Ce qui a lié nos âmes, le temps ne peut le délier
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PARTIE 1
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« Ne laisse pas n'importe qui te toucher, Grace. Ne fais pas la même erreur que moi. »
Au fil des ans, sa mère lui avait répété avec insistance que son père était un homme mauvais et que deux effleurements avaient suffi pour qu'il détruise sa vie.
Grace n'avait jamais trouvé le courage de demander à sa mère pourquoi son père était une si mauvaise personne. Lorsqu'elle fermait les yeux et se concentrait, elle se remémorait seulement l'ombre d'un sourire et des bras bronzés et musclés lui tendant un balai pour enfant. La seule autre chose dont elle se rappelait vaguement était le sentiment de sécurité qu'elle avait ressenti alors que celui qui devait être son père lui tenait délicatement la taille pour s'assurer qu'elle ne tombe pas du balai qui ne devait pas voler à plus d'un mètre du sol. Pourtant, elle se rappelait clairement avoir tendu sa main vers le ciel et avoir senti la caresse des nuages sur le bout de ses doigts.
Parfois, quand elle s'attardait devant le miroir, Grace se demandait si les taches de rousseur sur son nez et ses épaules son père les avait lui aussi. Elle ne le saurait sans doute jamais puisque cette possibilité lui avait été arrachée lorsque sa mère s'était éclipsée dans la nuit avec Grace âgée de quatre ans dormant paisiblement sur son épaule.
Depuis treize jours, Grace avait dix-sept ans. Elle était presque diplômée de Poudlard. Mais en ce vendredi 16 janvier 1978, elle était bien loin de se préoccuper de ses troubles familiaux qu'elle avait laissés derrière elle en prenant le Poudlard Express. Non, aujourd'hui elle bataillait contre son corps brûlant et ses yeux qui papillonnaient impitoyablement alors qu'elle s'efforçait de relire sa fiche de révision de Métamorphose tout en se dirigeant vers la salle d'examen.
Mais la détermination de Grace fut mise à rude épreuve lorsqu'elle trébucha sur un frisbee à dents de serpent et qu'elle faillit s'effondrer sur Severus Rogue qui marchait devant elle, courbé au-dessus de ses fiches de révision. Dans son état normal, Grace n'aurait pas perdu l'équilibre de manière si pitoyable. Heureusement pour elle, Dorcas qui la tenait à l'œil depuis qu'elle avait vu ses yeux injectés de sang ce matin la rattrapa.
Grace remercia distraitement son amie mais Dorcas ne fut pas bernée :
« Grace, siffla-t-elle, pour une fois dans ta vie arrête-toi une seconde et va voir Pomfresh. Tu ne te rends pas compte que tu as de la fièvre ? cingla Dorcas.
– Je vais bien, Dorcas, répondit automatiquement Grace en rajustant la bretelle de son sac sur son épaule, les yeux de nouveau posés sur sa fiche de révision de Métamorphose.
– Si tu voyais ta tête dans le miroir tu n'oserais pas me mentir si ouvertement, s'agaça Dorcas en la désignant d'un geste de la main exaspéré. Tes yeux brillent tellement qu'on dirait que tu es à deux doigts de fondre en larmes et tes joues sont aussi rouges que celles de Potter quand ce crétin se noie dans l'alcool et se met à chanter du Celestina Moldubec d'une voix qui ferait pleurer d'agonie un gobelin. »
Contrairement à Dorcas, Grace n'entendit pas Severus Rogue laisser échapper un ricanement discret à l'entente de son insulte. Dorcas fut partagée entre la satisfaction que quelqu'un partage son avis sur le nouveau préfet-en-chef et capitaine des Gryffondors – qui avait eu l'idée de donner autant de badges à un adolescent aussi arrogant que Potter ? Était-ce juste un stratagème pour voir si le Gryffondor allait enfin s'étouffer à cause de l'absurde taille de son égocentrisme ? – et la révulsion qu'un Serpentard aussi vil que Rogue apprécie sa pique.
« Je vais bien, Dorcas », répéta Grace en tournant son parchemin, parcourant du regard les lois de Rolland pour s'assurer qu'elle les avait bien toutes en tête.
Dorcas cumula le soupir irrité et un dramatique regard lancé au Seigneur, comprenant que ce n'était pas aujourd'hui qu'elle réussirait à convaincre Grace de prendre plus soin d'elle. Mais cette réalisation ne l'empêcha pas de faire entendre son opinion :
« Ne viens pas pleurer quand tu t'évanouiras, » dit Dorcas en frottant avec agitation ses cheveux courts avant d'accélérer.
Dorcas était sûre à 97% que Grace n'avait même pas remarqué qu'elle venait de l'abandonner, si concentrée était-elle sur ses révisions de dernière minute pour leur ASPIC blanc de métamorphose qui conclurait leur semaine intense d'examens. Dorcas n'en pouvait plus d'attendre que la semaine se termine.
