! »

Elle posa le livre sur une table basse, et prit l'enfant dans ses bras.

« N'est-ce pas monsieur Harry qu'il est temps d'aller se coucher ?
– Nan ! » répondit-il avec affront, faisant sourire son père qui arrêta sa lecture pour assister à la scène.

Le petit garçon secouait la tête en signe de dénégation.

« Allons allons, reprit Lily. S'il ne dort pas assez, il sera grognon demain. »

Cela ne sembla pas le convaincre.

« Si tu es sage, dit-elle, tu auras droit à une autre histoire, là-haut. »

Un large sourire illumina alors le visage de Harry, qui se mit debout en s'aidant de ses mains et se précipita vers l'escalier d'un pas mal assuré mais étonnamment rapide.

Ses parents le regardèrent faire avec amusement et tendresse, puis sa mère se leva et alla empoigner Harry, qui tentait déjà d'escalader l'escalier pour atteindre sa chambre.

« J'ai bientôt fini, annonça alors James sans lever les yeux de son livre. Je viendrai l'embrasser une fois qu'il sera au lit. »

Lily disparut alors dans les escaliers avec son fils, et le bruit de ses pas commença à se faire entendre au travers du plancher de l'étage.

Quelques instants plus tard, on frappa trois grands coups à la porte. Mr Potter posa son livre en fronçant les sourcils : il n'attendait aucune visite, qui cela pouvait-il bien être ? Habituellement ses amis le prévenaient avant de passer…

Il se leva et, dans le doute, sortit sa baguette : en ces temps troublés, il fallait être sur ses gardes et être prêt à parer à toute éventualité. D'un pas prudent, il se dirigea vers la porte.

Il ouvrit.

« Vous ?! » s'écria-t-il en écarquillant les yeux.

Il eut un mouvement de recul, et une haute silhouette en profita pour entrer dans la maison.

« Comment nous avez-vous retrouvé ? cracha James en serrant les dents, un air de rage sur le visage.
– Peu importe » répondit calmement l'homme en abaissant son capuchon, dévoilant ainsi un visage fatigué au teint cireux.

James recula encore un peu, préférant mettre de la distance entre lui et le grand homme ; celui-ci n'avança pas plus.

« Je vendrai cher ma peau, cracha James.
– Je n'en doute pas » répondit l'homme.

Des pans de sa robe, il sortit alors une longue baguette en bois d'if, qu'il pointa vers le cœur de James.

« Finissons-en. »

Une vive lueur verte jaillit de l'extrémité de la baguette et fendit l'espace en direction de James. Celui-ci balaya l'air avec la sienne, et le sortilège de mort se dissipa comme de la fumée. Aussitôt il riposta ; son adversaire ne fit pas un geste pour tenter de le parer, mais le jet de lumière le frappa sans rien lui faire.

« Tu es faible, Potter, commenta l'homme. Bien trop faible pour survivre face à moi. »

Alors il lui envoya une succession de sortilèges, que James réussit cependant à tous parer ou esquiver. Nombres d'entre eux se dissipèrent, mais certains rebondirent et vinrent frapper les murs, fracassant les meubles et faisant voler en éclat les bibelots et les cadres photos. James, dès qu'il le pouvait, tentait une riposte ou une contre-attaque, mais toutes restaient vaines : ses ripostes touchaient leur cible mais s'avéraient sans effet, et ses contre-attaques se brisaient contre les sorts bien plus puissants de son adversaire.

L'échange continua un moment, transformant petit à petit le salon en un champ de ruine, mais alors que son adversaire restait impassible, James devait fournir d'importants efforts pour ne pas être touché, et il commençait à fatiguer. Rapidement, il arrêta d'essayer de jeter des sorts, car éviter ceux de son adversaire était déjà trop épuisant pour lui.

