Epilogue – Prendre ses marques
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« T'es une putain d'épine dans mon pied, gamin.
Eren eut un rire nerveux.
– A quel point ? Tu boîtes ?
– Tch ». Levi se détourna de lui.
Avec appréhension, Eren fit quelques pas en sa direction. Il se rapprocha de son dos jusqu'à se tenir près de lui, là où sa chaleur perceptible lui donnait l'illusion de le toucher. Dans un frisson, ses poils se hérissèrent.
« Levi », fit-il d'une voix caressante, à demi-chuchotée dans le calme de la BU.
Eren posa sa main sur lui. Elle glissa de son épaule gauche à son poignet, jusqu'à ce qu'il mêlât le bout de ses doigts aux creux des siens, et qu'il mît le pouce dans sa paume. Puis il se pencha dans le cou hiératique, l'effleurant de ses cheveux.
« Levi... Je peux t'embrasser ? » Il cessa de respirer tandis que les mots mouraient sur ses lèvres.
L'autre tourna la tête, lentement indéchiffrable, prenant le temps de le toiser. Puis il se dégagea, délia leurs mains, passant la sienne sur son épaule gauche – celle qu'avait touchée Eren – et s'éloigna de lui avant de s'éloigner tout à fait.
Eren ne fit pas un pas. De Levi, il avait appris à ne craindre ni le fracas du silence, ni les morsures des mots ; pourtant, il restait tétanisé alors qu'il sentait dévider entre ses doigts leur fil d'Ariane ombrageuse et ténue. Tourner la tête dans ce brouillard dense et filandreux lui coûtait énormément. Sa nuque raidie finit par craquer sous l'effort contraint qu'il lui imposa.
Levi s'était arrêté. Au bout de l'allée, il le regardait.
« Pas ici. »
Eren respira de nouveau, et ce fut comme une bouffée d'air à celui qui manque de se noyer.
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Lorsqu'il sortit des rayonnages, Levi était retourné au comptoir ; assis devant son ordinateur, il enregistrait les emprunts d'un étudiant quelconque, d'une impassibilité inconcevable pour quelqu'un d'aussi sanguin qu'Eren dont les pommettes rougies devaient forcément révéler à tous ce qu'il s'était passé. Levi avait-il seulement été troublé ? Non. Oui, se ravisa-t-il. N'avait-il pas été suffisamment explicite, à sa manière ? Ne lui en avait-il pas montré davantage qu'à tous les autres ? Nerveux, il attrapa le premier livre qui passait pour le feuilleter d'un air qui se voulait concentré. « Pas ici », avait-il dit. Ailleurs, alors. C'était une promesse, non ?
La courte bouffée d'espoir qu'il avait inspirée s'étouffa néanmoins dans un râle. « Pas ici » : mais où ? Mais quand ? Alors même qu'ailleurs, ils ne faisaient que se croiser, qu'ils ne se voyaient qu'ici, et en ces mêmes horaires ? Le regard d'Eren se porta instinctivement sur la pendule. Il retint de justesse le juron sur ses lèvres. Bordel, il était maudit. Bientôt, il devrait partir au travail. Toujours planté devant son rayonnage, le livre entre les mains, Eren tourna quelques pages, piétinant nerveusement le sol en jetant des coups d'œil obliques en direction de l'objet de ses désirs. Objet, mon cul, oui. Vil tentateur. Sombre lutin. Erato de marbre. L'étudiant parti, Levi n'avait pas bougé, ni même tourné les yeux dans sa direction. Après avoir été si près du but, Eren se sentait mis au pied du mur et détestait ça.
À fleur de peau, la nervosité devint rogne et il n'en fallut pas davantage pour qu'Eren prît sa décision. Attrapant son sac, il se dirigea vers la sortie d'un pas ferme. En passant devant l'autre, il se rappela qu'il tenait toujours à la main ce livre dont il ne voulait pas, qu'il touchait presque à contrecœur quand ses doigts palpitaient de la chaleur de son épaule ; soudain son corps fit une embardée alors qu'il le lançait presque sur le comptoir et que leurs regards se croisaient pour ne plus se lâcher que lorsqu'Eren, fier et furieux, serra les dents dans un sourire de bête dangereuse.
Qu'aurait-il fait de plus, s'il avait su que Levi s'était surpris à aimer ça ?
Mais il sortit les mains vides.
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Le lendemain ne fut que la suite logique.
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Eren était peut-être jeune et impulsif – à moins que ce ne fût parce qu'il était jeune et impulsif –, il n'était peut-être pas un foudre de guerre en ce qui concernait ses études, mais lorsqu'il était décidé à obtenir quelque chose, peu d'entre nous se seraient risqués à se mettre en travers de son chemin.
