[Règle n°22 – Se déchaîner]


Bien le bonjour ! Comment allez-vous ? Bienvenus à ce dernier chapitre de Can't be friend with you, qui marque également l'ouverture prochaine du tome deux de Not Friends !

J'espère qu'il vous plaira, bonne lecture !


« La solitude et la souffrance qu'elle apporte…
le sentiment d'être incomplet…
Je sais ce que tu ressens au point d'en avoir mal moi-même »


Dire que Naruto était énervé était un euphémisme. Il fulminait de rage, il grinçait des dents de frustration, et ses pupilles débordantes d'animosité lançaient des éclairs. Et de voir Sasuke étendu sur le canapé, à dormir comme si de rien n'était, ne l'aidait aucunement à voir les choses du bon côté. Il s'approcha de lui en quelques enjambées, et vociféra en arrivant à sa hauteur :

— Espèce de traître ! – À sa voix, Sasuke sursauta et le fixa sans comprendre. – Alors quoi ? La vérité te fait peur, maintenant ? T'as couru après une preuve de la culpabilité de ton père, et maintenant, tu fuis ?

Le regard du brun s'assombrit soudain, et il se leva du canapé pour faire face à Naruto, sans même cligner des yeux.

— Comment t'es entré ?

— Ton frère. répondit simplement Naruto, avant de s'emporter de nouveau : Mais c'est pas la question ! Qu'est-ce qu'il t'arrive, Sasuke ?

Le brun ne laissa rien paraître de ce qu'il pensait. Était-il triste, ou en colère ? Sous pression, ou dans un état second ? Naruto n'aurait su le dire. Seuls ses sourcils frémissaient par intermittence, rendant son regard aussi impénétrable et froid que de l'acier.

— Je voulais juste fumer, et le pion m'a fait chier. Qu'est-ce que tu veux que je te dise, au juste ?

Sa voix était parfaitement neutre, dénuée du plus léger tremblement.

— Je parle pas de ça et tu le sais. gronda Naruto sans parvenir à contenir sa rage. Tu m'ignores, tu me fuis, même ! Je peux savoir pourquoi ? Est-ce que c'est parce que tu n'assumes pas le fait que ton père ait tué le mien ?

Cette fois, les mots durs du blond parvinrent à passer les barrières que Sasuke avait érigées autour de son cœur. Il déglutit, et ses yeux reluirent un peu plus, comme baignés de larmes naissantes. Naruto, vidé de toute pitié par les récents événements, décida sans trop y réfléchir d'enfoncer le couteau dans la plaie :

— C'est toi qui m'as demandé de pas avoir de pitié pour ton père, et maintenant c'est toi qui en as pour moi ? Je croyais pourtant que t'étais au-dessus de ça, toi, au moins.

Sasuke cligna des yeux en remuant presque imperceptiblement la tête de gauche à droite.

— Ça n'a rien à voir…

— Bien sûr que si ! répliqua Naruto avec véhémence. Depuis que Sakura nous a tout raconté, j'arrive plus à te parler. T'oses même plus croiser mon regard, et ne le nie pas, je le sais !

— Ça n'a rien à voir ! explosa soudain Sasuke en surprenant le blond.

Enfin une réaction digne d'un être humain, et pas de l'automate rouillé qu'était devenu son ami depuis quelques jours. C'était exactement ce que recherchait Naruto ; il savait parfaitement qu'il n'obtiendrait la vérité qu'en poussant Sasuke à bout, en le provoquant pour l'amener à la limite de ce qu'il pouvait supporter. Il poursuivit donc :

— Alors, qu'est-ce que c'est, hein ? Explique-moi ! Parce que moi, tout ce que je vois pour le moment c'est qu'un mec qui fait exactement le contraire de ce qu'on avait décidé. Rien d'autre ! s'exclama-t-il avant de laisser filer un court silence, puis de reprendre : Tu sais, quand je t'ai rencontré la première fois, ton nom me disait quelque chose. Je savais pas quoi, juste que ça n'avait aucun rapport avec ton frère et que je l'avais déjà entendu quelque part. Et quand on a compris que ton père était peut-être impliqué dans la mort du mien, au fond de moi, j'ai compris. Mon inconscient a fait le lien, mais j'ai refusé de le réaliser. Parce que ouais, un imbécile a lâché une phrase qui est restée gravée dans ma mémoire, et qu'aujourd'hui j'entends encore résonner. – La voix de Naruto commença à trembler, mais il tenta de n'en laisser rien paraître. – « On ne s'en prend pas impunément aux Uchiwa », qu'il a dit. Haut et fort, devant deux gamins qui venaient de voir leur père mourir ! Et tu crois que j'ai voulu te fuir après ça ? Non, Sasuke, jamais. Parce que je sais faire la part des choses, moi. Je sais que t'es quelqu'un de bien, sur qui je peux compter… Du moins, je le pensais…