D'une part, parce qu'elle en avait marre de devoir apprendre par cœur des choses inutiles et, d'autre part, parce qu'elle avait peur de voir l'effet d'une nouvelle nuit blanche sur Grace car oui, Dorcas n'était pas bête. Malgré les réponses évasives de Grace ce matin, Dorcas avait très bien compris que son amie blonde avait encore une fois veillée en cachette derrière le rideau de son lit malgré les ordres très strictes de Dorcas.
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Quinze minutes avant la fin de l'examen, Grace Mosley s'évanouit et personne ne le remarqua. Pas Dorcas Meadowes qui écrivait furieusement la fin de sa description du théorème d'Epstein ni Benjy Fenwick qui adressa un regard pensif aux cheveux dorés de Grace assise devant lui, réfléchissant à la tournure de sa phrase.
Et ce n'était pas vraiment de leur faute, les deux Serdaigles étaient habitués à voir Grace agiter frénétiquement sa plume tout en collant presque son nez à sa feuille de parchemin. De plus, Grace avait l'habitude de poser son front contre son parchemin lorsqu'elle oubliait effectivement là où elle voulait en venir et passait mentalement en revue ses fiches de révision.
Ainsi, le front de Grace fit doucement la rencontre du bois de sa table individuelle et, à sa gauche, Dorcas n'y prêta pas attention.
Ce n'est que lorsque le professeur McGonagall annonça qu'il ne restait plus que cinq minutes que Dorcas commença à douter, habituée à voir Grace relire attentivement son travail pour corriger ses fautes d'inattention en fin d'examen. Mais, en entendant Grace respirer doucement, ses mèches de cheveux dorés cachant son profil, Dorcas se fit la réflexion que les nuits blanches de Grace s'étaient enfin faites ressentir et que l'appel du sommeil avait dû être trop difficile à rejeter.
Ce n'est que lorsque McGonagall commença à traverser la salle jonchée de petites tables individuelles pour les mettre en situation réelle d'examen que le doute frappa plus fortement Dorcas.
Chuchoter son prénom ne réveilla pas Grace. Fronçant les sourcils, Dorcas se pencha vers l'espace entre leurs deux tables pour secouer doucement l'épaule de Grace.
« Y a-t-il un problème ? » s'enquit McGonagall en ramassant la copie que Benjy Fenwick lui tendait avec un sourire poli, observant son élève qui était à moitié levé de sa chaise alors qu'ils avaient ordre de ne pas bouger ni de parler tant que leur copie d'examen blanc n'avait pas été ramassée.
Dorca se tourna vers son professeur et les sourcils de McGonagall s'arquèrent impérieusement.
« Je suis désolée, professeur. Grace a mal dormi cette semaine, expliqua la préfète de Serdaigle.
– Et elle s'est donc endormie en plein examen ? »
Dorcas Meadowes fit une grimace coupable.
Se retenant difficilement de ne pas pousser une exclamation agacée face à ce comportement imprudent voire dangereux qu'elle avait plus d'une fois observé chez les Serdaigles les plus perfectionnistes, McGonagall accepta la copie de Dorcas Meadowes avant de se tourner vers Grace Mosley installée en bout de rangée.
Répéter son prénom en haussant la voix n'eut d'autre effet que d'attirer l'attention d'autres élèves et de causer des pouffements de rire. McGonagall décida de secouer l'épaule de son élève pour la réveiller. Son geste n'eut pas plus d'effet
Agacée par l'heure qui tournait et les heures de sommeil perdues à cause de la correction tardive des devoirs des 5ème année se faisant ressentir, McGonagall agita avec plus de force l'épaule de son élève :
« Miss Mosley, réveillez-vous! »
Et son manque de contrôle momentané lui coûta. Un mouvement trop brusque et Grace Mosley glissa de la table sur laquelle elle sommeillait.
Elle s'effondra sur les dalles de la salle de Métamorphose.
Les pouffements de rire cessèrent immédiatement. McGonagall tomba à genoux, attirant l'attention des élèves installés plus loin dans la pièce. McGonagall ne remarqua que distraitement Dorcas Meadowes imiter sa position alors qu'elle retournait Grace Mosley sur son dos, affichant à sa vue la rougeur inquiétante de la peau transpirante de son élève. Les sourcils froncés de son élève et sa respiration haletante étaient le signe qu'elle ne vivait pas un sommeil reposant.
« Miss Mosley a-t-elle dormi cette semaine ? Depuis quand est-elle fiévreuse ?
– Je, je ne sais pas. Ce matin ? Elle ne m'a rien dit, dit Dorcas Meadowes avec une frustration si paniquée que McGonagall se retint de la rabrouer pour ne pas avoir remarqué une chose aussi visible qu'une fièvre.
– Avez-vous besoin d'aide, professeure ? intervint Benjy Fenwick qui s'était à moitié levé de sa chaise.
