Titre original : Suffer me to go my own dark way (texte original disponible sur AO3)
Auteur : Coalitiongirl
Traducteur : hotladykisses (avec l'autorisation de l'auteur)
Classement : M
Note du traducteur : Voici une histoire que j'ai adoré lire et que j'ai trouvée très sexy, avec Emma face à la fois à Regina et à la Méchante Reine - et attirée par les deux ! Elle comporte notamment une scène d'anthologie à laquelle je pensais encore des semaines après l'avoir lue (patience, elle se trouve vers la fin…)
Cette histoire fait une centaine de pages mais ne comporte que trois chapitres, j'ajouterai donc quelques épisodes chaque semaine, à mesure de mes dernières corrections et relectures. J'espère qu'elle vous plaira autant qu'à moi !
HLK
Chapitre 1
― Hm, jolie robe, dit Emma, dont les yeux papillonnent vers le bas avant qu'elle ne les en arrache pour regarder à la place le visage de Regina en clignant des paupières.
― Est-ce que c'est une sorte de… d'exercice donné par Archie ? Je sais que vous êtes plutôt déprimée depuis l'épisode où vous avez réduit en poussière le cœur de votre alter-ego maléfique mais… Henri ne vous a pas vue comme ça, si ?
Ses yeux s'égarent de nouveau vers le bas.
Regina semble amusée.
― Tu parles trop, dit-elle en la frôlant pour entrer dans la maison. Peut-être cela fait-il partie de ton charme.
― Mon charme ? répète Emma en lui emboîtant le pas. Regina est d'une drôle d'humeur on dirait. Dites, vous voulez… à boire ou quelque chose ?
Regina se retourne de nouveau, très brusquement, et Emma manque de l'emboutir.
― Qu'est-ce qui vous arrive ? dit-elle en fronçant les sourcils, et soudain les doigts de Regina s'enfoncent douloureusement dans ses joues. Elle tire Emma en avant par la prise qu'elle a sur son visage et l'inspecte comme si elle examinait un fruit à l'épicerie. Emma est tout à fait perplexe. Un peu confuse. Et excitée à un point embarrassant.
Regina penche la tête de côté, une dangereuse lueur d'intérêt soudaine dans les yeux, s'avance sans crier gare et embrasse –
– Oh mon dieu –
– embrasse férocement Emma sur la bouche. Emma chancelante manque de reculer sous le choc et puis l'embrasse à son tour avec tout autant d'ardeur, ses mains descendent le long du satin lisse et brillant de sa robe pour l'attirer plus près tandis que la bouche de Regina lui coupe le souffle. Et elle fantasme plus ou moins là-dessus depuis des années mais ça n'a jamais été tout à fait comme ça dans sa tête. Il n'y a aucune gentillesse dans le baiser de Regina, rien de cette valse-hésitation qui a marqué leur relation. Pas la moindre hésitation et Regina entièrement en mode domination qui la plaque contre le mur tandis qu'elle fait sauter les boutons de sa chemise et s'engouffre dans la brèche.
Et Emma est tout à fait prête à lui rendre la pareille. Elle se presse contre elle, plaque les mains sur la poitrine de Regina, ce qui tire de cette dernière un petit bruit de surprise, sourit largement le visage dans le cou de Regina, et la hisse sur la table de la cuisine, faisant glisser sa robe ridicule d'une de ses épaules pour la mordre délicatement.
― Je vois pourquoi tu as fini par lui plaire, ronronne Regina tout en arrachant un nouveau bouton de la chemise d'Emma.
Voilà qui est… bizarre, mais Emma ne va pas se mettre à se poser des questions sur ce qui pourrait bien n'être au final qu'un rêve sur le canapé après trois paquets de chips si elle y réfléchit trop. A la place, elle dit d'une voix haletante « Vous me devez une nouvelle chemise », et espère de toutes ses forces que ce rêve ne finisse jamais –
– surtout pas avec son (oups) petit ami en train de se racler la gorge à la porte de la cuisine.
― Pas maintenant ! gronde Regina en balançant sur Killian une vague de magie qui le renvoie tout droit dans le salon. Emma émet un vague bruit d'inquiétude et Regina l'embrasse étroitement, chasse jusqu'à la dernière pensée de son esprit en un instant et Emma se colle à elle et lui pose sur les fesses des mains appréciatrices.
― Oh, tu me plais vraiment ! dit Regina d'une voix rauque tandis que leurs jambes se mêlent. Elle est redescendue de la table à présent, et il manque à leurs baisers quelque chose qui fait tourner la tête d'Emma quand elle y pense, mais elle ne remet rien en question. Ni Regina qui l'enveloppe d'une étreinte possessive, ni Regina qui lui mordille le cou et la naissance des seins, ni Regina enfin dans ses bras.
Pas avant qu'une voix dangereuse ne retentisse derrière elles et ne fasse s'écarter Emma de Regina d'un bond, horrifiée de la reconnaître.
― Lâche-la ! dit une deuxième Regina – sa Regina – depuis la porte, les yeux rétrécis et les mains tendues en un geste menaçant tandis qu'elle observe la femme aux côtés d'Emma.
La Méchante Reine se met à rire et un de ses bras se glisse de nouveau autour de la taille d'Emma, qui frissonne de désir renouvelé. Le regard de Regina est brûlant, et glisse jusqu'à la chemise ouverte d'Emma pendant un furieux instant.
― Non, dit la reine en passant sa main libre dans les cheveux d'Emma.
Celle-ci soupire et se laisse aller malgré elle. Le front de Regina se plisse.
― Je garde ce qui est à nous.
Regina les regarde en clignant des yeux et putain, voilà qui est embarrassant, cette façon qu'a la Méchante Reine de pouvoir faire d'Emma tout ce qu'elle veut. Elle ferait vraiment mieux de juste… s'écarter.
― Elle n'est pas à vous ! gronde Killian, de nouveau sur pied et qui rôde à une distance prudente derrière Regina. Elle est à moi !
Les trois femmes tournent vers lui un regard incrédule. Il bat en retraite. Emma dit :
― Killian, je crois que tu ferais mieux de t'en aller.
― Oui, allez-vous-en, ricane la reine dont la main descend sur Emma et se plaque sur son…
Oh ! Les joues d'Emma sont rouge vif à présent, bien qu'elle ne puisse dire à ce point si c'est d'humiliation ou de désir.
― Sortez d'ici, lui marmonne Regina d'un ton sans réplique. Il sort d'un pas chaloupé en leur jetant à toutes un regard noir.
― Emma, dit Regina d'une voix soigneusement égale, ensemble nous pouvons l'arrêter.
La Reine a un sourire oblique.
― Elle n'a pas envie que j'arrête.
Elle lèche le contour de l'oreille d'Emma, et Regina la regarde faire avec un regard douloureux, d'une certaine façon, et soudain être séduite par la Méchante Reine n'est plus aussi excitant.
― Quel dommage que tu aies perdu tout ce temps… A quoi ? A être son amie ?
Elle rit.
― Tu aurais pu la goûter à la place.
― Emma, dit Regina en se concentrant, déterminée à ignorer la reine. Sa voix est douce quand celle de la Reine est dure et riche, et Emma s'efforce de la regarder au lieu de se focaliser sur les mains de la Reine qui sondent son intimité à travers ses vêtements. Le regard de Regina est orageux mais toujours assez facile à déchiffrer et Emma hoche lentement la tête, se préparant pour une attaque coordonnée.
La Reine renifle avec mépris.
― Je t'en prie. Je suis toujours toi, Regina. Le moindre plan – le moindre calcul, le moindre désir – rien n'a de secret pour moi.
Elle caresse les cheveux d'Emma qui se retourne, croise son regard et se fige.