Naruto renifla un sanglot qui lui pesait sur la gorge, espérant secrètement qu'il ne se mettrait pas à pleurer. Il connaissait assez Sasuke pour savoir que son discours avait eu un effet sur lui – son menton s'était contracté, et ses yeux étaient bien plus humides que la normale. Mais visiblement, le brun était décidé à camper sur ses positions. D'une voix basse – était-ce pour cacher son émotion ? – il s'entêta à dire que cette histoire n'était pas la raison pour laquelle il était plus distant qu'à l'accoutumée. Cependant, quand Naruto lui demanda une nouvelle fois pourquoi, son regard se fit d'autant plus fuyant.

— Tu vois ? Tu cherches encore une échappatoire… Je te reconnais plus, Sasuke…

Les yeux du brun se fermèrent dans une grimace froissée. Ce qu'il avait sur le cœur était-il donc si difficile à exprimer avec des mots ? Naruto qui, il y a quelques jours encore, pensait que Sasuke était le meilleur ami qu'il ait jamais eu, et le considérait comme l'une des personnes en qui il avait le plus confiance, voilà qu'il doutait. Il avait peur de le voir s'enfuir, de le voir retomber dans ses travers en se faisant du mal, mais surtout, il avait peur de l'entendre lui mentir. Car cela anéantirait la confiance que Naruto avait placé en lui. Et cette perspective n'avait absolument rien de rassurant.

— Tu sais quoi ? Je préfère encore me casser plutôt que tu me racontes des conneries. Tu fais chier, vraiment… En fait, t'es pas si différent des autres.

Ce fut sûrement cette allégation qui fit pencher la balance en faveur de Naruto. Alors qu'il faisait volte-face afin de quitter l'appartement, bien décidé à fuir lui aussi, puisque Sasuke avait décidé de ne pas affronter la réalité en face, il entendit la voix du brun résonner à ses oreilles d'un ton tremblant :

— Je m'éloigne de toi parce que je t'aime !

Et Naruto se figea, incapable d'amorcer le moindre geste en réponse à cette soudaine révélation. Ses réflexions étaient également au point mort ; il ne parvenait aucunement à savoir ce qu'il pensait de tout cela.

— Et je suis quasiment sûr que ce n'est pas ton cas. Voilà pourquoi je m'éloigne. J'ai de plus en plus de mal à cacher ça, et je veux pas t'embarrasser avec ce que je ressens. T'es content, t'as eu ce que tu voulais ?

Il ne trouva pas la réponse à cette question. Oui, bien sûr que Sasuke lui avait répondu, mais s'il avait pu choisir, aurait-il voulu entendre cela ? Il n'en savait rien…

— Maintenant, casse-toi, par pitié.

Lorsqu'il sentit les mains de Sasuke le pousser vers la sortie, Naruto quitta l'appartement tel un automate vide de volonté propre. Il descendit les escaliers lentement et passa la porte du hall sans la retenir, la laissant claquer bruyamment dans son dos. Le regard figé vers le trottoir, il s'avança sans même savoir où il allait, incapable de réfléchir à quoi que ce fût. Ce ne fut que lorsqu'un passant percuta son épaule que ses sens et ses souvenirs se rappelèrent à lui.

Il entendit à peine l'inconnu s'excuser, trop occupé à supporter tout ce qui parvenait soudainement à son cerveau : les bruits de la circulation, les discussions, l'odeur de cuisine qui émanait d'une échoppe de takoyaki, les passants qui se pressaient sur le trottoir, les hauts immeubles autour de lui, tous de verre et de métal, et Sasuke. Ses mots. Ses mains dans son dos, qui le poussaient vers la sortie pour ne pas avoir à entendre de réponse de la part de Naruto. Sa voix mal assurée, hésitante, qui aurait presque fait sonner ses paroles comme un mensonge si le blond ne connaissait pas Sasuke.

Sauf qu'il le connaissait bien trop pour se rendre compte de la véracité de cette révélation. Maintenant qu'il le savait, Naruto se demandait même comment il avait fait pour ne pas s'en rendre compte avant. Tous ces regards perdus, il en avait surpris un certain nombre – celui qui l'avait laissé le plus dubitatif étant lorsqu'ils s'étaient retrouvés au Road 66 pour son anniversaire, cette longue œillade qu'il avait par la suite oubliée en l'associant à un hasard possiblement influencé par l'alcool.