– Non, non, restez assis, Fenwick. Miss Evans ! dit plus fortement McGonagall et la rousse ne tarda pas à apparaître, ses yeux s'écarquillant à la vue du corps étendu dans l'allée du coin droit de la salle occupé principalement par des Serdaigles et des Serpentards. Allez chercher Madame Pomfrey s'il vous plaît. »
Il n'en fallut pas plus pour que Lily Evans ne s'engouffre dans le couloir.
« Potter ! continua McGonagall. Ramassez le reste des copies et seulement après laissez les élèves prendre une pause dans le couloir. Vous serez en charge de leur surveillance.
– Oui, professeur, répondit James Potter de l'autre côté de la salle, l'air confus alors qu'il se relevait. Est-ce possible de savoir ce qu'il se passe ?
– Non. Faites ce que je vous dis, » claqua McGonagall, ne souhaitant pas qu'un regroupement se forme autour du corps inconscient de Grace Mosley qui grimaçait dans son sommeil.
McGonagall était déjà suffisamment agacée par les Serdaigles et Serpentards aux tables avoisinantes qui tendaient le cou pour réussir à voir la Serdaigle que McGonagall cachait avec Dorcas Meadowes. Elle ne souhaitait pas alerter les Gryffondors et Poufsouffles qui, généralement, ne savaient guère faire preuve de discrétion.
Quelques minutes plus tard, alors que James Potter terminait de ramasser les copies du côté gauche de la salle où s'étaient installés les Gryffondors et Poufsouffles, Dorcas Meadowes reprit la parole, assez faiblement pour que personne d'autre à part sa professeure de Métamorphose ne l'entende :
« Je lui ai dit d'aller à l'infirmerie ce matin.
– Un conseil que Miss Mosley aurait dû suivre.
– Je lui ai dit de ne pas venir pleurer si elle s'évanouissait, » ajouta Dorcas Meadowes, ses poings serrés sur ses cuisses alors qu'elle observait son professeur transformer une plume en une serviette avant de l'humidifier d'un mouvement de baguette.
McGonagall comprit que derrière le masque de colère de son élève celle-ci était en réalité rongée par la culpabilité.
« Vous êtes mieux placée que moi pour savoir que Miss Mosley a tendance à trop prendre au sérieux ses résultats académiques, Miss Meadowes, dit McGonagall en déposant sur le front de son élève souffrante une serviette humide. Cela ne sert à rien de vous faire du mal. La prochaine fois que Miss Mosley adopte un comportement aussi irresponsable, prévenez le professeur Flitwick. Il saura lui faire voir raison.
– Oui, professeure, » dit Dorcas Meadowes, la tête baissée, et McGonagall comprit que ses propos qu'elle avait voulu être rassurants n'avaient pas atteint leur objectif.
La psychologie des adolescents était parfois trop compliquée. En tant que professeur, McGonagall se devait de juger s'il fallait qu'elle intervienne plus personnellement ou s'il valait mieux qu'elle laisse ses élèves se débrouiller seuls. Dans le cas de Dorcas Meadowes, McGonagall jugea qu'il valait mieux la laisser réfléchir seule. Depuis son plus jeune âge, la Serdaigle avait toujours été très indépendante. Cela ne servait à rien de trop la brusquer en la forçant à s'ouvrir, Flitwick avait été le premier à faire face à ce mur que Dorcas Meadowes s'était forgée – en particulier envers les adultes – depuis son enfance à l'orphelinat.
McGonagall attendit en silence que Lily Evans revienne avec Poppy. Elle adressa un hochement de tête approbateur à James Potter lorsqu'il commença à diriger les élèves vers la sortie de la classe. Le Gryffondor n'avait paru surpris qu'un court instant à la vue de Grace Mosley au sol, il s'était repris rapidement et avait poussé vers la sortie Peter Pettigrow qui avait glissé sa tête par-dessus son épaule pour voir la cause de l'urgence.
En voyant l'autorité de James Potter à l'œuvre, McGonagall se fit la réflexion qu'ils avaient fait le bon choix en désignant Lily Evans et James Potter comme préfets-en-chef malgré la récalcitrance initiale de certains professeurs.
Pour certains adolescents, il suffisait de leur donner plus de responsabilités pour les faire gagner en maturité. James Potter en était l'exemple parfait.
Mais dans le cas de personnes telles que Dorcas Meadowes qui avaient eu bien trop de poids sur leurs épaules dès leur tendre enfance, il valait mieux leur faire comprendre que chaque problème n'était pas causé ni ne devait être réglé par eux. Ainsi, bien que se doutant que son ordre serait mal reçu, McGonagall ordonna à Dorcas Meadowes d'attendre dans le couloir comme le reste des élèves. Même si son ordre ne fut pas exécuté immédiatement, le pouvoir d'intimidation de ses sourcils couplé à son regard impérieux réussit à faire bouger Dorcas Meadowes.
« Je vous assure que Grace est entre de bonnes mains, » dit McGonagall en voyant Dorcas Meadowes hésiter encore à la porte.