Sous la coiffure extravagante et le maquillage agressif, ce sont toujours les yeux de Regina qui lui renvoient son regard. Il y a en eux quelque chose de dur et de malveillant, mais la Reine sourit et Emma frissonne de la sombre mélancolie sous la surface.
― Elle a gâché toutes les chances que nous avons eues avec toi, souffle la Reine, et tu la choisirais quand même ?
― C'est Regina, dit Emma impuissante, jetant un regard par-dessus son épaule à l'autre bout de la pièce. La Reine est focalisée sur elle mais tout aussi consciente de Regina en train de traverser la cuisine qui se rapproche lentement d'elles à pas mesurés.
― Je… choisirai toujours Regina.
La reine ricane, nullement impressionnée.
― Croyez-vous que je ne sois pas Regina, mademoiselle Swan ? demande-t-elle avec une cadence si familière qu'Emma se sent fondre un peu. Croyez-vous que je ne la connaisse pas sur le bout des doigts ?
Elle se détourne si soudainement qu'Emma renâcle à la perte de son étreinte tandis qu'elle change de position pour accueillir l'approche de Regina en lui effleurant le cœur d'un doigt.
― La moindre peur, roucoule-t-elle, le moindre ressentiment. Le moindre espoir broyé et tombé en poussière.
Elle serre le poing mais Regina ne bronche pas, se contente de la contempler de ses yeux sombres.
― On ne peut pas nous séparer, dit-elle d'un ton moqueur. On ne peut pas nous couper proprement en deux comme le poignet d'un pirate.
Elle fait courir ses phalanges le long de l'arc de la mâchoire de Regina, le regard avide. Les yeux de Regina aussi sont avides, et Emma prend une inspiration et lui pose une main protectrice sur le poignet.
― Tu fais partie de moi, murmure la reine. Et je fais partie de toi.
Voilà des semaines qu'elles pensaient avoir éradiqué la moitié de ce qu'est Regina, et Emma a été témoin de tout – la frustration de Regina face à sa propre indécision, Regina dont les moindres aspérités ont été rabotées et perdue sans elles, Regina qui culpabilise, toujours prête à pleurer et à s'apitoyer sur son sort au lieu du feu inflexible qui l'habitait auparavant. Regina contemple cette partie d'elle-même avec crainte et détestation, et tellement de désir qu'elle est tétanisée sous les doigts d'Emma, tremblante et brûlante tandis que la Reine la prend par le menton et pose les lèvres avec le plus grand soin sur celles de Regina.
― Oh là, dit Emma les yeux écarquillés. Regina reste immobile, les mains rigides à ses côtés, et ne répond pas plus qu'elle ne s'écarte. Au lieu de cela, c'est Emma qui la tire à l'écart lorsqu'elle finit par retrouver le contrôle de ses facultés en présence de la Méchante Reine, et Regina reprend brusquement son souffle en battant en retraite vers Emma.
― Lâche, dit la reine d'un ton suffisant en les regardant reculer vers la porte. La main de Regina serre plus fort celle d'Emma. Elle semble plus terrifiée qu'Emma ne l'a vue depuis le jour où Henri a tendu son cœur à Peter Pan.
― Trop effrayée pour te joindre à moi, soupire-t-elle. Trop effrayée pour lui avouer la vérité à elle.
Elle esquisse vers Emma un geste plein d'ennui.
― La vérité, répète Emma. Quelle vérité ?
― Emma, contentons-nous de partir, siffle Regina en fusillant de nouveau du regard son autre moitié. Mais le ton égal qu'elle avait plus tôt a disparu à présent, remplacé par une incertitude tremblante qui ne lui va pas du tout.
― On en viendra à bout une autre fois.
La Méchante Reine éclate d'un rire mélodieux, riche et terrifiant.
― A bientôt, Em-ma.
Elle souffle son nom comme le fait Regina lorsqu'elles se disputent, un ronronnement séducteur qui titille quelque chose au plus profond des entrailles d'Emma.
― Nous n'en avons pas fini toutes les deux.
Elle tord le poignet d'un geste théâtral et s'évanouit dans un nuage de fumée violette, et Emma ne peut que contempler bouche bée l'endroit où elle se tenait, confuse et débordante de frustration sexuelle.
Elle n'a pas le loisir d'épiloguer sur cette rencontre cependant, pas alors que Regina poings serrés et tendue est résolue à protéger tous ceux qu'elle aime de la Méchante Reine.
― La magie du sang ne l'arrêtera pas, dit-elle en faisant les cent pas lorsqu'elles se retrouvent plus tard dans la soirée pour combattre les ectoplasmes au service de Hyde. Elle peut franchir toutes les barrières que je peux traverser. A part m'enfermer chez moi avec Henri…
― J'ai besoin de vous, dit aussitôt Emma.
Regina la regarde en clignant des yeux. Emma sent sa nuque chauffer sous son regard interloqué.
― Je veux dire… Pour combattre les marionnettes de Hyde. Dieu sait ce qu'il va encore nous lâcher dessus depuis le pays des contes oubliés. Je ne peux pas faire ça toute seule.
Les doigts de Regina remuent nerveusement contre sa taille.
― Vous avez Zelena.
― Il me faut plus que Zelena pour affronter les… trois mousquetaires maléfiques. Ou tous les ectoplasmes. Ou le frère du docteur Whale.
Elle fronce le nez.
― Tous les bouquins que j'ai évité de lire au lycée.
― Vous avez laissé tomber le lycée.
Naturellement Regina est au courant de cela, même si elle masque la note réprobatrice dans sa voix.
Emma se renfrogne tout de même.
― Oui, eh bien je ne pensais pas vraiment que le cours de littérature m'aiderait à acquérir la moindre compétence utile dans le monde réel. Bien sûr, j'ai aussi fait l'erreur de croire que je serais dans le monde réel pour le reste de ma vie…
Elle s'adosse au mur du bureau du shérif.
― Ce que je veux dire, c'est que j'ai besoin de votre aide. Vous ne pouvez pas rester sur la touche alors qu'on se bat contre Hyde et contre votre moi diabolique.
Elle change de position au souvenir de ce que signifie être contre le moi diabolique de Regina et son ventre se tord. Regina referme les bras sur elle-même et murmure :
― Je suis désolée.
― Vous n'y êtes pour rien.
― Elle sème le chaos partout où elle peut, dit Regina en croisant le regard d'Emma, qui reste prisonnier du sien. Elle… a fait ce qu'elle a fait pour vous mettre mal à l'aise.
― Ouais, dit Emma en se mordant la lèvre. Elle, euh. Pour ça, elle a tout à fait réussi.
Son esprit lui repasse des souvenirs de la Reine – qui manque de la tendresse de Regina, mais toujours si férocement passionnée et exigeante comme seule Regina sait l'être – et de ses mains et ses lèvres sur elle. Elle les refoule avec un sentiment de culpabilité.
― Super mal à l'aise. Pas avec vous, dit-elle hâtivement, et ses mains bougent sans la moindre permission de son cerveau pour prendre celles de Regina. Je sais que vous n'êtes pas elle.
Les mains de Regina sont chaudes bien que son regard soit indéchiffrable.
― Non, dit-elle. Bien sûr que non.
Emma repense à cet instant sur le toit à New York, à ce Je suis désolée que Regina a murmuré à son autre moitié, et au chagrin dans ses yeux lorsqu'elle a broyé le cœur de la Reine.
― Elle vous manque ? se risque-t-elle à demander.
Le regard de Regina revient aussitôt se plonger dans le sien. Emma déglutit.
― Je veux dire… Je ne sais pas. Elle faisait partie de vous.