Naruto sentit son cœur battre un peu plus fort tandis que son sang pulsait dans ses tempes. Sasuke l'aimait… Sasuke avait pour lui des sentiments bien différents de ceux qu'on accorde à un ami. Sasuke aurait voulu qu'ils… s'embrassent, qu'ils sortent ensemble, qu'ils fassent toutes ces choses que l'on fait en couple… ? Jamais Naruto ne s'était imaginé en couple avec le brun ! Il s'était posé quelques questions pendant les premières années de son adolescence, évidemment, et cela ne l'avait pas ébranlé plus que cela, mais il avait vite conclu qu'il n'était guère attiré que par les filles, puisqu'aucun garçon ne lui avait jamais fait ressentir une attirance comme il en avait éprouvé pour Hinata.

Mais après la soudaine révélation de Sasuke, les convictions de Naruto semblaient s'être effondrées. Se pourrait-il qu'il ait lui aussi des sentiments pour lui ? Après tout, il le considérait comme quelqu'un de spécial, et lui accordait volontiers une confiance et des confidences qu'il n'offrait pas facilement – voire pas du tout. Et puis, il s'inquiétait plus facilement pour lui, et avait cherché bon nombre de fois à lui venir en aide, à chaque fois d'une manière désintéressée.

Mais tout cela ne prouvait peut-être rien…

Naruto enfila ses écouteurs en grognant de frustration, et alluma sa musique en augmentant le volume, espérant ainsi submerger ses réflexions par un flot d'instruments. En vain. Il se trouvait tiraillé au milieu d'une frontière invisible, floue, brumeuse ; celle qui délimitait l'amitié et l'amour.

L'amour. Ce mot le fit frissonner. Non, il ne voulait pas penser à de si sérieux sentiments en ce moment – il avait bien d'autres chats à fouetter.

Il monta encore d'un cran le volume de son portable, et se concentra sur les paroles pour éviter de réfléchir. Et lorsqu'il rentra chez lui, dans une maison trop vide à cette heure-là de la journée, la seule chose qu'il trouva à faire pour se vider l'esprit fut de prendre une douche, puisqu'il ne sentait pas l'inspiration venir. Il récupéra donc son enceinte dans sa chambre, l'amena dans la salle de bains pour s'assourdir au son délectable des guitares et des batteries, et se déshabilla en fredonnant les paroles de la chanson qui passait à ce moment-là.

Lorsqu'il entra dans la douche, le morceau se finit progressivement en attendant le suivant, laissant tout le loisir à Naruto de réfléchir à nouveau, malheureusement pour lui. Il alluma l'eau en se demandant quels mots formuleraient le mieux ce qu'il ressentait pour Sasuke. Et l'instrumental virulent du morceau suivant ne laissa pas de répit à ses questionnements.

Lorsque la température de l'eau fut agréable, il se glissa dessous en fermant les yeux pour savourer l'instant. Les gouttes ruisselaient sur sa peau. Il les sentait glisser le long de ses bras ballants, contre son dos, frapper doucement ses épaules et le débarrasser d'un surplus de sentiments trop négatifs. Lorsqu'il ouvrit les yeux, les quelques mèches qui pendaient devant son regard avaient déjà bruni sous l'effet de l'eau. Il regarda les gouttes qui s'en échappaient à intervalles réguliers s'écraser à ses pieds, pensif.

Et s'il s'imaginait avec Sasuke ? Prenant une longue inspiration, Naruto ramena ses cheveux en arrière et redressa la tête en fermant les yeux. Il tenta de se représenter ce que pourrait être leur couple. La première image sonna faux. Ils se tenaient la main. Non, quelque chose n'allait pas dans cette idée. Peut-être que s'ils s'embrassaient… ? Le blond rassembla tous les détails qu'il connaissait à propos de son ami. Sa manie des petits sourires en coin, ses yeux brillants lorsqu'il s'inquiétait pour quelqu'un, ses moues aussi stupides qu'adorables quand il faisait semblant de bouder, son parfum préféré, la légèreté de ses cheveux, le grain de sa peau… Était-il seulement normal qu'il ait remarqué tout cela en ne nourrissant qu'une simple amitié pour Sasuke ? Peu importait, il n'avait pas que cela à penser.

