A/N: Bonne lecture!
Chapitre 2
Les trois compères regagnèrent le café, où la scène qui s'y déroulait les laissa sans voix de dépit. Ryo et Mick, langues pendantes, bave aux lèvres et rictus de pervers déformant leurs traits, étaient en train de s'extasier sur la robe au décolleté vertigineux de Saeko, qui minaudait ses faveurs. Toujours à leur table, Rumiko et Natsumi ne prêtaient qu'une attention distraite à l'affligeant spectacle, même si cette dernière avait la massue mille tonnes "Restez corrects" de Kaori sur la banquette à côté d'elle.
_ Chère Saeko, sussurrait Ryo, se collant d'un peu trop près à la charmante inspecteur de police. Que nous vaut le plaisir de ta visite?
_ Falcon n'est pas là? demanda-t-elle, sentant que la partie était gagnée d'avance en l'absence du géant et des femmes des nettoyeurs.
_ Il est parti faire des courses en nous confiant la maison et les marmots, répondit suavement Mick en louchant sur l'échancrure de la robe de son interlocutrice.
_ Ah, très bien. En fait, j'aurais un petit travail à vous confier...
_ Que tu paieras en nature, comme de bien entendu! acheva Ryo, essayant de s'enrouler autour des jambes de Saeko qui rougit. N'est-ce pas, Sae...
Boum! Un vacarme du tonnerre retentit, de la poussière s'éleva, et pour la première fois, les trois garçons notèrent avec stupéfaction que Natsumi n'y avait pas été de main morte. Elle avait bien écrasé son père sous la massue, mais en plus elle avait réussi à casser le carrelage dessous, ce qui représentait un sacré tour de force pour une petite fille de trente kilos âgée de sept ans.
_ Natsumi, ça va? lui demanda son frère, inquiet. Tu te sens bien? Tu as tapé beaucoup plus fort que d'habitude!
_ Je... balbutia-t-elle, confuse. Je... je crois que ça va...
_ Et moi, perfonne ne me demande fi fa va, grommela le nettoyeur brun de sous la massue. Merfi, les enfants!
_ Tu l'as mérité, Papa! s'écria Natsumi, furieuse. Tu n'as pas honte de draguer tante Saeko? En plus Maman n'est pas là pour calmer tes ardeurs! Alors je la remplace!
Hideyuki, ainsi que les autres occupants éberlués de la pièce, nota que sa petite soeur, loin d'être la petite chose fragile qu'il pensait qu'elle était, était en réalité une jeune fille tout à fait capable de se défendre, et en cet instant, malgré les boucles brunes qu'elle tenait de son père, elle ressemblait de façon frappante (sans mauvais jeu de mots!) à sa mère.
Il aida son père à sortir de sous la massue et, tandis que cette dernière se volatilisait comme par magie, il inspecta les dégâts.
_ Quatre mètres carrés foutus. Ça veut dire au moins cinq cent mille yens de réparation. Maman va être furax.
_ Si oncle Umi n'arrache pas la tête de Papa avant, dit calmement Natsumi en époussetant son pantalon et son gilet.
_ Dis donc, Natsumi! intervint Ryo, la prunelle sombre. Si je ne m'abuse, c'est toi qui as cassé ce carrelage! Je retiendrai ton argent de poche pour payer les réparations!
_ Tu tiens vraiment à ce que Maman apprenne pourquoi ce carrelage est à refaire, Papa? Hideyuki demanda d'un ton narquois, se plaçant à côté de sa soeur.
Ryo pâlit un peu, puis se résigna, sous les rires tant bien que mal étouffés de Mick et Saeko, et les visages hilares des autres enfants.
_ S'il vous plaît, les enfants, supplia-t-il, à genoux devant eux. Pas un mot à votre mère! Sinon je n'aurai plus le droit de lui faire des câlins d'ici à Noël! Vous aurez votre argent de poche, et même un cadeau, promis!
Le frère et la soeur échangèrent un regard complice, puis hochèrent la tête.
_ D'accord, Papa, dit Hide, un sourire victorieux sur ses traits. Alors je veux que tu me prêtes ton Magnum 44 tout de suite, pour aller tirer avec Genzo et Masao. Et je voudrais le dernier tome de One Piece.
_ Et moi je voudrais la Barbie Blanche Neige, celle qui me manque! sourit Natsumi.
_ Accordé, accordé! capitula Ryo, dépité.