« Hum, tu es plus coriace que je ne l'aurais cru… lâcha l'homme en cessant de faire pleuvoir les sortilèges. Mais cela reste évidemment insuffisant. »

Il leva bien haut sa baguette, et un torrent de magie en sortit pour déferler sur James Potter. Celui-ci contre-attaqua immédiatement, et les deux jets de lumière se heurtèrent de plein fouet, éclaboussant la pièce entière de dards magiques qui brisèrent, brûlèrent et broyèrent tout ce qui se trouva sur leur chemin.

L'homme, sans effort, accentua la pression de son sortilège. James commença à perdre du terrain, et il sentit ses forces le quitter à une vitesse folle, comme si son énergie vitale s'échappait par tous les pores de sa peau en même temps.

Tout à coup, il ne fut plus capable de maintenir son sortilège. Son jet de lumière s'évapora, et le trait adverse le transperça au niveau de l'abdomen, provoquant une douleur similaire à celle d'un violent coup de poignard. Il sentit sa respiration se bloquer et ses jambes cédèrent sous lui. Il s'écroula lourdement, et fut alors pris de convulsions : ses yeux se révulsèrent, et son corps entier s'agita nerveusement.

Autour de lui, les images et les sons se brouillaient. Ses bras et ses jambes étaient pris de violents soubresauts, et tous ses muscles semblaient vouloir se contracter en même temps. Puis ses idées se mélangèrent dans son esprit, le rendant incapable de rester conscient plus longtemps de ce qui lui arrivait. De la bave sortit de sa bouche, formant de l'écume au coin de ses lèvres. Puis soudain il s'arc-bouta violemment, poussa un râle et s'immobilisation complétement.

Sans même un regard en direction de sa victime, l'homme s'avança en direction de l'escalier. L'enfant était en haut, il le sentait.

Il gravit les marches d'un pas lent et assuré, déjà certain de sa victoire.

Dans la chambre, Lily avait tout entendu mais n'avait pas été capable d'esquisser le moindre geste de fuite. Lorsque la haute silhouette noire entra, elle était assise par terre, et serrait Harry dans ses bras ; ce dernier ne semblait pas comprendre ce qui se passait. Des larmes coulaient sur les joues de la jeune femme, et ses yeux étaient déjà rougis.

« Tuez-moi si vous le voulez, mais épargnez mon fils, je vous en supplie…
– Je ne peux pas : je suis venu pour lui.
– Quoi ? s'écria-t-elle horrifiée. Mais pourquoi ? Pourquoi lui ? Je ne comprends pas… »

Elle éclata en sanglot, et les pleurs s'intensifièrent au point que le maquillage de ses yeux fut emporté par ses larmes, noircissant ses pommettes et ses joues. Manquant d'air sous le coup de l'émotion, elle renifla et souffla bruyamment, faisant couler de la morve jusque dans sa bouche.

L'homme grimaça. Le pitoyable spectacle qu'offrait Lily le dégoûtait.

« Allons, écartez-vous, ordonna-t-il. J'ai promis de vous épargner.
– Non ! Non ! hurla-t-elle en sanglotant. Je ne vous laisserai pas lui faire du mal !
– Allons, soyez raisonnable, reprit calmement l'homme. Vous ne pouvez rien contre moi, et quoi qu'il arrive, votre fils sera mort dans quelques instants. Vous ne pouvez déjà plus rien pour lui, alors que vous, vous pouvez encore décider de vivre.
– Eh bien je préfère mourir avec lui que vivre sans lui ! » hurla-t-elle en crispant plus fermement encore ses bras autour de Harry.

L'homme ne répondit pas immédiatement. Il semblait réfléchir. L'idée que venait d'exprimer Lily lui paraissait parfaitement inconcevable.

« Soit. »

Il leva sa baguette magique. Une expression d'effroi passa sur le visage de Lily Potter.


Little Whinging, le mardi 3 novembre 1981.

Lorsque Vernon Dursley rentra chez lui ce soir-là, il faisait déjà nuit ; il rentrait pleinement satisfait d'une journée de travail efficace.