Tous ces fragments s'assemblèrent pour former une image parfaitement claire, et qui, cette fois, ne sonna pas faux. Il s'imagina, glissant une main dans le cou du brun pour mieux saisir sa nuque et le rapprocher un peu. Il eut presque l'impression que le souffle court de son ami s'agitait doucement contre sa peau. Sur l'écran noir de ses paupières fermées, il vit les yeux de Sasuke, indécis, mais reflétant une envie difficilement contrôlable. Il vit ses lèvres s'agiter, murmurant son nom comme on murmure un secret. Et il s'imagina, très clairement, l'embrasser soudain, mû par une soif insatiable. La sensation qui s'immisça alors en lui fut délicieuse. Tel un puissant anesthésiant, une drogue bien trop agréable, elle se propagea dans tout son corps pour donner vie à son imagination. Il sentait ses mains courir sur la peau de Sasuke, la caresser, la posséder. Leurs lèvres s'agitant toujours à l'unisson, il rapprocha leurs corps brûlants pour mieux dévorer le brun. C'était beaucoup trop exquis, beaucoup trop…

Naruto ouvrit les yeux, retombant soudain dans la réalité. Il n'avait jamais demandé à son imagination d'aller aussi loin ! Il aurait voulu se donner des claques, mais se contenta de frotter son visage, qu'il sentit brûlant sous la paume de ses mains. Était-ce à cause de l'eau ? C'était peu probable.

Soudain, il se rendit compte d'un détail quelque peu embarrassant… Il baissa les yeux lentement, presque inquiet par ce qu'il allait découvrir, mais dut bien se rendre à l'évidence : son sexe était fièrement dressé, tendu par la vision qui l'avait étreint quelques secondes auparavant. Pouvait-il encore faire semblant après cela ? Non, et c'est ce qui l'énervait. Comment diable ce mec hautain avait-il pris, en quelques mois, autant de place dans sa vie ? En considérant la rapidité avec laquelle il l'avait fait oublier Hinata, c'était presque de la sorcellerie !

Submergé par une soudaine colère venue de nulle part, Naruto tourna le mitigeur dans un geste rageur. L'eau se refroidit instantanément, le faisant crier de surprise avant qu'il ne tente de trouver une température un peu moins extrême… Au moins, cela avait-il radicalement calmé ses ardeurs !

Le lendemain ne fut pas beaucoup plus fructueux pour Naruto, car il ne parvint pas davantage à mettre de l'ordre dans ses pensées. Il savait qu'il était indéniablement attiré par Sasuke. Il savait également que tout serait plus compliqué entre eux, maintenant qu'ils savaient que Fugaku était impliqué dans la mort de Minato, même s'ils faisaient tout pour oublier cela. Naruto savait beaucoup de choses, mais il y avait un détail qu'il ignorait : que faire de toutes ces informations éparses, qui manquaient cruellement de sens commun.

Si l'on rajoutait à cela le fait que Sasuke n'était pas encore de retour en cours, et lui manquait étrangement, il y avait de quoi rendre Naruto fou. Pour éviter de trop penser à tout cela, il fut donc encore plus volubile que d'habitude, et chercha la conversation dès qu'il pût. Les professeurs ne purent s'empêcher de remarquer qu'il fut également bien plus attentif que de coutume…

Et s'il avait cru, innocemment, que le retour de Sasuke au lycée, le lendemain, arrangerait un tant soit peu les choses, il se rendit rapidement compte que ce n'était qu'une idée stupide. Toute la journée du vendredi, le brun fut exécrable, rembarrant les professeurs, fuyant ses amis, enchaînant les réponses aussi acerbes que dépréciatrices, disparaissant à chaque pause si vivement qu'il était impossible de le suivre ou de savoir où il allait.

Naruto tenta bien de le coincer pour obtenir des explications, de gré ou de force, car l'excuse des sentiments trop encombrants ne pouvaient pas justifier le fait que Sasuke s'en prenne ainsi à tout le monde ! Mais il n'obtint que quelques regards noirs et des soupirs agacés.

Pour ne rien arranger, le brun fut injoignable de tout le week-end, ne répondant à aucun message, et déclenchant le répondeur à chaque appel. Deidara tenta bien de faire sourire son petit frère en lui annonçant une bonne nouvelle – Akatsuki avait réussi à faire plier le directeur d'Ame pour changer de manager – mais cela le fit à peine sourire.

Naruto avait la tête ailleurs… Un mauvais pressentiment le poursuivait sans vouloir le lâcher. Quelque chose ne tournait pas rond, tout cela était bien trop exagéré pour être uniquement causé par les sentiments que Sasuke avait pour lui. Il y avait forcément autre chose qui s'était déroulé, quelque chose d'assez bouleversant pour que le brun redevienne la personne hautaine et cachottière qu'il était quelques mois auparavant. Lee lui avait-il annoncé une mauvaise nouvelle ? Fugaku avait-il encore fait des siennes ? Ou Neji ? Il y avait trop de possibilités !