― Elle était tout ce que j'avais de pire, dit Regina, et le détecteur de mensonges d'Emma bipe.
― Non, elle ne me manque pas.
La vulnérabilité flambe dans ses yeux comme elle l'a fait sur ce toit – Regarde ce que tu es devenue, s'était gaussée la Reine, et Regina s'était retrouvée prisonnière de son regard comme une enfant craintive – et elle détourne les yeux d'Emma.
Emma ne sait pas ce qu'elle ferait sans la part la plus dure d'elle-même – surtout maintenant qu'elle se sent molle en permanence, comme si chaque pichenette, chaque coup porté la pénétrait et la refaçonnait encore et encore, et que seule sa dureté sous-jacente la préservait – et elle a appris à en apprécier tout aussi profondément la valeur chez les autres.
Mais Regina a si désespérément souhaité se débarrasser de la sienne qu'Emma ne dit pas un mot pour remettre cela en question.
Il est bien plus tard dans la nuit lorsqu'Emma s'aventure seule dehors. Regina les fait tous dormir chez elle ce soir – une barrière les scelle à l'intérieur jusqu'au matin afin que la Méchante Reine ne puisse pas s'y introduire pendant qu'ils dorment et tuer Mary Margaret ou elle-même – et le silence a fini par se faire dans la maison. Emma a invité Killian dans leur refuge, mais il a décliné après la conversation qu'ils ont eue un peu plus tôt et qui a… mal fini. Peut-être pas aussi mal que de se faire jeter hors de sa propre maison par la Méchante Reine pour séduire sa petite amie, mais mal.
La maison est bondée à présent, cinq adultes et trois enfants entassés les uns sur les autres, et Emma assez claustrophobe pour se risquer à franchir la barrière afin d'aller respirer un peu d'air frais avant d'aller se coucher. Zelena a l'une des chambres d'amis et ses parents l'autre, ce qui fait d'Emma la seule personne au rez-de-chaussée sur un canapé-lit convertible. Personne ne le remarque lorsqu'elle se glisse dehors dans le jardin au lieu de se coucher et en fait plusieurs fois le tour en respirant l'air frais de la nuit.
― Es-tu vraiment si téméraire, ou est-ce que tu m'attendais, demande une voix traînante derrière elle.
Emma fait volte-face, les mains braquées devant elle et prête à faire appel à la magie.
― Vous rôdiez là dehors pendant tout ce temps ?
La reine sort du couvert des arbres d'un pas nonchalant. Elle porte une tenue plus sombre et plus ajustée ce soir, une robe qui épouse toutes ses formes sans le haut col et le corset rigide de celle de l'après-midi. Sa chevelure rassemblée au sommet de sa tête lui retombe en cascade dans le dos, et ses yeux brillent d'amusement lorsqu'Emma déglutit.
― Non, dit-elle d'un ton traînant, je suis passée voir mon fils et j'ai découvert qu'elle m'avait enfermée dehors. Puis je suis allée chez toi. Où ton petit ami attendait, tout seul.
Elle hausse un sourcil. Emma l'observe, tendue.
― Vraiment sans intérêt, il ne vaut pas la minute qu'il me faudrait pour disposer de lui.
― Ce n'est pas mon petit ami, s'empresse de dire Emma, tout de même soulagée qu'il soit en vie. Je veux dire, on a plus ou moins rompu. Je crois.
La Reine lui tourne autour d'un pas fluide. Ses hanches roulent, ses mouvements sont gracieux et un peu hypnotiques.
― Raconte donc !
― Apparemment, dire à quelqu'un qu'on l'aime et ensuite embrasser la moitié maléfique de votre meilleure amie est… mauvais pour l'ego, d'après lui.
Il l'a agacée à tout ramener à lui alors qu'elle ne savait même pas qui était en train de l'embrasser, et ensuite il lui a balancé sèchement un argument dont il fallait reconnaître qu'il était valide, comme quoi elle avait rendu le baiser, et à présent… Rupture. Semblerait-il.
― Je n'en ai pas parlé à Regina, dit-elle en s'humectant les lèvres. Ni à personne, mais s'il vous plaît, ne le dites pas à…
Elle s'interrompt. La Reine la regarde avec perplexité.
― C'est vrai. Bien sûr que vous allez le faire.
D'une certaine manière, il est facile d'être en présence de la Reine et d'oublier qu'elle n'est pas Regina, que tous ces petits tics familiers et cette voix tranchante, ce n'est pas juste… La meilleure amie d'Emma un peu trop protectrice.
― Je pourrais le tuer, propose la Reine. S'il est devenu une nuisance.
Elle sourit, une lueur chaleureuse dans les yeux à l'idée de tuer, et Emma en est étrangement touchée.
― C'est… gentil, j'imagine ?
Emma fronce les sourcils. Elle sent venir un mal de tête.
― Mais je le préfère en vie, merci.
― Comme tu veux.
La Reine se détourne, ayant de nouveau perdu tout intérêt, et Emma observe la manière dont ses fesses bougent sous le velours moulant avec davantage d'intérêt que ne devrait sans doute en avoir une amie platonique. La Reine fait volte-face, surprend le regard d'Emma et lui décoche un sourire canaille.
― Euh, parvient à dire Emma tandis que la Reine revient vers elle, lui glisse une main autour de la taille et la laisse traîner tout en s'éloignant de nouveau. Ce que je ne comprends pas c'est que… Je suis la Sauveuse. Votre ennemie mortelle, non ? Mais vous n'avez pas essayé de me tuer une seule fois.
La Reine hausse les épaules, un geste d'une humanité inattendue pour un personnage sorti d'un conte de fées.
― Oui, oui. Je finirai par en arriver à Blanche-Neige et à toi.
Son regard est distant. Il y a quelque chose de terrifiant à voir cette copie conforme de Regina, qui prend les choses tellement à coeur, et à lire le détachement dans des yeux qui jamais auparavant n'ont eu cet air détaché.
― Mais d'abord, la femme qui nous a fait ça.
Elle rôde derrière Emma à présent, hume l'odeur de l'arc de son cou, et sa langue pointe pour goûter sa peau.
― Je ne vous laisserai pas faire de mal à Regina, dit Emma d'une voix mal assurée en rejetant la tête en arrière pour offrir à la Reine un meilleur accès. Elle est tout aussi impuissante à lui résister qu'elle l'est face à Regina, tant de choses chez la Reine étant toujours celles qui rendent unique la femme qu'elle… Sa meilleure amie.
Mais la Reine s'écarte d'elle, les yeux étincelants d'une rage soudaine.
― Tu ne me laisseras pas ? Toi ? gronde-t-elle. Tu es une protectrice faible et indigne d'elle, et tu crois pouvoir…
Elle s'interrompt et Emma l'observe, ses mains se tendant à nouveau dans l'attente de son attaque. La Reine fait volte-face.
― Elle croyait pouvoir m'utiliser et ensuite me rejeter ? Et ensuite me broyer le cœur ? Comment ose-t-elle ?
Elle s'avance à nouveau et Emma fait inconsciemment un pas en arrière pour s'appuyer contre un arbre.
― Je vais lui faire payer pour tout ce qu'elle m'a pris, ronronne-t-elle contre les lèvres d'Emma, et celle-ci la désire douloureusement de tout son être.
Il lui faut davantage de force qu'elle ne veut l'admettre pour se détourner d'elle.
― Je ne vous laisserai pas m'utiliser pour faire souffrir Regina, dit-elle tandis que les lèvres de la Reine lui frôlent la joue au lieu de la bouche.
La Reine affiche un air de dédain.
― Soit, dit-elle en se redressant. Et elle s'enfonce à grands pas dans la nuit sans un regard en arrière. Emma l'observe avec regret et s'en veut un peu pour cela.