Avec une grimace, Dorcas Meadowes partit rejoindre le reste de ses camarades dans le couloir. Mais Dorcas ne se mêla pas à la foule d'élèves causant un brouhaha monstre. Non, refermant la porte derrière elle, Dorcas s'adossa contre le mur, à un mètre de la porte de la salle de métamorphose.
À son grand agacement, James Potter imitait sa position à un mètre à peine, surveillant les bras croisés les 7e année qui alternaient entre parler du contenu de l'examen et de pourquoi McGonagall les avait forcés à sortir. Étant donné que Dorcas voulait retourner dans la salle dès que Lily Evans reviendrait avec Pomfresh, elle décida avec mauvaise humeur de ne pas s'éloigner de Potter. Toutefois, elle ne se retint pas pour le critiquer intérieurement alors qu'il discutait avec Peter Pettigrow et Remus Lupin, debout devant lui.
« Vous pensez que Mosley a attrapé la même chose que Patmol ? » disait Peter Pettigrow et Dorcas comprit enfin d'où lui venait l'impression qu'il y avait quelque chose qui manquait chez ce groupe de Gryffondors.
Où avait disparu Sirius Black ? Il avait beau être nonchalant à souhait concernant ses résultats académiques, il n'était pas irresponsable au point de rater quelque chose d'aussi important que les ASPICS blancs.
« Ce serait étrange qu'il n'y ait qu'eux deux dans cet état, intervint Remus Lupin avec cette pointe de scepticisme familière que Dorcas avait en horreur car c'était ce ton que le préfet de Gryffondor utilisait toujours lors d'une réunion de préfet pour la reprendre poliment tout en faisant comprendre qu'il la prenait pour une idiote. Je n'ai jamais vu Sirius adresser la parole à Grace Mosley et je ne crois pas que ça ait changé ces dernières semaines. »
Dorcas savait très bien qu'elle était dans la minorité à le penser mais Remus Lupin était le pire des hypocrites. Après Potter, il était le plus intolérable dans leur groupe de griffons, elle haïssait son air de monsieur-je-sais-tout qui avait tout le temps raison. Il était si sûr de lui à prononcer son jugement, comme si c'était totalement improbable qu'une fille comme Grace attire l'attention de son incroyable meilleur ami.
Dorcas dut serrer les dents pour s'empêcher de lancer une remarque acerbe à la brindille qui surplombait par sa taille la majorité de la gente féminine. Il aurait été plus logique de dire : « Je n'ai jamais vu Grace Mosley adresser la parole à Sirius ». Grace valait bien dix d'entre eux.
« Elle n'était pas à la soirée du week-end dernier ? persista Peter Pettigrow.
– Queudver, moins fort, » siffla Potter.
Il était sans aucun doute inquiet que McGonagall entende que les Gryffondors avaient encore une fois organisé clandestinement une fête. Dorcas ne serait pas contre, peut-être que cela ferait réaliser à McGonagall que son chouchou n'était qu'un piètre préfet-en-chef.
Peter Pettigrow fit une grimace contrite puis reprit plus bas :
« Si elle était là alors peut-être que Patmol lui a refilé ses microbes.
– Et comment l'aurait-il fait ? railla Remus Lupin et, pour une fois, Dorcas était tentée d'être d'accord avec lui.
– Eh bien si elle est allée avec lui dans un coin sombre de la salle commune…, » suggéra Peter Pettigrow.
Potter poussa une exclamation amusée que Dorcas se retint difficilement de ne pas imiter, son agacement à l'égard de Remus Lupin s'effaçant face à cette théorie complètement improbable.
Grace qui assistait à une soirée des Gryffondors ? Le week-end précédant la semaine d'examens blancs ? Grace qui assistait à une soirée et qui liait sa langue à celle de Sirius Black ? N'importe quoi. Pour une fois, Dorcas était sur la même longueur d'onde que Potter.
« Ben quoi ? se défendit Peter Pettigrow avec un petit rire alors que Remus Lupin grimaçait franchement et que Potter secouait la tête, un sourire amusé accroché à ses lèvres alors qu'il observait distraitement Chris Wood accoster Marlène McKinnon sous les yeux curieux de Mary McDonald. Ça se pourrait, une fois en fin de soirée j'ai dû écouter le monologue de Patmol sur la poitrine de Mosley.
– Peter ! siffla Lupin alors que Potter s'étranglait sur un éclat de rire choqué, déclenchant l'hilarité de Peter Pettigrow.
– C'est vrai ! Il a passé cinq bonnes minutes à analyser comment la tenue de Quidditch réussissait à mettre en valeur ses nichons, » rit Peter en levant ses mains d'un air innocent face à la grimace mécontente de Lupin.