Encore moins pour lui demander si c'était plutôt de la détermination ou de l'aveuglement.
Parce qu'Eren, aussi lent fût-il à ouvrir les yeux, ne rechignait pas à contempler le soleil de plein fouet. Aussi ne comptait-il pas laisser Levi l'ignorer davantage. Qui aurait pu prétendre à une lubie ? Personne. Et surtout pas Levi.
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Aujourd'hui, Eren n'était pas venu pour dormir ; il ne souhaitait pas non plus rester là, désappointé et avide, noyé d'incandescentes envies, aussi brûlantes qu'insatisfaites. Il n'était pas venu pour dormir, et il n'était pas réputé pour être patient. Tandis qu'il le fixait d'une insolence indécente, sans détour ni retenue, le mettant au défi d'agir à son tour, Levi agissait avec toute sa morgue habituelle. Mais quiconque l'aurait vu tressaillir lorsqu'Eren sortit sans un regard en arrière eût compris.
Aujourd'hui, il n'est pas l'heure et Levi le sait. S'il reste, il risque de provoquer un coup d'éclat qui ne profitera à aucun d'entre eux. Depuis la veille – non, depuis qu'il veille – Eren ne pense qu'à cette promesse informulée, qu'à ce baiser fantôme, qu'à Levi ; à l'idée même de le toucher, ses membres tremblent et la nervosité le dispute au ravissement. Mais à l'intérieur, il étouffe de ce silence en fuite, de ce calme prélude à l'orage.
Aujourd'hui, la B.U. a perdu de sa douceur de cocon pour devenir une prison ; alors il préfère s'évader et rejoindre l'échappée romanesque. Après tout, se dit-il alors qu'il fixe l'horizon, c'est ainsi qu'il se sent – romanesque. Il espère juste que Madame Bovary ne s'en mêlera pas. Encore qu'il ne voie guère Levi lui écrire une lettre pleine de larmes et d'hypocrisie.
Son rire silencieux s'étrangle dans sa gorge tandis qu'il approche du bord. La fraîcheur de la barrière lui fait prendre conscience de la moiteur de ses mains. L'espace d'un instant, il s'imagine entendre un pas mais ce n'est que le bruit de son cœur qui bat de plus belle, de son sang qui résonne dans ses tempes. Il rit. Il est fou. Face à lui, une nuée d'étourneaux traverse le campus, son orée et son cœur, erratique et légère. Il ne sait pas vraiment combien de temps il la fixe et se force à la fixer. Parce qu'il sait : il sait que, où qu'il porte les yeux, l'autre fixera l'ombre de son dos jusqu'à ce que, d'un clignement de paupière, il n'efface ce que le battant de la porte n'avait pu effacer. Il sait que, sans même scruter la pendule – cet homme est un être d'habitudes –, il délaissera son poste sans avoir de compte à rendre à personne, au diable les étudiants qu'il fusillera du regard et qui le fuiront d'autant plus mauvais qu'il est enjoué ; oui, il sait qu'il va venir, quitter son havre de solitude ; que, rétif et conquérant, il – non, mieux : il sait qu'il est là.
La porte grince et se referme lentement. Ces pas-là, il ne les imagine pas. Ils sont légers mais trop ardents pour être imaginés.
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Eren se sait chassé mais ne fuira pas ; il se refuse à être la proie. Il est l'affamé. Cela ne le surprend pas lorsqu'une voix l'appelle.
« Eren. »
Le ton est bref, Eren retient un rire nerveux : Levi n'est pas patient, lui non plus. Mais il ne bouge pas ; il en a déjà trop fait. Ce qu'il veut, ce qu'il lui a promis, il va devoir venir le prendre. Un reniflement – désapprobateur ? Eren ne l'ose pas même supposer – retentit.
Cela ne le surprend pas lorsque s'approche une main, qu'elle emprisonne sa nuque à la base de ses cheveux – il se retient de baisser la tête – cascade et dévale son dos de ses doigts impérieux pour pincer sa hanche droite. Quelques centimètres les séparent, et Eren se redresse fièrement avec la toute-puissance de l'appât.
« Eren », gronde-t-on sur sa nuque.
Ses propres mains se desserrent imperceptiblement ; seule la barrière lui échappe. Il l'entend presque ourler ses lèvres d'un sourire narquois et, quoique la tentation fût forte, Eren l'a bien trop attendu pour le lui faire ravaler.