Et le lundi n'amena pas la moindre ombre de réponse. Sasuke était encore plus transparent que le vendredi précédent, si c'était toutefois possible. En cours d'anglais, alors qu'il écrivait dans son carnet de notes depuis le début du cours – et de la journée, d'ailleurs – leur professeur finit par perdre patience.

— Uchiwa Sasuke, est-ce que tu pourrais s'il te plaît lâcher ce crayon et répondre à la question que je viens de poser à la classe ?

Naruto se retourna juste à temps pour voir le regard noir que le brun leva avec une insolence calculée.

— J'écoutais pas. fut la seule chose qu'il trouva à répondre.

Le blond aurait voulu l'étriper sur place. Il aurait tout aussi bien pu porter une pancarte intitulée « Virez-moi ! » autour du cou, que ça n'aurait pas eu autant d'effet ! Il était indécrottable.

— Comme d'habitude ! s'exclama Madame Kurenai d'un air désabusé. Je peux savoir ce qu'il t'arrive, en ce moment ? L'attention n'est pas ton fort en temps normal, mais j'avais mis cela sur le compte de l'ennui, puisque tu as un bon niveau. Mais depuis quelques jours, tu es insupportable avec tous les professeurs ; qu'est-ce qu'il te prend ?

— Mais qu'est-ce que vous avez tous à vouloir savoir ce que j'ai, putain ? s'exclama soudain Sasuke en faisant sursauter de stupeur toute la classe. Foutez-moi la paix avec ça !

Mais qu'est-ce qu'il essayait de faire, au juste ? Se mettre tout le monde à dos ? Si c'était cela, il partait très bien ! Tout le monde le regardait comme s'il était un extra-terrestre, ne sachant véritablement comment réagir face à un tel emportement.

— Tu vas me faire le plaisir de t'excuser tout de suite, jeune homme, ou sinon tu pourrais bien le regretter. répliqua la professeure sur un ton soudain bien moins conciliant.

La menace passa au-dessus de Sasuke comme une mouche : totalement inaperçue.

— Vos excuses, vous pouvez vous les mettre où je pense. assena le brun en se levant.

Tandis qu'il faisait glisser ses crayons et son carnet dans son sac, madame Kurenai, estomaquée, le regardait faire sans même savoir quoi répondre. Naruto n'en menait pas large non plus ; il ne reconnaissait pas Sasuke dans son comportement. Et tout cela ne faisait que le conforter dans l'idée que quelque chose de grave devait s'être passé.

— Avant que vous perdiez votre temps à le dire, oui, je vais chez la directrice. conclut le brun en sortant de la salle, faisant claquer la porte derrière lui.

Naruto prit soudain une profonde inspiration, réalisant par là qu'un poids énorme pesait sur sa poitrine depuis quelques instants. Il tenta de le faire fuir, de l'oublier… en vain. Il ne parvenait pas à se débarrasser d'une terrifiante idée : Sasuke risquait, cette fois, le renvoi définitif. Oui, il pensait « terrifiante », et il pesait ses mots. Il s'était habitué à sa présence. Sans même qu'il s'en rende compte, progressivement, le brun avait pris de plus en plus de place dans son existence, et il ne voulait pas s'imaginer qu'il puisse s'en aller aussi rapidement, aussi facilement. À qui parlerait-il d'Akatsuki, de musique et d'instruments ? Avec qui débattrait-il à propos de rock ? Qui l'accompagnerait fumer sa cigarette, le matin, en discutant de choses sans queue ni tête ? Personne… cette idée lui était effrayante.

Il ne parvint plus à se concentrer sur le cours, et sursauta presque sur sa chaise lorsqu'il entendit quelqu'un toquer à la porte. Depuis combien de temps errait-il ainsi dans ses réflexions ? Il n'en avait aucune idée…

Son attention fut toutefois titillée lorsqu'il vit la directrice entrer dans la salle. Tous les élèves se levèrent comme un seul homme pour la saluer, avant qu'elle ne leur fasse signe de se rasseoir, et qu'elle se rapproche de la professeure pour lui glisser quelques mots à l'oreille. Madame Kurenai acquiesça d'un air grave, puis la directrice se rapprocha de la porte en déclarant :

— Tu peux entrer. Mais qu'on ne t'entende plus.