Le nettoyeur se pencha, sortit de son holster de cheville son Smith et Wesson model 29 et le tendit à son fils, crosse en avant. Hideyuki s'avança et l'attrapa, mais son père ne lâcha pas l'arme, une expression intense sur le visage.
_ N'oublie pas, mon fils, que ce n'est pas un jouet. Que tu tires sur des cibles en carton ça va, mais si tu tires sur quelqu'un, il faut savoir en porter la marque, une marque qui ne s'efface jamais. Blesser quelqu'un, prendre une vie, ça déchire l'âme. Ne sois pas pressé d'y arriver, Hide.
Hideyuki fut surpris et ébranlé par le sérieux et l'expression amère de son père. Il se doutait que le métier de nettoyeur n'était pas aussi facile qu'il se le représentait, mais c'était la première fois que son père lui avouait aussi clairement les tourments qu'il pouvait ressentir. La douleur dans ses yeux était bien réelle.
Il s'empara de l'arme et l'examina, tentant de masquer son trouble. L'arme était chargée et parfaitement entretenue. Jetant un regard autour de lui, il vit les enfants l'observer avec envie et les adultes avec mélancolie. Natsumi, constatant son trouble, demanda:
_ Papa, on peut manger le goûter?
_ Bien sûr, ma puce, dit Ryo, se secouant et esquissant un sourire. Tante Miki m'a dit qu'elle avait préparé des gâteaux pour vous avec Rumiko.
_ Je vais les chercher, dit cette dernière. Un coup de main, Genzo!
_ Humpf, grogna le garçon qui lui emboîta le pas dans la pièce derrière le bar.
Hideyuki s'installa à la table des filles, Natsumi ayant rangé les poupées, entre Masao et elle. Les enfants Ijuin ramenèrent lesdits gâteaux et les boissons, et s'installèrent côte à côte en face d'eux, remplissant la banquette. Tous attaquèrent la belle pile de gâteaux avec appétit, prêtant une oreille distraite à la conversation des adultes.
_ Alors, ce travail? demandait Ryo, devenu beaucoup plus sérieux.
_ Une bande de trafiquants de drogue, soupira Saeko. Le parrain est inattaquable par les voies officielles, car c'est un diplomate bénéficiant de l'immunité. Nous avons de forts soupçons mais aucune preuve.
_ Il faut qu'on ramène des preuves, donc, résuma Mick, sirotant un café. Quand et où?
_ D'après mes infos, ils ont investi un entrepôt sur les docks ouest, et une grosse livraison est prévue ce soir. Il faudrait agir demain au plus tard, avant que la came ne soit dispersée dans tout le pays.
_ Ils sont nombreux? demanda Ryo, la mine sombre.
_ Une douzaine, répondit Saeko, l'air blasée. Ce que je veux éviter, c'est que cette drogue ne se répande dans les rues et fasse de nombreuses victimes. C'est de l'ecstasy.
Hideyuki, tout en s'empiffrant des délicieux gâteaux, échangea un regard avec Genzo et Masao. Il vit tout de suite que tous trois étaient sur la même longueur d'ondes. C'était l'occasion rêvée de faire leurs preuves. De prouver à leurs pères respectifs qu'ils pourraient leur succéder. Douze gardes, ce serait une balade de santé. D'autant que Ryo et Mick n'avaient pas l'air transportés de joie.
_ Saeko, je ne le sens pas, murmura Ryo, si bas que seuls ses enfants, qui avaient hérité de son ouïe surhumaine, l'entendirent. J'ai un très mauvais pressentiment.
_ Pareil, renchérit tout bas Mick, l'air mal à l'aise. Il y a quelque chose...
_ Les garçons, dit Saeko d'un ton implorant, je ne peux rien faire sans vous. J'ai les mains liées. J'ai besoin de ces preuves. Au pire, faites tout sauter. Je préfère que la drogue disparaisse, mais je vous en prie, j'ai besoin de vous!
Ryo et Mick échangèrent un regard, et Hideyuki vit leurs traits se durcir. Il sut.
_ D'accord, Saeko, dit Ryo. Mais cette fois, tu nous payes, et pas en nature.
_ Deux millions chacun, dit-elle très vite. Et pareil pour Falcon s'il accepte. Je le prends sur la caisse spéciale de la police.
_ Ok, opina Mick après deux secondes, imité par Ryo. Mais tu sais, ajouta-t-il avec son air lubrique, je ne serais pas contre une avance en nat...