Il se gara dans la petite allée en un bruissement de gravier, et sorti de la voiture en sifflotant. Le jeune homme de vingt-six ans avait une allure très classique : il portait une large moustache fournie et un costume impeccable. Il était par ailleurs grand et massif, et avait cette particularité de n'avoir presque pas de cou.

Le couple Dursley formaient un couple d'une banalité sans nom. Tant mieux pour eux, d'ailleurs, puisque c'était exactement ce qu'ils avaient décidé dès leurs fiançailles : être une famille sans histoires, une famille qui n'attire pas les regards sur elle pour quelque raison que ce soit. L'idée même qu'ils puissent sortir du lot à cause d'une originalité quelconque les horrifiait. Pour cette raison, ce que tout le monde faisait, ils le faisaient, et ce que personne ne faisait, ils s'abstenaient de le faire. Cette philosophie de vie leur permettait une grande tranquillité, mais rendait leur existence horriblement monotone.

Vernon espérait pouvoir mettre les pieds sous la table sitôt le seuil franchi, mais en ouvrant la porte d'entrée, aucun parfum de cuisine n'atteignit son nez. Il accrocha son manteau puis se dirigea vers le salon en fronçant les sourcils, perturbé par cet événement inhabituel.

Il y trouva sa femme sur le canapé, le regard perdu dans le vide.

C'était une grande femme mince portant des cheveux blonds, et à l'opposé de son mari, elle possédait un cou étonnamment long.

« Qui y a-t-il, ma chérie ? Tu n'as pas l'air bien… »

Pétunia tourna la tête vers lui.

« C'est ma sœur et son mari… » commença-t-elle.

Vernon grimaça : il détestait son excentrique belle-sœur et son dérangé de mari. C'étaient de parfaits originaux, et il ne supportait pas les gens incapables de rentrer dans le rang. Il avait rapidement refusé d'avoir le moindre contact avec eux, et Pétunia elle-même, qui appréciait peu son beau-frère, n'avait plus avec sa sœur la complicité qu'elles avaient étant enfants. De ce fait, les deux couples n'avaient que très peu de contact. En fait, Vernon ne les avait pas vus depuis leur mariage, plus d'un an auparavant, et ne s'en portait pas plus mal. Ils s'étaient en effet sentis obligés d'assister à ce mariage, mais l'avaient par la suite regretté : ils l'avaient extrêmement mal vécu, car la plupart des invités ne valaient pas mieux que les Potter.

Vernon appréhenda donc la suite : qu'avaient-ils bien pu faire encore, ces deux-là ? Qu'avaient-ils bien pu faire pour attirer l'attention sur eux ? Il s'attendait à tout, sauf à ce qui allait suivre.

« Ils sont morts », annonça sa femme.

Vernon s'assis à côté de Pétunia, accusant le coup.

« Mais que s'est-il passé ? demanda-t-il en abandonnant d'un coup toute l'antipathie qu'il avait pour eux.
– C'est la police qui m'a téléphoné tout à l'heure. Apparemment, il y a eu un problème avec leur cheminée, et ils ont inhalé je ne sais quoi de toxique. Ils sont morts asphyxiés dans leur salon, dimanche soir… C'est un voisin qui les a trouvé hier matin. »

La gorge de Vernon se serra. Quelle horrible fin, pensa-t-il. Même s'il avait toujours été convaincu que ces gens-là étaient un danger pour le bon ordre, leur disparition ne le réjouissait pas le moins du monde.

Des larmes commencèrent à couler sur les joues de Pétunia. Même si depuis des années, ses seuls échanges avec elle s'étaient limités à quelques brefs appels et à des cartes postales, Lily restait sa sœur.

« Et leur fils, Harry ? demanda Vernon d'une voix peu assurée. »

Vernon savait, grâce au faire-part, qu'un enfant était né un peu moins de neuf mois après le mariage (trop tôt à son goût : l'enfant avait très certainement été conçu avant, et avait peut-être même été la cause du mariage).

« Il était dans sa chambre, alors il n'a pas été intoxiqué, déclara Pétunia. »

Elle se retourna vers son mari et le regarda droit dans les yeux, d'un air suppliant.