Elle entre dans la cuisine et se fige. Regina est assise à la table, les yeux sur la porte de derrière, en train de siroter une tasse de thé.
― Bien discuté ? dit-elle d'un ton neutre.
Il n'y a pas moyen qu'elle ait pu entendre ce dont elles parlaient depuis l'autre bout du jardin avec un sort de protection entre elles, mais Emma se tortille tout de même, envahie par un sentiment de culpabilité.
― Si on veut, admet-elle. Ca n'a pas l'air de l'intéresser de blesser ma mère ou moi. Ni Henri, je pense. Je ne la laisserais s'approcher d'aucun de nous mais… On n'a pas l'air d'être sa cible principale, en l'occurrence.
― Rien que moi.
Regina finit son thé.
― Je ne peux pas dire que ça me surprenne.
― Vous croyez qu'elle travaille avec Hyde ? hasarde Emma, désespérée d'échapper au regard noir et morne de Regina qui dit tout et rien à la fois.
Regina secoue la tête.
― Je suis sûre que c'est ce qu'il croit, et ce qu'elle lui laisse croire pour l'instant. Où cela va mener… Je ne voudrais pas être Hyde quand tout cela va finir.
― Est-ce qu'il y a un moyen de… Je veux dire, qu'est-ce qu'on fait d'elle ? s'interroge Emma. Si on ne peut pas l'envoyer ailleurs tourmenter un autre royaume ni lui broyer le cœur…
Cette dernière perspective lui picote la gorge comme s'il s'agissait d'un meurtre, alors qu'il ne s'était agi pour Regina que d'un moment d'affirmation de soi lors de sa première tentative.
Regina frissonne avec une égale révulsion, comme si cette idée la rendait malade à présent.
― Je ne sais pas, dit-elle, et Emma s'assied dans un silence tendu pendant que Regina rince sa tasse et la pose sur l'égouttoir.
Elle se retourne une fois fini, entremêle les doigts en prenant une inspiration, et sa voix est incertaine lorsqu'elle prend la parole.
― Je suis descendue ici parce qu'Henri m'a dit que vous aviez l'intention de dormir sur le canapé.
― Oh. Oui, peu importe.
Emma hausse les épaules.
― Entre le divan et partager la chambre d'un gamin de treize ans…
― Vous pouvez partager la mienne, s'empresse de dire Regina, et Emma la dévisage. Les joues de Regina prennent une chaude nuance brun clair. Je veux dire, il y a toute la place et je ne vois pas… Ce qui nous en empêche. Vous n'avez certainement pas à passer la nuit sur le canapé parce que j'ai insisté pour que tout le monde dorme ici.
Elle hausse les épaules, un geste plus naturel de sa part que chez la Méchante Reine.
― Et je pensais que vous viendriez avec Crochet, mais…
― Ouais.
Emma se mâchonne la lèvre, également nerveuse.
― Euh. Ca serait super, merci. Si ça ne vous dérange pas ?
― Bien sûr que non, dit Regina en lui adressant un sourire sincère. Laissez-moi vous installer.
Elle la conduit à l'étage, le sac d'Emma à la main, et il n'est ensuite plus question de la Méchante Reine, rien que d'elles deux évoluant l'une autour de l'autre dans la chambre de la maîtresse de maison tandis qu'elles s'apprêtent à se coucher.
Le lit de Regina est probablement le plus confortable sur lequel Emma se soit jamais allongée. Elle s'étend de son côté, pose la tête sur l'oreiller et observe la fin de la routine nocturne de Regina. Elle vient de se démaquiller et lorsqu'elle se met au lit, Emma hume une bouffée de cette coûteuse lotion pour la peau qu'elle n'associe qu'à Regina. Elle porte un pyjama de satin et se blottit de son côté en croisant le regard d'Emma qui lui sourit depuis l'autre bout du lit.
― Vous avez vu le devoir de maths d'Henri ?
C'est d'une parfaite banalité, et Emma respire plus facilement à chaque moment ainsi en présence de Regina.
― Ouais. Notre fils déchire au collège.
Elle remue les sourcils.
― Et il se débrouille bien aussi avec les filles. Il avait un rencart cet après-midi !
― Argh, grommelle Regina avec bonne humeur. Ne m'en parlez pas. Je maintiens l'interdiction des rendez-vous galants après huit heures du soir jusqu'à ce qu'il soit sorti du lycée.
― Parfait, approuve Emma.
Une pensée lui vient.
― Donc…
Elle regarde Regina en plissant les yeux.
― Quand vous nous avez envoyés loin d'ici à cause du sort de Peter Pan et donné de faux souvenirs…
― Mmm.
Leurs mains dérivent l'une vers l'autre presque inconsciemment. Emma entrelace les doigts à ceux de Regina et les serre.
― C'est juste que… Vous savez, après coup, je me suis dit que ça aurait été un moyen vraiment simple de lui implanter des souvenirs d'une discussion sur le sexe sans qu'il ait vraiment fallu l'avoir. Et Henri avait le bon âge et tout.
Elle jette un regard soupçonneux à Regina. Ses paupières sont baissées et il y a l'ombre d'un sourire narquois sur son visage.
― Peut-être que vous n'y avez simplement pas pensé. C'était une période mouvementée.
― Peut-être, murmure obligeamment Regina.
Emma la dévisage, bouche bée d'indignation.
― Vous avez fait exprès de laisser ça pour moi, n'est-ce pas !
Cela a été… Sans doute l'expérience la plus embarrassante de toute sa vie, à l'exception peut-être de ce moment un peu plus tôt dans la journée où Regina est entrée et l'a trouvée en train d'embrasser la Méchante Reine.
Regina, l'air satisfait, reste sur ses positions.
― Vous ne pouvez rien prouver, rétorque-t-elle, l'ébauche de sourire narquois toujours aux lèvres.
Les yeux d'Emma se rétrécissent et pour plaisanter, elle dit sans réfléchir :
― Je parie que la Méchante Reine me le dirait.
Il y a un moment de tension où tout se fige. Les yeux de Regina s'assombrissent et Emma retient son souffle tandis que la Méchante Reine les surplombe comme un nuage de cendres qui flotte, prêt à tout dévaster sous lui. Et puis Regina lève les yeux au ciel et Emma soupire si fort que Regina en sourit presque.
― Très bien, oui. Oui, je l'ai fait exprès. Ce n'était que justice.
― Quoi ? glapit Emma d'une voix que le soulagement rend trop aiguë. Qu'est-ce que j'ai fait ?
― Vous avez eu ma fin heureuse avec mon fils ! accuse Regina. Puisque vous alliez avoir cela alors que moi je serais misérable, je comptais bien vous donner au moins un peu de fil à retordre.
Elle sourit avec satisfaction.
― Je n'ai aucun regret.
Leurs mains sont toujours entrelacées et Emma lui pince brusquement la paume.
― Vous êtes horrible !
Il y a un nouveau moment de silence et Regina hausse les sourcils.
― Je peux difficilement être horrible, dit-elle dans une pâle tentative pour répondre d'un ton léger. J'ai extirpé de moi à peu près tout ce qui l'était, vous vous souvenez ?
Emma ironise.
― Ah oui. La fameuse, la terrible Méchante Reine qui semble surtout vouloir… Vous savez.
Elle s'interrompt, embarrassée.
― Me séduire.
Le regard de Regina se voile, lourd et amusé, et Emma croise les jambes sous la couverture.
― Ca ressemble en effet à sa façon de faire, dit Regina tandis que son pouce trace des motifs sur la paume d'Emma.
Emma frissonne, l'air entre elles de nouveau chargé de tension d'une nature différente.