Bam! Une deuxième fois, la massue "Anti-pervers" cassa du carrelage et du nettoyeur, et Natsumi, furax, éructa:
_ Non mais ça suffit, oncle Mick! T'en as pas marre de te prendre une massue sur la tête? Comporte-toi en être civilisé!
_ Dévolé, Natfumi! Promis, ve recommenfe plus! Tu reffembles trop à ta mère...
_ Qu'est-ce que j'ai honte, marmonna Masao, alors que tous les enfants, une goutte de sueur à l'arrière de la tête, contemplaient la scène. Allez, on y va. Papa, on va tirer, maintenant! annonça-t-il à haute voix.
_ Faites attention, lui répondit l'Américain en s'extirpant de sous la massue. Règles de sécurité, vigilance, concentration.
_ Et attention aux filles, ajouta Ryo.
Tous les enfants hochèrent la tête et se dirigèrent vers la salle de tir aménagée au sous-sol du café. Là, les enfants choisirent leur arme, sauf Hideyuki qui avait celle de son père et Natsumi qui bouillait de ne pas encore pouvoir tirer. Masao choisit un Colt King Cobra 357 Magnum identique au sien, tandis que Genzo prenait un Smith et Wesson 500, la nouvelle arme de prédilection de son père car la plus puissante arme de poing au monde, et Rumiko un Taurus 415T 41 Magnum, suffisamment léger pour elle.
Les enfants tirèrent pendant un petit quart d'heure, se tirant la bourre et se chambrant gentiment, puis les garçons échangèrent un regard complice.
_ On y va maintenant, souffla Hideyuki. Genzo, tu as les clés?
_ Oui, dit ce dernier en sortant fièrement les clés de la jeep de son père. Je prends juste quelques grenades, de l'essence et du plastic.
_ Quoi? s'exclama Rumiko, interloquée. Qu'est-ce que ça veut dire? Vous allez où avec la voiture de Papa? Et pourquoi des grenades et des explosifs?
_ On va sur les docks ouest, dit Masao.
Natsumi et Rumiko le dévisagèrent comme s'il était devenu fou, puis Natsumi dit:
_ Non mais ça va pas? Qu'est-ce qui vous prend? Vous voulez vous faire tuer?
_ Absolument pas, nia tranquillement Genzo. Juste faire nos preuves, et faire une bonne action.
_ Mais c'est n'importe quoi! s'emporta-t-elle, furieuse, une massue "Ne soyez pas stupides!" apparaissant dans sa main, faisant se recroqueviller les garçons. Pas question que vous y alliez! C'est trop dangereux! Vous n'avez jamais fait ça, et en plus Papa ne le sent pas! Ton père non plus, Masao!
Hideyuki intervint, posant le bras sur celui de sa soeur. Ils communiquaient par un simple regard, ils y étaient habitués. À l'instar de leurs parents, ils savaient toujours ce que l'autre pensait, nul besoin de mots pour exprimer ce qu'ils ressentaient. Sachant ce qui se passait, les trois autres enfants restèrent silencieux, se contentant d'observer en silence.
Au bout d'une longue minute, Natsumi fit disparaître sa massue et soupira bruyamment.
_ Très bien, les garçons. Mais Rumiko et moi, on vient avec vous pour assurer vos arrières.
_ Pas question! tonna Genzo, imitation parfaite de son imposant père. C'est nous que ça regarde, pas vous!
Natsumi, plus petite que lui de cinquante bons centimètres, se planta à ses pieds, une expression résolue et fermée sur ses traits fins, et martela, le regardant droit dans les yeux:
_ On vient avec vous, que ça vous plaise ou non. Si ça ne vous plaît pas, on peut toujours aller voir Papa et oncle Mick.
Genzo soupira de frustration, mais Hideyuki savait que c'était à prendre ou à laisser.
_ D'accord, soupira-t-il. Rumiko...
_ Mon bazooka, je sais, sourit cette dernière avec un air féroce, allant chercher son arme de prédilection.
_ Natsumi...
_ Ne dis rien, grand frère, le coupa-t-elle. J'ai mes massues. Et puis tu sais, oncle Umi m'a appris à poser des pièges également.
_ Quoi? Papa est au courant?
_ Papa non, mais Maman oui, dit-elle malicieusement. Techniques anti-pervers.
_ Ah les filles, grogna Genzo. Allez, on y va avant de se faire griller.