Mais cette fois-ci, Dorcas ne fut pas agacée par la réaction de Lupin qui semblait trouver ses copains trop parfaits pour des minables Serdaigles. Non, elle fut enragée contre Peter Pettigrow qui était hilare par ses propres paroles, continuant de rire malgré les gros yeux que lui lançait le préfet-en-chef qui était particulièrement conscient que la meilleure amie de Grace Mosley était juste à côté.
Dorcas ne se retint pas cette fois-ci. Sa voix furieuse coinça le rire de Pettigrow dans sa gorge :
« Ça te fait rire ? Ça te fait rire de parler d'elle comme si elle n'était qu'une paire de nichons alors qu'elle est inconsciente ? »
Seul le silence lui répondit. Peter Pettigrow la fixait avec des yeux grands ouverts, tétanisé face à la colère qui colorait le visage de Dorcas.
« Rien à redire maintenant que je te mets face à ta connerie ? cingla Dorcas et voir le Gryffondor déglutir et rougir avec embarras ne la calma pas. Tu me fais pitié, » cracha-t-elle.
Elle savait qu'elle l'avait blessé, humilié même alors que certains élèves autour s'étaient tus, mais Dorcas n'avait pas Grace pour la forcer à se calmer, pour l'extirper de ce mélange de culpabilité et de peur qui virait toujours à la colère. Peter Pettigrow rougit jusqu'à ses oreilles, ses yeux papillonnèrent pour cacher leur soudaine brillance et il se dandina avec malaise sur ses pieds mais ça ne suffit pas à Dorcas.
« Il a juste été maladroit, Meadowes. Il est désolé. »
Et la vue de Potter se redressant de sa position nonchalante contre le mur pour lui faire face et bloquer sa vue sur Pettigrow ne fit que lui hérisser le poil.
« Non, je ne crois pas, siffla Dorcas en se redressant également. Je crois qu'il trouve ça tout simplement hilarant de se moquer de Grace.
– Il ne pensait pas à mal.
– Non, il a juste trouvé la seule personne incapable de se défendre, cingla Dorcas, le menton relevé pour croiser le regard de Potter qui la surplombait d'une tête depuis sa soudaine poussée de croissance à la rentrée de 6e année.
– Meadowes, il est dé-so-lé, répéta Potter comme si elle était sourde et Dorcas serra si fort ses poings que ses ongles s'enfoncèrent dans sa peau.
– Ne me prends pas de haut. »
Potter leva les yeux au ciel et Dorcas voulut lui lancer un Chauvefurie – si seulement elle avait récupéré sa baguette rangée dans son sac avant de rejoindre le couloir.
« Je ne te prends pas de haut, Meadowes, dit Potter après avoir soupiré exagérément, comme si elle mettait à rude épreuve sa patience. J'essaye juste de te faire comprendre que ce n'était qu'une maladresse. N'est-ce pas Peter ?
– Désolé, dit Pettigrow d'une petite voix derrière le dos de Potter et celui-ci haussa ses sourcils en direction de Dorcas.
– Tu vois ? Il est désolé. »
Elle détestait devoir lever les yeux pour le fusiller du regard. Elle détestait qu'il puisse la prendre de haut. Elle le détestait lui et sa manière de penser que le monde était dans le creux de sa main. Elle le détestait pour tout ce qu'il réussissait à lui voler, le badge de préfet-en-chef brillant sur sa poitrine le dernier exemple en date.
« Je n'accepte pas ses excuses. »
Cette fois-ci, Potter poussa une réelle exclamation d'exaspération :
« Mais calme-toi Meadowes ! »
Il tendit sa main vers elle mais Dorcas bondit en arrière et, resserrant ses bras sous sa poitrine, elle siffla :
« Ne me touche pas. »
Potter parut surpris par l'animosité encore plus venimeuse dans sa voix. Sa main resta suspendue dans les airs, ses lèvres s'entrouvrirent et –
« Laissez-moi passer ! » s'exclama Pomfresh avant de forcer le passage entre eux deux pour atteindre la porte de la salle de métamorphose qu'elle ouvrit avec une telle force que celle-ci fit la rencontre brutale du mur.
Automatiquement, Dorcas emboîta le pas à l'infirmière mais Potter tira sur sa robe de sorcière et Dorcas se tourna comme une furie. Son insulte se perdit sur le bout de sa langue à la vue des yeux émeraudes l'observant calmement.
Ce n'était pas Potter qui l'avait retenu en arrière.
« Laisse Pomfresh s'occuper de Grace, sourit doucement Lily Evans et Dorcas oublia comment utiliser sa langue. Elle est entre de bonnes mains, tu n'as pas besoin de t'inquiéter. »
Ça devrait être illégal d'avoir des yeux si verts, des cils si clairs et des taches de rousseur si rares que c'était impossible de ne pas essayer de les compter. Ça devrait être illégal de réussir à faire bégayer le cœur de Dorcas en un simple regard. Ça devrait être illégal car Dorcas était toujours en colère que Lily Evans lui ait volé le badge de préfète-en-chef et elle était encore plus en colère que ce soit Potter qui ait eu le privilège d'être son partenaire.