Sous les murmures intrigués d'une grande partie de la classe, Sasuke fit son apparition. Naruto le suivit du regard en tentant d'ignorer les battements affolés de son cœur. Il ne parvenait pas à déchiffrer l'expression fermée qu'arborait le brun. Comme d'habitude, il excellait dans l'art de ne rien laisser paraître. Il délaissa sa place habituelle, juste derrière Naruto, pour s'affaler nonchalamment sur une table vide, au fond de la salle, et sortit de nouveau son carnet et un crayon sans dire le moindre mot.

Lorsque Naruto se retourna pour savoir s'ils allaient avoir le droit à une explication, la directrice avait disparu et leur professeure récupérait un marqueur sur son bureau pour recommencer son cours.

Au fond de la salle, Sasuke n'essaya même pas d'écouter. Presque fiévreusement, il se mit à gratter le papier de la pointe de son stylo, incapable de réfléchir posément. Il avait besoin de mettre des mots sur le tourbillon de sentiments emmêlés qui sévissaient en son for intérieur, et pour cela, il ne connaissait qu'un moyen : laisser son imagination écrire.

I don't remember one moment I tried to forget*

De son côté, Naruto s'inquiétait. Il voyait son ami écrire frénétiquement, puis réfléchir, puis recommencer, sans arrêt. Ses sourcils froncés, ses lèvres qui se mouvaient comme s'il se parlait à lui-même, et ses doigts qui pianotaient inlassablement sur la table, en rythme, tout cela prouvait que Sasuke était en train d'écrire pour ne pas devenir fou. Naruto ne l'avait jamais vu aussi perturbé, et sentait d'ailleurs que le trouble de son ami le gagnait lui aussi peu à peu.

I lost myself, is it better not said

Si Sasuke se sentait si bouleversé, c'était peut-être parce que la directrice venait de lui annoncer qu'elle le virait ? Mais dans ce cas, pourquoi serait-il revenu pour la dernière demi-heure ? C'était absurde ! Ces deux idées s'entrechoquaient dans la tête du blond, sans qu'il ne parvienne à choisir laquelle était la plus vraisemblable.

Now I'm closer to the edge

Quant à Sasuke, lorsqu'il eut fini d'ordonner les premières lignes de son morceau avec toutes les idées vagues et disparates qui lui étaient venues, il soupira brièvement. Il se sentait réellement au bord du gouffre, oscillant entre ce qu'il voulait et ce qu'il pouvait faire.

It was a thousand to one and a million to two

Il avait parié qu'il parviendrait à gagner cette fois, avait osé défier Fugaku, et avait magistralement perdu. Une nouvelle fois. C'était diablement frustrant, et cela le mettait dans une colère noire, qu'il ne parvenait à diriger que contre lui-même.

Time to go down in flames and I'm taking you

En voulant protéger Naruto, il l'avait précipité avec lui dans un précipice sans fond.

Closer to the edge

Mais il n'était pas dit qu'il abandonnerait sans tenter le tout pour le tout.

No I'm not saying I'm sorry
One day, maybe we'll meet again

Il ne cherchait pas le pardon de Naruto, bien au contraire : s'il fallait qu'il passe pour le dernier des salauds, il était prêt à courir le risque. Pour peu qu'il puisse sauver cet homme, qui lui faisait ressentir tant de nouveaux sentiments. Pour lui, il était près à plonger à sa place.

No I'm not saying I'm sorry
One day, maybe we'll meet again

Et qui sait ? Peut-être un jour, le destin serait-il enfin clément envers lui, et le laisserait revoir cet imbécile heureux, si cher à son cœur ? Sasuke n'osait pas y croire, de peur d'être déçu, mais il ne parvenait pas à s'ôter cette idée de l'esprit. La perspective que tout pourrait un jour aller pour le mieux était une des seules choses auxquelles il pouvait se rattraper pour ne pas devenir tout à fait cinglé.

La sonnerie de fin des cours vrilla à ses tympans, et il ramassa son crayon et son sac avant de quitter la salle encore plus rapidement que d'habitude, sans se retourner. Il fallait qu'il s'en aille sans croiser le regard de Naruto, car le cas échéant, il avait peur de ne pas pouvoir aller jusqu'au bout de ce qu'il avait en tête. Il accéléra donc le pas, et passa le lourd portail du lycée Konoha en ignorant sa gorge serrée d'angoisse et d'affliction. Il fallait qu'il tienne le cap de ses décisions… Il serra les poings, se mordit la lèvre pour oublier que son cœur lui martelait douloureusement la poitrine, et mit son casque sur ses oreilles en lançant sa musique lorsqu'il entra dans la bouche de métro.