― Alors…
Elle s'humecte les lèvres. Regina suit des yeux le passage de sa langue et Emma déglutit.
― C'est comme ça que vous en avez subjugué des milliers ? Vous les mettez sur votre table de cuisine et…
Elle serre les jambes un peu plus fort l'une contre l'autre.
L'expression de Regina alterne entre le chagrin, l'embarras et l'amusement persistant face à la mésaventure d'Emma.
― Non, admet-elle. J'étais… J'ai utilisé les gens pour leur faire faire ce que je voulais, mais j'ai rarement senti le moindre désir de…
Ses joues sont deux tons plus sombres que d'habitude et elle change soudain de position afin de pouvoir détourner le regard d'Emma.
― Les mettre sur ma table de cuisine, achève-t-elle, les doigts glissant de ceux d'Emma.
Emma laisse sa main là où Regina l'a abandonnée, la paume encore brûlante de son contact.
― Alors c'est moi qui suis spéciale, dit-elle avec un rire d'autodérision.
Elle était plus malléable peut-être, moins résistante, trop avide et embarrassante, et oh mon dieu, Regina le sait.
Mais Regina se retourne pour croiser son regard et le retient, avec sur le visage quelque chose d'à la fois chaleureux et d'un sérieux absolu.
― Oui, murmure-t-elle en tendant la main pour poser des doigts légers sur la pommette d'Emma.
Son pouce rejette en arrière une boucle de cheveux et il fait à Emma l'effet d'un trait de feu sur sa peau.
― Vous l'êtes.
Elle ferme les yeux, estimant la conversation finie, mais ses doigts restent sur la peau d'Emma. Celle-ci ferme les yeux et sent Regina se rapprocher jusqu'à ce qu'elles respirent le même air. La respiration de Regina s'égalise et Emma fait de son mieux pour l'imiter, mais lorsqu'elle ouvre les yeux quelques minutes plus tard, elles ne dorment ni l'une ni l'autre.
Elles ne discutent pas du lendemain matin – de Regina enroulée autour d'Emma, de la main d'Emma sous la chemise de Regina et du moment où Emma s'est réveillée, a souri paresseusement, perdue dans un rêve, et s'est penchée pour l'embrasser. Elle s'est écartée en sursaut tout aussi vite et Regina a rougi et couru sous la douche. Emma est sortie de la pièce d'un pas chancelant, sous le choc, et a failli emboutir une Zelena au sourire narquois.
― Folle nuit ? demande-t-elle d'un ton traînant avant de descendre pour le petit-déjeuner.
Bref. Elles n'en discutent pas. Elles sortent plus tard afin de dresser une nouvelle barrière autour de l'école d'Henri pour empêcher la Reine d'entrer et se contentent prudemment de parler boutique.
― Henri ne quitte pas le bâtiment jusqu'à ce que j'arrive…
― Il vous faut un mot de passe, propose Emma.
Regina la regarde en clignant des yeux.
― Un mot de passe ?
― Elle est votre sosie, vous vous souvenez ? Quelque chose qui permettra à Henri de savoir que c'est vous.
― Ah, oui.
Regina est déstabilisée à présent, désorientée comme jamais elle ne l'a été avant cette nuit-là sur le toit. Ce n'est pas uniquement la présence en ville de la Méchante Reine qui cause sa détresse – c'est la part d'elle-même qu'elle a abandonnée en se scindant en deux.
Elle a la larme facile ces derniers temps, elle qui se maîtrisait bien mieux auparavant. Emma est entrée dans le bureau du maire une demi-douzaine de fois pour le déjeuner et y a trouvé Regina les yeux rougis et ébranlée, en proie à un désespoir sans nom dont elle n'a pas été capable de la libérer.
Elle a eu envie de la prendre dans ses bras. Mais elles… ne pratiquent pas l'accolade. Jamais. A la place, Emma lui a pris les mains et Regina avec un pâle sourire lui a dit « Il faut juste que je m'y fasse » et a accepté de voir Archie avec un minimum de persuasion.
La Méchante Reine a fait ressortir davantage de désespoir et aussi de détermination chez Regina, et Emma marche à ses côtés et l'observe avec une admiration muette tandis qu'elle aboie de nouveaux ordres. Il manque toujours quelque chose – quelque chose qui attirait Emma autant que Regina l'attire à présent – mais penser à cela veut dire penser à l'incident de la table de la cuisine et Emma n'y est pas prête.
A la place, elles arpentent la ville et repoussent les marionnettes de Hyde tandis que Zelena patrouille autour du bâtiment de l'école.
― Pensez-vous qu'elle aime Henri ? s'interroge Emma tandis qu'elles reprennent la direction de l'école à la fin de la journée.
― Je ne crois pas qu'elle soit capable d'amour, dit Regina avec raideur. Je suis sûre qu'elle croit aimer Henri, mais elle voudrait… le posséder, plutôt. Elle va déformer et pervertir le moindre soupçon d'amour en elle et le changer en désir de possession.
Elle jette un regard noir en direction des bois derrière elles, un vif dégoût d'elle-même peint sur le visage, et Emma lui prend la main.
Naturellement, c'est le moment où Killian apparaît devant elles, débouchant à l'angle du Terrier du Lapin et les regardant toutes les deux d'un air moqueur.
― Swan, dit-il entre ses dents. Regina.
Il prononce le nom de Regina avec tant d'amertume qu'elle le regarde en clignant des yeux, interloquée.
― Quoi encore, pirate ?
Emma sent le regard de Regina sur elle, inquisiteur, et secoue imperceptiblement la tête.
Killian l'aperçoit et les gratifie toutes deux d'un regard noir.
― Méfie-toi, Swan. Je n'ai plus rien à perdre.
C'est une menace qui devrait être risible mais Emma sent incertitudes et désespoirs anciens refaire surface au dégoût qu'il lui manifeste. Il est facile parfois de se dissimuler derrière la famille et les nouvelles missions et de prétendre que la Ténébreuse et l'Enfer n'ont jamais eu lieu. Parfois – chaque fois que Killian esquisse un rictus et que quelque chose en elle se rappelle tout ce qu'elle a mis dans cette relation en bout de course – elle redevient cette enfant suppliante et éperdue d'amour.
― Ne vous avisez pas de la menacer, dit Regina d'une voix moqueuse et incrédule. Pour qui diable vous prenez-vous ?
La ressemblance avec la Méchante Reine est si troublante pendant un instant qu'Emma l'examine avec consternation. Mais il y a de la chaleur dans son regard férocement protecteur, sa main serre celle d'Emma, et celle-ci respire à nouveau.
― Croyez-vous représenter la moindre menace pour elle comme pour moi ? Allons-nous en, Emma.
― Salut, dit platement Emma, et elle s'accroche à Regina et se laisse entraîner loin de Killian.
― Vous êtes en pleine dispute tous les deux, dit Regina une fois seules de nouveau. Vous ne l'aviez pas dit.
Elle scrute le visage d'Emma, inquiète, et lui pose une main sur l'épaule.
― Ca va ?
Emma hoche la tête.
― Tout va bien. Il n'y a… pas de quoi s'inquiéter. Je contrôle la situation.
Elle ne sait pas pourquoi elle a si facilement donné tous les détails à la Reine mais n'est même pas capable d'avouer à Regina qu'elle a rompu avec Killian.
Peut-être est-ce parce qu'elle est certaine que c'est Regina qui est descendue en enfer pour elle. Peut-être est-ce parce qu'elle refoule tant de honte que Regina – Regina qui a rejeté toute cette part obscure et honteuse d'elle-même – ne comprendra pas comme elle l'aurait fait autrefois.
Mais Regina la connaît assez bien pour savoir qu'elle lui cache quelque chose, et Emma sent son regard sur elle tandis qu'elles descendent la rue qui mène à l'école d'Henri.