Si Dorcas avait été désignée à ses côtés, Lily Evans n'aurait pas eu à diriger seule les réunions des préfets jusqu'à fin septembre, le temps que Potter comprenne enfin que ce n'était pas une partie de plaisir d'être un préfet et que, eux, contrairement à lui, avaient eu des responsabilités dès leur 5ème année. Elle était en colère qu'il n'ait fallu à Potter moins d'un mois pour s'acclimater à son nouveau rôle, comme si pour être un bon préfet-en-chef (et ça lui coûtait d'admettre qu'il était bon) il n'y avait pas besoin de perdre des heures de sommeil à arpenter les couloirs après le couvre-feu de la 5ème à la 7ème année.
« Tu ne pouvais pas tomber plus à pic Lily, dit Potter derrière le dos de la rousse en question et Dorcas retrouva l'usage de la parole.
– Va te faire foutre, Potter. »
Au-dessus de Lily Evans que Dorcas ignora, Potter haussa ses sourcils, de cette manière qui donnait envie à Dorcas de se battre contre lui – et pas avec une baguette, non, elle voulait faire disparaître son arrogance naturelle de ses propres mains.
« Est-ce que pour une fois dans ta vie tu peux me lâcher, Meadowes ? Je parlais à Lily. »
Lily. Lily. Et la Gryffondor en question ne paraissait plus avoir quelque chose à redire à l'entente de la familiarité avec laquelle Potter s'adressait à elle. Cette réalisation noua le ventre de Dorcas mais, poussant une exclamation méprisante, elle se détourna des deux Gryffondors pour faire face à la salle de métamorphose fermée. Elle fit semblant de ne pas entendre la conversation chuchotée des deux Gryffondors (« Est-ce que tu as vu Sirius à l'infirmerie ? », « Il dormait, James. Je n'en sais pas plus. ») et lorsque Pomfresh sortit en faisant léviter Grace devant elle, Dorcas dût se forcer à ne pas dégager la main de McGonagall qui la retenait de suivre le corps inconscient de sa meilleure amie.
Vingt minutes plus tard, alors que McGonagall continuait sa leçon au-devant de la salle, Dorcas refusa de se laisser déstabiliser par le sourire que lui adressa Lily Evans par-dessus son épaule lorsque Dorcas remarqua son regard depuis le côté opposé de la salle de classe.
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Grace Mosley se réveilla et, grimaçante de douleur, elle agrippa son oreille droite qui était enfoncée dans un oreiller. Elle avait chaud. Elle était dans l'infirmerie. Une migraine lui vrillait la tempe. Des voix masculines chuchotaient derrière le rideau entourant son lit de convalescence. Elle dégoulinait de sueur sous ses draps.
« Vous êtes sûrs que Patmol ne l'a pas bécoté ? dit la voix masculine la plus agréable des trois par son faible volume. Je trouve toujours ça bizarre qu'ils soient les seuls à être tombés malades aujourd'hui. Surtout que Sirius était en parfaite santé hier soir encore. Il m'a fait chier jusqu'à minuit à chanter du Célestina Moldubec alors qu'il savait que je voulais réviser. »
Grace s'extirpa de ses draps et remarqua qu'on l'avait simplement laissé avec son débardeur et sa jupe. On lui avait même retiré ses collants.
« Peter, tu ne peux pas laisser tomber ? s'agaça une deuxième personne à la voix beaucoup plus grave. Visiblement, Dorcas Meadowes n'a pas réussi à te faire comprendre que c'est le mauvais sujet à aborder. Peut-être que la prochaine fois je devrais lui dire qu'un Chauvefurie est la seule manière de te faire retenir une leçon. »
Prenant appui sur son lit, Grace s'avança vers le pied de celui-ci pour atteindre ses vêtements pliés soigneusement.
« Lunard, soupira celui qui devait être Peter Pettigrow. J'essaye juste de détendre l'atmosphère, attendre que Patmol se réveille me déprime. »
Quelqu'un rit derrière le rideau, un rire qui lui était lointainement familier. Grace termina de boutonner sa chemise puis elle essuya son front transpirant auquel était collé sa frange de cheveux bouclés.
« Merci pour ton dévouement Queudver mais il vaut mieux abandonner le sujet de Sirius et Grace. »
Grace reconnut instantanément cette voix légèrement grave teintée d'un discret amusement : James Potter, son ancien rival de Quidditch qui l'avait plus d'une fois fait sursauter cette année en apparaissant soudainement dès que Dorcas avait le dos tourné pour discuter des derniers ragots de Quidditch et de ses pronostics.
À la grande surprise de Grace, James Potter ne lui avait jamais dit quoi que ce soit à propos de sa décision de quitter son poste de Poursuiveuse titulaire chez les aigles alors que, pendant deux ans, il n'avait eu de cesse de l'accoster pour la prévenir qu'il allait la terrasser sur le terrain.