Cela ne le surprend pas lorsqu'il est saisi d'une poigne implacable et qu'il pivote obligeamment, l'obligeant à son tour à lever la tête – hé oui, c'est ça d'être un nain – sans chercher à dissimuler une satisfaction certaine. Comme s'il allait être dupe, de toute façon. L'autre plisse les yeux d'un air retors alors qu'Eren fléchit, attrayant Levi dans son piège.
Cela ne le surprend pas lorsqu'il agrippe ses cheveux qu'il a rassemblés en un chignon, le tordant spasmodiquement ; qu'Eren fond sur lui, l'enlace, quoique cela tienne davantage de l'enceinte tant sourd la soif de ses bras possessifs ; qu'enfin Levi, soufflant le chaud et le froid, l'embrasse morfondu et dévorant de fièvre contenue.
Qu'un soupir de contentement leur échappe, qu'il emporte avec lui détresse, flegme, solitude, sarcasme et désarroi, non, cela ne les surprend pas.
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Cette terrasse, c'est leur territoire.
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Ils peuvent difficilement passer à « l'étape supérieure », comme qui dirait. Ils se croisent, s'appréhendent, s'assimilent et se séparent. Puis recommencent. Eren ne compte pas attendre qu'ils s'en lassent et, puisque l'occasion ne se présente pas, rien n'empêche de la provoquer. Il faut dire que, si leurs horaires et activités leur ont permis de se rencontrer, ils n'en sont pas moins difficiles à concilier.
Finalement, ils vont chez Levi. C'est un oiseau de nuit qui dort peu. Un soir, il vient prendre un verre avec lui à la fin de son service. Eren cache difficilement son excitation allègre ; la nervosité viendra plus tard, lorsqu'Ymir, pas dupe, lui laissera les clefs « pour qu'il profite de son rendez-vous avant de fermer », tapotant maternellement son épaule. Son visage prend feu ; le clin d'œil gouailleur, évidemment, n'est pas pour arranger les choses.
Levi ne fait pas mine de regarder ailleurs pour lui laisser le temps de se reprendre ; il est bien trop heureux de s'amuser à ses dépens. Si même sa patronne s'y met… De qui d'autre devrait-il obtenir la bénédiction ? Eren est vraiment un oisillon. Comme un coucou – tu sais ? de la famille des cuculidae ? –, il a des nids partout, et tous prennent soin de lui.
Mais c'est un simple constat, plus cordial que moqueur.
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La suite de la soirée, Eren l'a tellement attendue qu'il ne sait pas à quoi s'attendre. Ils rentrent (ou plutôt : « on rentre ? », et cela résonne encore au creux de son cœur alors qu'il acquiesce, ferme tremblant boutique et le rejoint sur le trottoir enjoué). Ils marchent côte à côte le long du chemin qu'il découvre, promenant ses yeux sur les trottoirs étroits au fil des pas d'Ariane, la promeneuse muette aux lampadaires balbutiants.
Ils ne se tiennent pas la main, évidemment. Pas de gestes affectueux. Mais Eren sait que ce n'est pas tant ce qu'il fait que ce qu'il ne fait pas qui importe. Le dragon ne l'ignore jamais. Un coup d'œil, aussi minime soit-il, suffit à lui faire comprendre qu'il a remarqué, non, attendu sa présence – de quoi se rengorger plus que de raison, sauf que personne ne s'en aperçoit et qu'Eren pavoise dans le vide. Pas grave, il se pavane quand même et ne s'en fatigue même pas : il devrait.
Levi ne lui fait pas peur. Oh, certes, c'est un véritable engrenage, dont la beauté du mécanisme égale sa complexité ; Eren est d'autant plus fier de l'avoir décrypté. Le mode d'emploi est légèrement tordu : hors les murs, loin du sacro-saint silence de la B.U., Levi aime foncièrement disputer avec lui. Il chicane, provoque, nargue et néanmoins ne le veut jamais blesser. Sa vie manque cruellement de répondant, aussi est-il sous ses dehors polaires plutôt taquin que méprisant. Il ne supporte ni les faibles, ni les fourbes, encore moins les fieffés imbéciles. Ce qu'il souhaite à ses côtés, Eren le sait parce qu'il s'y sent vivant, flamboyant, c'est élever pour en faire son égal celui qui ose et sait lui répondre.
Alors sans cesse Levi vient le débusquer sans l'étouffer, faisant preuve d'une patience sans égale pour attiser les braises. Oui, aussi tordu que cela soit, Levi aime à jouer avec lui – Eren n'est que trop content d'étinceler entre ses mains et de rejoindre son foyer.