― Emma, s'il y a quelque chose dont vous voulez discuter…
Elle s'interrompt. Zelena se tient à l'entrée de l'école, Neige à ses côtés, et fixe Regina, le visage livide.
― Mais je viens de te voir, dit-elle d'une voix aiguë et paniquée.
Emma cesse de respirer.
― Il faut onze secondes, dit Regina les dents serrées tandis qu'elles disparaissent et réapparaissent à la maison. Elle est rejetée en arrière avec force, la barrière intacte rejetant toute Regina qui se risquerait au travers, et Emma se concentre pour la faire tomber.
― Trois secondes pour pénétrer la poitrine, deux pour arracher le cœur.
Regina a le souffle court, ses mots se font de plus en plus stridents.
― Une pour tourner le poignet. Cinq pour serrer jusqu'à ce qu'il tombe en poussière. Savez-vous à quel point il a été facile d'apprendre cela ? Savez-vous à quel point il est facile de réduire quelqu'un en poussière ?
Sa voix se fait plus forte.
― Elle, oui.
― Je sais, je sais.
Emma finit par réussir à faire tomber la barrière et elles se précipitent dans la maison comme un seul homme.
― Henri ! Henri ?
― Elle va tout me prendre. Elle va me punir de l'aimer. L'amour est une faiblesse.
Regina abat la main sur la table de l'entrée et en fait du petit bois.
― Onze secondes.
Henri n'est pas dans la maison. Bien sûr que non. La Méchante Reine n'a pas débarqué à l'école vêtue d'un tailleur pantalon fonctionnel et deviné le mot de passe juste pour le ramener à la maison.
― Où alors ? dit Emma en faisant les cent pas. Elle ne pense pas. Elle ne pense pas à ces onze secondes, ni à l'impuissance de savoir que Henri a été pris, seigneur, elle aimait bien la Reine, et maintenant…
― Il y a ce passage sous la bibliothèque, et cette cabane dans les bois où on s'entraîne à faire de la magie, et qui sait où…
― Comment pouvez-vous être si calme face à tout ça, lui balance Regina d'un ton accusateur, les yeux écarquillés par l'outrage et la terreur. Comment pouvez-vous vous contenter de rester plantée là comme si… Comme si elle n'allait pas…
Une sorte de supplément de peur inonde Emma face à la frénésie impuissante de Regina. Celle-ci est d'une précision mortelle sous la menace, prompte à agir mais toujours focalisée, et ceci est…
― Il faut bien que l'une de nous le soit ! riposte Emma, le souffle court. Il faut qu'on prenne une minute pour analyser la situation, et vous n'êtes pas…
Elle désigne Regina d'un geste impuissant.
― Regina, moi aussi j'ai peur, chuchote-t-elle, et une douzaine d'images d'Henri dans les griffes de la Reine la font trembler violemment.
La fureur passe sur le visage de Regina comme un frisson et puis retombe, et Emma a l'impression d'être moins claustrophobe et de pouvoir respirer de nouveau.
― Je sais, dit Regina en prenant une inspiration. Je… Comment diable est-ce elle qui a hérité du gène de la planification ?
Emma laisse échapper un rire tremblant, le cœur toujours sur le point d'éclater mais dont les battements s'apaisent.
― Vous êtes sûre de l'avoir eu un jour, ce gène ? D'habitude vous ne vous contentez pas de…
Elle fléchit les doigts et une petite boule de flammes jaillit de ses paumes avant de crachoter et de s'éteindre.
― Emma ! dit Regina, dont le ravissement perce à travers la tension dans sa voix. Vous avez enfin réussi à le faire !
― Plus ou moins, dit Emma avec un sourire radieux, un peu comme une élève fière d'avoir réussi à impressionner son maître. C'est presque comme les jours qui ont précédé leur descente littérale aux enfers.
― Ca commence à venir, en tout cas.
Elles respirent en chœur et leurs regards se croisent avec un regain de calme et de détermination. Emma dit :
― Maintenant, où pensez-vous qu'elle sera ?
Regina ferme les yeux, réfléchit, les rouvre.
― La crypte, dit-elle. Il y a une pièce à l'intérieur que j'utilise rarement. C'est là qu'elle sera.
Elle prend la main d'Emma et toutes deux disparaissent.
Elle réapparaissent dans le coin d'une pièce qu'Emma n'a jamais vue auparavant, cachées derrière une haute armoire. Regina lui appuie un doigt sur les lèvres, elles jettent un œil de l'autre côté et…
Emma étouffe un sanglot à peine audible.
Henri est assis à une table que la Reine a fait apparaître pour lui, les sourcils froncés tandis que son crayon gratte le papier.
― Je ne sais pas comment faire ces équations ! dit-il d'une voix maussade comme celle du garçon de dix ans qui l'a ramenée à la maison.
Elle entre dans leur champ de vision, le regard noir et menaçant tandis qu'elle se penche sur lui.
― Tu l'as appris aujourd'hui en classe, ou on ne te l'aurait pas donné comme devoir à faire. Et tu ne bougeras pas de cette table jusqu'à ce que tes devoirs soient faits.
Emma cligne des yeux. La Méchante Reine… fait faire ses devoirs à Henri. Voilà qui est inattendu. Elle les cligne de nouveau. Henri dit :
― J'allais avoir de l'aide. Si seulement tu voulais bien la relâcher !
La ? Qui ça ? Emma se tourne et grimace.
Il y a une seconde table installée dans le fond de la pièce, et Violette y est enchaînée à une chaise. Elle lutte contre ses liens et la Reine dit sombrement :
― Tu ne t'approcheras pas de mon fils.
― C'est ma petite amie ! proteste Henri, mais il se tait en voyant le rictus qui s'affiche sur le visage de la Reine.
― Estime-toi heureuse que je ne t'aie pas arraché le cœur, siffle-t-elle à Violette.
Le visage de Violette est pâle mais défiant.
― Non, ça c'est ce que l'autre mère d'Henri m'a fait quand elle était maléfique.
Elle grimace.
― Il va falloir bien plus que ça pour que je renonce à lui.
Henri la regarde en clignant des yeux, flatté.
La Méchante Reine hausse un sourcil.
― Je t'aime bien, fait-elle remarquer, et Regina outragée en reste bouche bée.
― Comment peut-elle bien l'aimer ? siffle-t-elle. Je ne l'aime pas, moi ! Quelle part de moi pourrait bien…
― Chut, dit Emma, les yeux rivés sur la scène en face d'elles. Henri griffonne de nouveau sur la feuille et il semble au bord des larmes.
― Je veux rentrer chez moi, explose-t-il, pâle, furieux et effrayé.
Le regard de la Reine s'assombrit et elle fait un effort visible pour se contenir.
― Tu es ici chez toi, Henri. Je suis ta mère. Chez toi, c'est avec moi.
Il y a une note de supplication dans sa voix à présent, et elle éveille quelque chose en Emma comme Regina chez Mère-Grand il y a des années, J'ai sa chambre qui n'attend plus que lui. Elle avait dit non à Regina et s'en était voulu pendant des jours. Mais avec cette Regina-là – les yeux brillants d'une avidité maniaque – elle n'y aurait pas réfléchi à deux fois avant d'empêcher Henri de l'approcher.
― Pourquoi voudrais-tu partir d'ici ? dit la Reine en agitant les doigts.
Un cupcake apparaît par-dessus les devoirs d'Henri et son crayon se transforme en cornet de glace.
― Je crois qu'on a assez fait de devoirs pour l'instant. Et si on dînait ?
Elle tape dans ses mains comme une enfant.