De ce qu'elle avait observé, Grace avait été la seule personne qui avait eu droit à des déclarations de guerre personnelles de James Potter, le Poursuiveur avec le plus de buts à son actif de Poudlard. C'était étrange mais, bien que Grace ait toujours fait exprès de paraître désintéressée, James avait paru voir facilement à travers son masque. Elle ne savait pas comment mais il savait que la rivalité féroce qu'il ressentait à son égard était bien réciproque.
« Je ne serais même pas étonné que Meadowes apparaisse d'ici quelques secondes, continua James, inconscient de son public derrière le rideau. C'est comme si elle avait une cloche qui la prévenait d'à chaque fois qu'on parle d'elle ou de Grace.
– Je serais prêt à parier cinq gallions qu'elle a déjà réussi à faire pisser dans son froc quelqu'un, dit Peter Pettigrow. Elle fait vraiment peur. Je ne comprends pas comment tu as les couilles de lui répondre Cornedrue.
– L'habitude. Et puis, elle n'est pas si effrayante que ça. Elle me fait trop penser à un chihuahua pour m'impressionner. Elle est le genre de personne qui aboie fort mais qui n'ose pas vraiment attaquer. »
Grace posa sa main sur le rideau alors qu'elle entendait derrière lui le pouffement de rire discret de Remus Lupin et l'éclat de rire plus franc de Peter Pettigrow :
« Un chihuahua ? Mais qu'est-ce que tu racontes Cornedrue ? Tu as un – »
Grace tira le rideau et croisa le regard surpris de Peter Pettigrow.
« – grain…, termina Peter, le plus proche d'elle alors qu'il avait installé sa chaise au pied du lit de convalescence de…Sirius Black. Salut ? hoqueta-t-il d'une voix aiguë mais Grace était si sonnée qu'elle remarqua à peine le rougissement qui grimpait le long du cou du blond.
– Salut, répéta-t-elle platement, haletant légèrement.
– Grace ? Tu ne devrais pas retourner te coucher ? lui demanda James et Grace cligna lentement des yeux, arrachant ses yeux du brun qui dormait avec des sourcils froncés de douleur.
– Oui, oui, je vais bien, » assura-t-elle en contournant lentement Peter Pettigrow.
Elle ne remarqua pas que le blond aux joues rondes faisait les gros yeux à Remus Lupin pour faire comprendre à son meilleur ami son humiliation de se faire surprendre pour la deuxième fois de la journée. En réponse, Remus Lupin lui adressait un regard bien blasé, peu sympathique après tous les avertissements qu'il lui avait faits.
Grace fut pris d'un léger étourdissement et elle posa précipitamment sa main sur le drap blanc. Elle vit du coin de l'œil James qui s'était relevé de sa chaise et était penché vers elle.
« Je – je n'ai pas besoin de ton aide, s'agaça-t-elle en lançant un regard d'avertissement assez peu crédible vu son état à James.
– Assieds-toi au moins. »
Beaucoup trop assommée par la fièvre pour refuser son offre, Grace prit la place de James. Inconsciemment, elle poussa un gémissement en s'asseyant ce qui l'obligea à répéter à James qu'elle allait bien pour qu'il garde ses mains pour lui. Les sourcils froncés, James se recula mais resta assez proche pour la rattraper au cas où qu'elle perde l'équilibre, même assise.
Grace essuya les gouttes de sueur qui s'accumulaient sous sa frange. Puis, réalisant où son regard s'était naturellement posé, elle leva avec précipitation les yeux vers Remus Lupin assis en face d'elle. Elle était désespérée de trouver une distraction et de ne pas s'écrouler sur le Gryffondor sommeillant sur le lit entre eux.
« Eh bien, vous avez eu des soucis avec Dorcas ? » s'enquit poliment Grace.
Plus contenu que James qui adressa un regard incrédule à la blonde, Remus Lupin força un sourire grimaçant à ses lèvres :
« Elle était inquiète après que tu sois tombée dans les pommes.
– J'imagine, » dit Grace en secouant le décolleté de sa chemise pour essayer de s'aérer, les coudes enfoncées dans ses cuisses.
Elle savait qu'elle avait une attitude étrange. Si sa grand-mère la voyait, elle serait horrifiée de la voir agir de manière si débauchée, son chemisier trop peu boutonné et son dos bien trop courbé. Mais Grace avait l'impression qu'elle était à deux secondes de se liquéfier alors elle ne remarqua même pas que Remus Lupin et Peter Pettigrow avaient découvert la rondeur de ses seins.
Remus s'empressa de relever les yeux mais Peter prit quelques secondes supplémentaires, le temps que l'image de la furie de Dorcas Meadowes lui monte au cerveau.
« Quelle heure est-il ? demanda Grace en posant son menton dans le creux de ses mains, les coudes toujours enfoncées dans ses cuisses.
– Presque vingt heures, l'informa James, les bras croisés et en l'observant avec des sourcils froncés. Tu devrais retourner te coucher, Grace.