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C'est la première fois qu'il vient chez lui. Il n'a pas vraiment cœur à observer sa demeure ; il est bien trop obsédé par lui. Ce serait façade et Levi les déteste.
Celui-ci prend ses vêtements (sauf son boxer qu'il ne lui donne pas), les fourre dans la machine à laver : ils seront propres demain. Comptez sur lui pour penser à ça, même – surtout au mauvais moment. En échange, il lui passe un grand t-shirt qu'il ne met pas. En lieu et place, une angoisse nauséeuse l'étreint ; Eren ne peut se départir d'une certaine gaucherie, déchiré entre ses désirs frustes et la conscience aigüe de son impéritie.
Lorsqu'à son tour Levi se change devant lui, altier jusque dans l'ordinaire, Eren se sent comme un jeune puceau – ce qu'il n'est pas loin d'être. L'homme s'amuse de son trouble, de sa respiration rapide (est-il asthmatique ?), de la distance qui les sépare (ses yeux en disent plus que ses mots). Inexplicablement, Eren rit et l'embrasse, dans une bouffée vorace tandis que l'autre se prend au jeu et les devants –
Il l'aime rétif et cabré, il le sait. Alors, par bravade, il recule devant lui mais refuse que son dos rencontre le mur ; il l'attend de pied ferme – si ce n'était que ça.
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Leurs gestes sont fiévreux mais sans précipitation ; Eren ne saurait pas comment s'y prendre, et surtout, ils n'en ont pas parlé avant, alors, ils se contentent de s'embrasser. De se toucher. Le plus possible. Se croiser, s'appréhender, s'assimiler. S'assimiler.
Ils roulent sur le lit.
« T'es lourd. » Eren se laisse tomber à ses côtés, le souffle court.
Levi bascule soudainement sur le flanc ; Eren ne s'y trompe pas. Il ne se rapproche pas immédiatement ; de sa main, il remonte le cours de sa colonne vertébrale, soulevant le t-shirt comme il effleure son dos noueux de ses doigts fébriles, cartographie son torse et le fait trembler d'une caresse appuyée. Puis il enjambe le ravin qui les sépare et, tandis qu'il se colle à lui, à ses reins soudain cambrés, il lui ôte son tee-shirt, plongeant son nez dans ses cheveux, au-dessus de l'undercut.
C'est chaud, son dos contre son torse, leurs cuisses qui s'appellent, se rejoignent et collent faisant fi des frontières, son bas-ventre qui tressaute d'envie, de désir contraint dans son boxer avide ; c'est chaud, et délicieux. Que ça ne s'arrête jamais.
Eren passe un bras sous l'oreiller ; sa main gauche et sa bouche, quant à elles, repartent en exploration. Elles éraflent, caressent, happent et s'attardent ; l'une d'elles, plus téméraire, glisse sous l'élastique et, quand il entend Levi gémir, se tendre à son contact, Eren se sent pétri d'un contentement sans borne et d'un désir furieux. Il se rapproche encore davantage si cela est possible, il l'accompagne dans et de ses mouvements incontrôlés, les reins animés d'une fièvre palpitante. Sa main gauche est moite – est-ce par nervosité, est-ce sa queue brûlante et lourde ? Est-ce Levi ravagé, qui halète ainsi entre ses doigts ? Il laisse échapper des bruits étranglés, quelle étrange créature, pense Eren avec adoration tandis qu'il se perd dans ses souffles erratiques, tandis que leurs mains deviennent jointes et que le poing de Levi se serre convulsivement sur la sienne, tandis que le contact devient douloureux sous la friction, qu'il se raidit dans un râle et les draps épars, tandis que, d'un élan fruste, leur corps s'encastre –
Le temps d'un souffle, d'une pause indolente, avant le halètement.
Eren hésite sur la marche à suivre. Contre lui, Levi s'ébranle d'un frisson, ses membres reprenant leurs esprits.
« Vas-y », gronde-t-il – son amant.
Levi achève d'ôter son propre boxer ; gigotant, il se rend compte qu'il n'a pas assez de latitude pour faire de même avec celui d'Eren, grogne :
« Enlève le tien. »
Eren s'exécute, gémit, s'enfouit dans le cou de Levi, collé à son cul. Il ne sent même pas l'autre essuyer sa main d'un mouchoir : sa main, dont les spasmes enserrent son torse ; sa main, qui remonte jusqu'à son cou comme des vagues s'écrasent et refluent et emportent, émus et mouvants, le corps et l'homme, pâle, nerveux ; sa main leurs corps qui se confondent qui pantellent et qu'il voudrait parler, mais pour dire quoi? l'inextinguible faim et ses morsures acculées, les élancements écrits, les, le choc incrédule –
Eren hoquette, de plaisir et de stupeur mêlés.