Can you imagine a time when the truth ran free

Naruto renonça à rattraper Sasuke lorsqu'il se rendit compte que le brun avait déjà déserté le couloir alors que lui sortait à peine la tête de la salle de cours. Il se retourna en se demandant pourquoi son estomac était si noué, mais abandonna rapidement cette question ; pour le moment, ce n'était pas de lui-même dont il fallait qu'il se préoccupe, mais de Sasuke. Alors qu'il rejoignait sa place en disant au revoir à Shikamaru et Kiba – il ne remarqua même pas les regards équivoques qu'ils glissèrent sur lui, et l'œillade qu'ils échangèrent ensuite, savant mélange de « il est désespérant » et « on avait raison ».

Était-ce trop demander de vouloir que le brun partage tout avec lui, et d'exiger sans cesse la vérité à propos de tout ? Sûrement. Sans doute avait-il exagéré…

The birth of a song, the death of a dream

En balayant la salle du regard, il remarqua soudain que Sasuke avait abandonné derrière lui une feuille noircie de notes et de dessins. Naruto s'approcha du bureau, déglutissant plusieurs fois pour tenter de faire disparaître la sensation que son cœur remontait le long de sa trachée pour s'échapper à l'air libre, en vain. Il avait l'impression de pouvoir vomir tripes et boyaux à tout moment.

Il posa des doigts hésitants sur la feuille pour la faire tourner vers lui, ignorant le dernier élève qui venait de quitter la salle en le saluant. Pour beaucoup, ces mots mélangés à des notes et à des dessins hétéroclites, jetés n'importe où sur ce bout de papier froissé, n'auraient pas signifié grand-chose. Mais Naruto connaissait Sasuke. Il avait déjà maintes et maintes fois relu ses notes pour un cours, ou pour lui donner son avis sur quelques phrases d'une chanson. Tout cela avait un sens, et il se détestait de le saisir.

Closer to the edge

Une larme, solitaire, dévala sa joue pour s'écraser sur la table dans un "plic" qui agaça le blond. Il s'essuya rageusement le visage et récupéra la feuille en la froissant davantage, la balayant de long en large de son regard fou. Il se détestait, détestait cette larme et sa faiblesse, détestait cette feuille, ainsi que tout ce qu'elle signifiait ! Et il détestait Sasuke.

This never ending story, paid for with pride and faith

Pendant des mois, il lui avait fait confiance. Ils s'étaient aidés mutuellement, s'étaient confié des secrets, avaient partagé des moments de complicité que Naruto n'oublieraient sans doute jamais ! Tout cela pour le voir fuir, sans rien dire, sans assumer ? Leur amitié avait-elle un jour signifié quoi que ce fût pour Sasuke, au moins ? Le blond en doutait désormais.

Cette chanson, ces quelques mots laissés à l'abandon sur une feuille chiffonnée, sonnaient-ils le glas de tout cela, de tout ce qu'ils avaient partagé ? Ce n'était même pas une fin ! Ça ne voulait rien dire…

We all fall short of glory, lost in ourselves

Naruto ne savait même plus quoi penser. Seul, debout au fond d'une classe vide, il se faisait l'effet d'un laissé pour compte et il détestait cela. Il s'imaginait la scène vue de l'extérieur, et le premier sentiment que cela lui inspira fut la pitié. Ce qu'il haïssait par-dessus tout. Il fronça les sourcils en s'essuyant les yeux, puis plia la feuille en quatre pour la ranger dans la poche de son pantalon, avant de ramasser ses affaires restées en plan sur sa table.

No I'm not saying I'm sorry

Puis il sortit de la salle en claquant violemment la porte derrière lui, enfila ses écouteurs en démarrant sa musique et descendit dans la cour en sentant la colère balayer sa tristesse. Le vent acheva de sécher ses joues encore quelque peu humides lorsqu'il traversa le lycée d'un pas rapide. Il s'alluma une cigarette dès qu'il eût franchi le portail – au diable ceux qui l'accusaient de leurs regards, il n'en avait plus rien à faire – puis marcha en ignorant l'entrée de la bouche de métro. Ce soir, le vieux Jiraya et ses théories scientifiques tordues pouvaient aller se faire foutre. Comme tout le reste du monde, d'ailleurs !

One day, maybe we'll meet again

Se reverraient-ils un jour ? Peut-être, après tout ! Et Naruto en profiterait pour lui coller une droite bien méritée, pour lui avoir retourné le cerveau avec des sentiments dont il ignorait tout jusque-là, pour l'avoir entraîné dans des situations improbables, et pour l'avoir attiré, de toutes les manières possibles, avant de le repousser comme on fait fuir un moustique – insignifiant, emmerdant.