― Et si ça te disait qu'on sorte ensuite, on peut aller chez ta prof de maths et lui ordonner de te faire ton devoir ! dit-elle avec un grand sourire.
Henri laisse tomber le cornet de glace. La Reine gronde, capricieuse comme toujours :
― Ne sois pas ingrat, mon chéri. Tu n'as pas intérêt à me mettre en colère.
Il y a une note familière dans sa voix, une menace qui ne ressemble pas tout à fait à Regina et glace la peau d'Emma, qui s'avance juste au moment où Regina prend la parole.
― Ca suffit ! dit-elle d'un ton féroce en dépassant Emma pour foncer vers la table. Tu ne lui parles pas comme ça.
― C'est mon fils, gronde la reine, guère surprise de leur apparition. Henri laisse échapper un sanglot et se lève, chancelant.
― Ne bouge pas, Henri ! ordonne la Reine.
― Tout va bien fiston, dit Emma en se rapprochant insensiblement.
Elle croise le regard de Violette.
―On va vous sortir de là, OK ? On est deux contre une.
La Reine se gausse.
― Toi et elle ? Cette enfant frêle et tremblante ? Que pourrait-elle bien me faire ?
Elle s'avance d'un pas fluide, fait le tour de Regina avec un rictus.
― Faible ! crache-t-elle. Qu'as-tu jamais fait à part laisser triompher de toi ennemi après ennemi jusqu'à ce qu'il ne te reste plus rien d'autre que tes ennemis ?
Regina dégaine une boule de feu comme une épée pour la bataille.
― Jet t'ai arraché le cœur et je l'ai broyé, dit-elle en serrant les dents, le dos droit et les yeux sur Henri. Puisqu'on parle de faiblesse.
Mais Emma la voit chanceler lorsque la Reine s'approche et racle Regina de ses ongles noirs tout le long du cou jusqu'à l'épaule.
Elle s'interpose entre elles et Henri, lui permettant de s'échapper jusqu'à elle et le recueillant dans ses bras. Un effort de concentration et elle parvient à relâcher les chaînes autour de Violette.
― Personne ne s'en va avec mon fils, dit la Reine, les yeux toujours sur Regina. Elle tend brusquement un bras et une énergie magique fuse aux quatre coins de la pièce.
― Notre fils, dit machinalement Emma, et les deux Regina la regardent en clignant des yeux.
Elle grimace.
― Je veux dire… Notre fils à Regina et moi.
― Ah oui, dit la Reine en faisant volte-face.
Emma recule précipitamment, tenant étroitement Henri par le bras.
― Je ne suis plus votre parfaite petite success story, alors vous pouvez me prendre mon enfant. N'est-ce pas ainsi que cela fonctionne ?
Elle rit, amère et moqueuse, une lueur meurtrière dans les yeux.
― Treize ans à être mère mis au rebut parce que je ne suis pas à la hauteur des attentes de la mère biologique !
C'est Henri le premier à réagir. Il se penche en avant dans les bras d'Emma tandis que ses sourcils se froncent et il examine la Reine, la tête penchée de côté.
― Regina…, dit Emma impuissante, les yeux dans ceux de la Reine. Il n'y a rien qu'elle puisse répondre à cela, à ces vieux ressentiments et à ce jugement qui ressurgissent comme si elles n'avaient pas dépassé ce stade alors qu'elles l'ont fait. Quand l'idée même de laisser la Reine s'approcher d'Henri est…
― Ne m'appelle pas comme ça ! tonne la Reine, du feu crépitant de ses deux mains. Henri regarde la Reine bouche bée comme un enfant qui commence enfin à comprendre ce qui a si mal tourné. Regina la contemple avec une expression qu'Emma ne parvient pas à déchiffrer, et Emma ne peut pas les perdre tous les deux à cause d'erreurs vieilles de trois ans, elle ne peut pas…
C'est leur fils qui les sauve.
―Maman, dit Henri en échappant à Emma pour s'approcher timidement de la Reine. Celle-ci le regarde en clignant des yeux, paralysée par l'incertitude qui se mêle à sa fureur.
― Maman, dit de nouveau Henri en tendant vers celle de la Reine une main tremblante.
Elle le laisse la prendre, soudain subjuguée par sa gentillesse, et Emma retient son souffle. Il ne peut rien dire qui puisse…
Mais il ne dit rien du tout, se contente de laisser aller sa main dans la sienne et lui sourit timidement. Et dieu sait par quel miracle, elle ne l'attaque pas, ne se téléporte pas ailleurs, ne fait rien de plus que de le regarder bouche bée en serrant sa main dans la sienne.
Regina a toujours l'air à cran, toujours l'air déchirée par tout cela, et Emma a peur de dire quoi que ce soit qui risque d'aggraver les choses. C'est encore Henri qui leur trouve une issue.
― Je peux revenir te voir demain ? dit-il, et Emma se tend à sa question et encore plus au hochement de tête hésitant de la Reine.
Mais la Reine n'émet pas d'objection lorsqu'ils s'en vont ensemble, le bras d'Emma de nouveau autour d'Henri tandis qu'ils remontent vers la surface, et ce n'est qu'alors que Regina ravale un sanglot et court vers Henri.
― Ca va, dit-il en se baissant pour qu'elle l'étreigne et en la serrant dans ses bras tandis que les larmes coulent sur les joues de Regina. Ca va. Elle n'était pas si mal jusqu'à ce que je dise que je voulais partir. Et j'ai un peu envie de voir comment elle est.
Il s'accroche toujours à elles deux avec autant de force qu'il l'avait fait après avoir échangé son corps avec Peter Pan, les doigts crispés sur leurs épaules avec une vigueur qui dément sa peur.
― Du coup je suppose que j'ai trois mamans maintenant, non ? dit-il avec un rire tremblant. Et Regina redouble de larmes dans ses bras.
― Le truc avec elle, c'est… commence Emma avant de s'interrompre.
Regina dit avec lassitude :
― Ne dites pas qu'elle n'est pas si terrible.
― Elle n'est pas si terrible, dit Emma avec une grimace.
Elles sont de nouveau en train de patrouiller en ville, à guetter les nouveaux acolytes de Hyde. Il s'est mis à leur envoyer ce qu'Emma appelle des ectoplasmes, des êtres semblables à des ombres venus du Pays des Contes Oubliés dont l'autonomie leur a été dérobée. Ils sont moins affectés par la magie qu'ils ne devraient l'être, et Emma ne sait pas du tout quoi faire d'eux.
Ce qui… n'est pas un problème inédit ces temps-ci à Storybrooke, semble-t-il.
― Je veux dire, elle n'est clairement pas un très bon parent, mais elle n'a pas … tenté de conquérir la ville ou je ne sais quoi ? Elle essaie d'être une mère pour Henri, elle essaie de … Me parler…
Elle resserre sa veste autour d'elle.
― Je ne sais pas. J'ai rencontré la Méchante Reine quand je suis retournée dans le passé, vous vous souvenez ? Elle avait l'air bien pire à cette époque.
Regina hausse les épaules avec humeur.
― Alors quoi ? La Méchante Reine n'est pas si maléfique que ça parce que je ne fais pas partie d'elle ?
― Peut-être, dit Emma pensivement. Peut-être que cette femme n'était pas seulement ce que vous aviez de pire, mais aussi de meilleur.
Regina lui lance un regard incisif. Emma expire une bouffée d'air.
― C'est juste une idée. Mais à part les robes, la Reine n'a pas l'air si méchante que ça.
― C'est parce que vous la sous-estimez, dit vivement Regina. Ce qu'elle fait en prenant Henri, en vous prenant vous… Ce n'est pas un signe de vulnérabilité. C'est de la vengeance et de la manipulation. Elle vous veut parce qu'elle sait que cela me blessera, et elle vous laisse… Faire avec elle votre fichu truc de croire en moi parce qu'elle sait que cela servira ses intérêts quand elle vous trahira.