« Il n'a personne d'autre que nous désormais, Vernon, il faut que nous nous occupions de lui ! »

Vernon se releva d'un air horrifié.

« Quoi ? Mais… James n'avait aucune famille, aucun cousin qui soit l'un des leurs, et qui pourrait le prendre ? Il est trop différent de nous, Pétunia ! S'il est à moitié aussi étrange que ses parents, comment pourrions-nous l'élever ? Je ne me sens pas le moins du monde capable de m'occuper d'un enfant ayant ce genre de… capacités. »

Pétunia renifla bruyamment, puis essuya ses larmes d'un revers de main.

« Non, il n'a personne d'autre. Le policier qui a appelé a dit qu'ils n'avaient trouvé que nous. »

Elle lui prit les mains et le regarda droit dans les yeux.

« Son état n'est pas une fatalité, tu sais : nous pourrions l'élever normalement, il n'est pas trop tard pour cela, et nous pourrions en faire quelqu'un de tout à fait comme il faut.
– Tu crois que cela est vraiment possible ? demanda Vernon, peu convaincu.
– Oui : ma sœur était tout à fait normale avant qu'elle ne fréquente cette « école » qu'ils ont. Ce n'est qu'à partir de son entrée là-bas qu'elle est devenue bizarre. »

Les époux restèrent un petit moment assis côte à côte, perdus dans leurs pensées respectives. Puis des bruits de pas se firent entendre, et un petit garçon d'environ deux ans et demi entra dans le salon, manifestement inquiet. Il portait une grenouillère et pour son âge était déjà assez grand et potelé. Il regarda ses parents un moment, ne comprenant pas ce qui leur arrivait, puis poussa un long geignement larmoyant. Pétunia, comme par automatisme, se leva, et vint prendre l'enfant dans ses bras pour le réconforter.

« Je vais aller le recoucher. »

Et elle sorti du salon. Vernon entendit ses pas résonner dans l'escalier et, encore sous le choc, il crut les entendre résonner dans son crâne. Lorsqu'elle fut en haut, il commença à réfléchir à ce qu'il fallait faire.

Après avoir analysé toutes les solutions qui s'offraient à eux, il en arriva à une conclusion : il fallait qu'ils prennent Harry. S'ils ne le faisaient pas, il irait sans doute dans un orphelinat, ou serait placé dans on ne sait quelle famille d'accueil. Il n'aurait pas voulu que cela arrive à son fils si lui-même venait à mourir d'une manière ou d'une autre, alors Vernon ne voyait pas au nom de quoi il ferait subir cela à son neveu…

Pétunia revint dans le salon. Elle ne pleurait plus, mais ses traits restaient tirés, et ses yeux rougis.

« J'ai bien réfléchit, annonça Vernon. Je suis d'accord pour que l'on prenne Harry avec nous. »

Pétunia sourit timidement.

« C'est formidable, Vernon » dit-elle avec émotion.

Il prit alors sa femme dans ses bras : elle avait sans doute plus besoin d'être consolée que leur fils.

« Nous ferons tout notre nécessaire pour qu'il soit aussi normal que nous, dit-il. Nous l'élèverons comme Dudley, et tout ira bien. »


« Comprenons-nous bien : si l'on m'a appelé au pouvoir pour que je m'occupe de cette guerre civile – n'ayons pas peur des mots, c'était une véritable guerre – alors il est normal que je m'en aille une fois celle-ci définitivement terminée. […] Il y a eu, si je ne m'abuse, près de cinq cents morts durant ces quelques tristes années, et des milliers d'exactions criminelles diverses. Et pour cela, justice a été faite : nous avons décapité pas loin de trente des pires scélérats de cette sombre période, et nous en avons emprisonnés au moins deux cents. »

Dugald McPhail, extraits de son discours de démission du poste de ministre.


Version 2 du 8 novembre 2014.

(Version 1 le 31 octobre 2014.)