No I'm not saying I'm sorry

Naruto écrasa sa cigarette avec rage dans un cendrier, puis poussa la porte d'une salle d'arcades en cherchant du regard une machine de libre. Il avisa une borne Street Fighter, sur laquelle il se rua pour étancher sa soif de violence gratuite et apaiser quelque peu sa colère. Il s'acharna sur les boutons pendant un temps incalculable, puis, lassé, se rabattit sur une borne Tekken quand elle fut libérée. Ce n'est qu'après avoir envoyé au tapis un nombre trop élevé de personnages pour s'en rappeler, qu'il se rendit compte qu'il aurait déjà dû être rentré chez lui depuis un long moment. Il enfila son manteau, récupéra son sac, abandonné sur le sol, et sortit dans la rue où la nuit était dores et déjà sombre. La station de métro n'était pas loin, il pressa le pas.

Jouer l'avait un peu défoulé, mais il ne parvenait pas à oublier le sujet principal de ses tergiversations.

One day, maybe we'll meet again

Se reverraient-ils un jour ? Peut-être, après tout ! Le voulait-il ? Il n'en savait rien. En lui, sa rage résistait encore à sa tristesse, et il ne savait pas lequel de ces deux sentiments il voulait voir triompher.

I will never forget

Lorsque la colère se dissipa peu à peu, emportée par le vent froid qui se glissait tout autour de Naruto, il ne resta plus que les souvenirs, et le sentiment doux-amer qu'ils suscitaient. Leurs moments de complicité, où ils s'étaient compris d'un seul regard, leurs expéditions clandestines pour enquêter sur Fugaku, leurs discussions interminables du matin, leurs éclats de rire et leurs instants plus difficiles, où il avait fait bon partager leurs peines pour ne pas avoir à les supporter tout seul.

I will never regret

Ils avaient passé d'excellents moments tous les deux, et les seuls regrets que Naruto avait concernaient le futur : et si Sasuke était resté ? Car si le brun écrivait qu'il ne regretterait jamais, ce n'était pas le cas de son ami. Lui, regrettait déjà de ne pas avoir eu le temps de pouvoir en apprendre davantage sur ce qu'il ressentait. Sasuke était parti sans lui laisser l'opportunité de s'imaginer ce qu'aurait pu être leur relation s'ils avaient décidé d'essayer. Sasuke avait fui, pour ne pas se poser trop de questions, et pour continuer à vivre sans penser à Naruto.

I will live my life

Alors qu'il s'asseyait sur un siège du métro, il ressortit de sa poche la feuille froissée, noircie de traits disparates de crayon noir. De nouveau, il la relut ; de nouveau, il ne sut comment l'interpréter. Elle sonnait comme un adieu ou un au revoir, un appel à l'aide ou un signe qui dit que tout va bien. C'était aussi flou que Sasuke pouvait l'être, aussi beau également. Un dernier geste, tout en poésie, avant de s'évanouir. Un songe. Que pouvait-il faire, désormais ? Chercher après lui, alors qu'il ne voulait visiblement plus rien avoir à faire avec Naruto ? À quoi bon ?

Non, il valait mieux tenter de l'oublier. S'accrocher à autre chose, et avancer, peut-être en titubant au début, mais c'était au moins un progrès. Il ne savait même plus où était parti son esprit combatif… Sans doute s'était-il évanoui avec ses espoirs et ses illusions.

Le temps, apparemment, guérit toutes les blessures… Naruto espérait de tout son cœur que cela se révélât un jour vrai.


* Closer to the Edge – Thirty Seconds to Mars.


Et voilà qui signe la (quasi-)fin du tome un ! Je suis vraiment très content d'avoir eu le courage d'aller jusque-là parce que ça signifie beaucoup pour moi. Merci à vous qui m'avez encouragé, qui avez suivi et commenté, ou même juste voté ; l'accueil que vous avez réservé à cette fiction m'a fait plaisir !

Le tome deux suit, évidemment, et est déjà avancé d'une dizaine de chapitres. Je voudrais vraiment avoir vos retours, s'il vous plaît, maintenant que nous sommes arrivés à un tournant décisif de l'histoire. Comment l'avez-vous trouvée ? Sincèrement !

Je vous donne rendez-vous dans une semaine pour l'interlude numéro deux, ainsi que le premier chapitre du tome deux de Not Friends, que je posterai en même temps ! Bisous !