Arrivée à la fin de la phrase, Emma n'écoute plus, focalisée à la place sur un commentaire fait en passant au début.
― En me prenant ? répète-t-elle. Je ne suis pas Henri ! Comment croyez-vous que je sois… ?
Elle fronce les sourcils, ne sachant pas trop elle-même où elle veut en venir avec sa question.
Regina plisse les lèvres, inspire et dit :
― Emma, vous et moi…
Une balle les frôle, ratant de peu l'épaule d'Emma. Celle-ci fait volte-face et aperçoit un ectoplasme de l'autre côté de la route avec un mousquet pointé sur elles. Derrière lui, une douzaine d'autres hommes s'avancent comme s'ils sortaient tout juste d'une reconstitution de la guerre de Sécession.
― Des armes à feu, crache Emma, les yeux rétrécis.
Les douze hommes tirent à l'unisson. Regina tend une main qui étincelle, intercepte les balles dans un éclair violet aveuglant. Emma se baisse et se retourne juste à temps pour voir un autre bataillon d'ectoplasmes derrière elles, ceux-ci armés jusqu'aux dents d'épées, de haches et de lances.
― Qu'est-ce que c'est que ce cirque ?
― Hyde sort l'artillerie lourde ce soir, siffle Regina en projetant une vague de magie qui traverse les ectoplasmes en ondoyant sans plus d'effet.
Emma observe le toit de chez Mère-Grand en plissant les yeux, et aperçoit Hyde – non, Hyde et une femme qu'elle ne connaît que trop bien – qui s'y tiennent et regardent les ectoplasmes leur fondre dessus.
― Non, il a des renforts, dit-elle en maudissant son propre optimisme.
Les hommes lèvent de nouveau leurs mousquets. Emma utilise sa propre magie, rassemble ses forces et en projette une vague sur l'ectoplasme le plus proche.
Il hurle et sa connexion avec Hyde se rompt tandis que son corps se solidifie. La magie lui ravage le visage, le laissant rouge et couvert de cloques. Il tombe à terre, la tête dans les mains.
― On peut les blesser, dit Emma horrifiée. Ils sont réels ?
― Il faut qu'on sorte d'ici, dit Regina d'un ton sinistre avec un geste du poignet.
Un faible nuage de magie apparaît et se dissipe en un instant. Regina contemple Emma d'un air mécontent.
― Ils sont trop nombreux. Quelque chose affaiblit notre magie.
Les treize ectoplasmes aux mousquets leur tirent dessus par salves, feu, rechargez, feu, rechargez, et Regina les protège de son mieux. Puis des coups d'épée volent et Emma plonge, se jette devant Regina, attrape l'épée de celui qu'elle a blessé et la fait tournoyer du mieux qu'elle peut pour tenir les autres à distance.
Ce n'est pas assez. Ca ne va pas être assez. Elles ne peuvent pas se téléporter ailleurs, elles peuvent à peine les ralentir, et les ectoplasmes de Hyde se battent avec une force décuplée.
― C'est eux ou nous, dit Emma d'un ton pressant tout en faisant tournoyer l'épée rouillée et en entaillant légèrement le ventre d'un ectoplasme. Il plie, piétiné par les autres tandis qu'il reprend consistance.
― Regina, qu'est-ce qu'on fait ?
― On ne peut pas les tuer, dit Regina avec désespoir, un tourbillon de magie autour d'elle. Emma, ce sont des gens !
Un ectoplasme soulève Emma dans les airs et la jette à terre. Elle atterrit avec un grognement, accroupie derrière le bouclier protecteur de Regina, et celle-ci vacille au-dessus d'elle.
― Emma !
― Ca va, ça va.
Elle tâche de se relever. Regina change de position et se place devant elle.
― Regina, qu'est-ce que vous faites ?!
― C'est moi qu'il veut, dit Regina entre ses dents en désignant Hyde d'un signe de tête. Il veut m'abattre, très bien ! Mais je ne vais pas vous laisser vous faire blesser dans la bagarre.
Elle se détourne, projette une dernière vague de magie sur les hommes aux mousquets, et se jette dans la mêlée devant elles.
― Regina ! crie Emma en se précipitant à sa suite, mais un ectoplasme la rejette en arrière. Ils convergent sur Regina et ignorent Emma, tous focalisés uniquement sur leur cible. Regina est noyée dans la foule à présent et Emma pousse, bouscule et ne voit rien…
… Rien d'autre qu'un jaillissement de lumière et puis un mouvement à l'arrière de la foule, un éclair de violet et de rouge, puis encore du rouge, et Emma se replie, levant la tête pour scruter de nouveau le toit de chez Mère-Grand. Seul Hyde s'y trouve encore, le visage crispé par la contrariété.
Emma tente de nouveau d'avancer, déterminée à sauver Regina. Un ectoplasme se précipite vers elle en brandissant sa hache, et puis il se produit un autre mouvement éclair et son cœur a disparu. Son cœur de chair, qu'une main a arraché, laissant un trou béant là où il se trouvait ainsi qu'un homme en train de reprendre rapidement consistance qui regarde bouche bée sa poitrine ensanglantée tout en s'effondrant.
Emma recule d'un pas chancelant. D'autres ectoplasmes tombent, couverts de sang et de leurs propres entrailles, le cou à des angles peu naturels. Les ectoplasmes ne sont plus d'intangibles créatures sous le contrôle de Hyde. Ce sont des hommes et des femmes, déchiquetés à mains nues et assassinés comme s'ils n'étaient personne. Il y a du sang partout et Emma ne voit rien à part des cadavres maculés de rouge, n'entend rien à part un léger bruit de sanglots qui provient de quelque part au coeur du massacre.
Regina. Elle suit le bruit des pleurs, enjambe aveuglément les hommes à terre sans se préoccuper de sa propre sécurité, et attrape le coude de Regina de peur de la perdre de nouveau. Regina pleure ouvertement, le regard empreint d'une horreur qu'Emma ne lui a déjà vue que lorsqu'Henri est en danger, les yeux rivés à la silhouette qui brise des nuques devant elle.
Un dernier ectoplasme est encore debout, brandissant sa hache au-dessus de la tête de Regina, et celle-ci lève le visage vers l'arme comme si elle allait peut-être la laisser s'abattre. Mais alors la Méchante Reine est devant elles, le visage déformé par une expression inhumaine de plaisir et d'allégresse, enfonce le bras dans la poitrine de l'ectoplasme avec une force empreinte de magie et en arrache un cœur bleu et rouge sanguinolent.
Elle le presse comme une éponge, l'écrase jusqu'à ce qu'il ne soit plus qu'une masse informe de sang visqueux, et puis seulement le laisse tomber et se tourne vers Regina. Celle-ci sanglote toujours, immobile hormis les larmes qui lui roulent sur les joues, et la Reine tend la main pour les essuyer tendrement du pouce.
― Chut, ma chérie, murmure-t-elle en laissant sur le visage de Regina des traînées rouges de sang gluant.
Regina la contemple d'un œil vide mais ne s'écarte pas. La Reine se détourne.
― Toi, dit-elle d'une voix plus tranchante à présent.
Emma est pétrifiée sur place, effrayée.
― Viens avec moi, dit-elle, et Emma fait un pas involontaire en avant. Nous avons des choses à régler.
Regina demeure immobile et muette, les mains tremblantes. Emma hésite. La Reine dit :
― Très bien.
Elle étend une main vers Emma et celle-ci fait non de la tête, futilement, tandis que le monde autour d'elles vire au violet.