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Étourdi, il met quelques instants à détendre ses muscles lascifs et crispés. Récupérant l'usage de son bras douloureux, il songe soudain à délivrer Levi de son entrave, Levi au corps chaud et glissant, glissant sur le grain de sa peau. Il traverse du même coup l'empreinte de ses pas, de sa gourmette dont il effleure désolé les aspérités de la pulpe des doigts. Baisant son dos du bout des lèvres, le front sur son épaule, Eren s'excuse d'avoir serré à l'étouffer.
Il ne mentionne pas que, s'il le pouvait, il ne le laisserait jamais, jamais s'échapper.
« Est-ce que je me suis plaint, morveux ? J'ai l'air d'un prince en détresse ? »
D'un regard impérieux, Levi lui tend un mouchoir. Eren échappe un rire nerveux ; il essuie consciencieusement son amant – qui n'a rien d'un prince mais tient tout du dragon, finalement – d'un geste idolâtre.
Levi finit par se lever, faisant craquer son dos. Eren reste blotti, alangui mais allègre ; il plonge la tête dans l'oreiller et inspire profondément, les yeux fermés, se repaissant de la couleur de leurs ébats qui peuplent ses paupières. Il se laisse bercer par les bruits d'eau de la salle de bain voisine, sans néanmoins sombrer dans le sommeil : patience. Quand Levi revient, il est toujours nu, nimbé de majesté, dénué de sueur. Il se dirige vers sa commode dans laquelle il attrape un boxer propre qu'il enfile. Puis il se tourne vers lui, promène son regard sur son corps – non, il le reluque de haut en bas, manquant de le faire rougir, ce qui est tout à la fois aberrant mais logique puisqu'il s'agit d'Eren, puis referme son tiroir.
« Tch. Tu amèneras les tiens ».
Les larmes lui montent aux yeux à la promesse des à venir.
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Par la suite, il y eut d'autres marques. Il fallait toujours qu'Eren le serrât comme s'il allait disparaître dans l'instant. Son poignet porta pendant une semaine la trace d'un bracelet de chair ; parfois, c'était l'ombre de ses doigts sur les hanches, le souffle de ses mains haletant dans son dos, la frénésie de ses reins et de sa crête iliaque. Il marquait vite et longtemps, pour le plus grand plaisir d'Eren qui alternait dévotion et suffisance à l'idée d'être celui-là même qui – il n'osait pas même le penser, de peur que cela le fît fuir.
Mais Levi ne semblait pas se lasser d'être ainsi réclamé. Il arborait les marques comme il porterait un boxer qui dépasserait ; avec naturel et confort. De toute manière, bien fou celui qui oserait lui faire une remarque.
Et puis, encore fallait-il oser le regarder de près.
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Levi n'était pas en reste, à vrai dire ; laisser des marques n'est pas l'apanage d'Eren.
Comme ce bleu, lorsqu'il s'était pris une claque sur le nez parce qu'il l'avait reniflé de trop près et qu'ils s'étaient battus, roulant sur eux-mêmes, jusqu'à s'embrasser pour se faire taire mutuellement. Ou cette morsure à la nuque qui lui en avait fait voir de toutes les couleurs, pendant, après (car Eren, lui, se laisse facilement embarrasser) ; ou quand, d'un geste impatient, il l'avait plaqué au mur, le cognant –
De toutes les manières possibles, Levi parvient toujours à lui faire voir les étoiles.
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Un dernier conseil lecture pour la route… (qui n'est pas des plus drôles, en revanche) : Madame Bovary, de Gustave Flaubert. A un moment, Rodolphe, son amant, quitte Emma en lui adressant une vieille lettre hypocrite (mais quel crevard). Il y jette même quelques gouttes d'eau pour faire style il a pleuré, le pôvre.
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Ça y est, c'est la fin de Son Orée et son cœur (p'tite larme à l'œil). J'espère que vous aurez pris plaisir à la lire. Pour ma part, ce fut une sacrée expérience, car j'aurai mis un point final à une histoire pour la toute première fois. J'aime tout particulièrement ce chapitre. Si vous voulez en savoir plus sur la relation d'Eren et Levi (moi-même, j'étais frustrée d'en rester là) venez jeter un œil à la série de vignettes que je publierai à part : elle s'appellera Jusqu'à la lie.
Merci à tous ceux qui ont laissé une trace de leur passage.
Bises.