– D'après ce que tu me dis j'ai déjà dormi plus d'une demi-journée, rétorqua Grace en fermant les yeux pour arrêter d'observer le pli sur le front de Sirius Black causé par son sommeil agité.
– Je suis sérieux. Tu ne devrais pas t'être levée, Grace.
– Est-ce que tu pourrais arrêter de dire mon prénom. Grace, Grace, Grace, Graaace – »
Grace ignora le pouffement de rire surpris de Peter Pettigrow et continua :
« J'ai l'impression d'entendre Dorcas, se plaignit-elle avant de céder à la tentation et de déposer ses bras puis son front sur le drap du lit devant elle, à quelques centimètres à peine de la main inerte de Sirius Black.
– Eh bien Meadowes a raison. Tu es complètement déglinguée, retourne te coucher dans ton lit.
– Je n'arrive pas à croire que j'ai un jour eu le béguin pour toi, marmonna Grace dans le drap.
– Quoi ? Parle plus fort, je comprends rien à ce que tu dis, s'agaça James, inconscient de la révélation de la Serdaigle qui écarquilla pourtant les yeux de Remus, ses sens aiguisés de loup-garou lui donnant une ouïe surdéveloppée. Hé, t'es encore là ? »
Mais Grace s'était endormie et Remus en informa James avant que celui-ci ne jette son hésitation par la fenêtre et ne secoue l'épaule de la Serdaigle.
Si Grace Mosley n'était pas connue pour éviter tout échange qui sortait du cadre académique ou amical avec les membres de la gente masculine, Remus aurait sans doute gardé sa bouche fermée, préférant que James amène de force la Serdaigle jusqu'à son propre lit.
Remus avait de plus en plus de mal à supporter les tentatives de rapprochement des filles du château à l'égard de Sirius. Et rien que d'imaginer que quelqu'un puisse profiter de la faiblesse de Sirius lui donnait des pulsions de violence. Mais c'était Grace Mosley. Hormis Benjy Fenwick et Chris Wood, le seul homme avec qui Remus la voyait parler régulièrement était Flitwick. À chaque fin de cours de Sortilège, elle restait discuter avec son Chef de Maison.
« –nedrue ? » marmonna Sirius d'une voix lourde de sommeil.
Les trois garçons faillirent sursauter au réveil soudain de leur ami. James fut le premier à se ressaisir et il se pencha au-dessus de la tête assoupie de Grace Mosley pour capter le regard de Sirius qui avait les yeux à peine entrouverts. Il semblait inconscient qu'une larme s'était échappée de son œil pour rouler sur sa joue rosie par la fièvre.
« Salut Patmol, bien dormi ? l'accueillit James avec un sourire.
– Suis où ?
– L'infirmerie, tu as dormi presque toute la journée comme un gros bébé.
– Mmm, marmonna Sirius avec mécontentement.
– McGonagall a presque eu la larme à l'œil quand je lui ai dit que tu étais à l'infirmerie, intervint Remus et Sirius bougea légèrement sa tête vers la droite sur son oreiller pour le voir.
– C'était une larme de soulagement, précisa Peter et les trois garçons rigolèrent quand Sirius poussa un nouveau grommèlement mécontent, ses yeux si petits qu'on ne pouvait pas distinguer leur couleur grise.
– Heureusement que j'étais là sinon elle aurait réellement fondu en larmes, tout le monde sait que je suis son préféré, plaisanta James.
– Ta gueule, marmonna Sirius à l'hilarité de ses meilleurs amis avant de se forcer à étirer ses bras qui lui donnaient l'impression de faire le poids d'un Hippogriffe.
– Attention, » le prévint James mais c'était trop tard.
C'était trop tard car les bras de Sirius s'étaient déjà abaissés et quelque chose lui chatouilla la main. Plissant les yeux avec confusion, il ne vit qu'une couronne dorée. De plus en plus confus, il pinça entre son pouce et son index ce qui se révéla être des cheveux dorés aux reflets oranges à cause de la lumière des torches de l'infirmerie.
Son cœur trébucha une fois et tout se métamorphosa soudainement.
La cadence de sa respiration s'atténua et les yeux de Sirius s'ouvrirent. Sa vision n'était plus floue mais était plutôt bien trop nette, comme s'il voyait clairement le kaléidoscope de couleurs du monde pour la première fois.
Sirius remarqua lointainement que James et Remus lui parlaient, que Peter riait mais il ne put détacher son regard de la couronne dorée.
Ayant l'impression que son corps ne lui appartenait plus, il laissa la mèche dorée retomber.
Son index caressa une peau douce puis effleura l'extrémité d'un sourcil d'un marron clair avant de glisser vers l'hélix légèrement pointu d'une oreille et de terminer son chemin sur une lobe d'oreille percée où étaient suspendus deux anneaux dorés qui s'agitèrent au toucher de Sirius.
À chaque nouveau millimètre parcouru, une ligne rouge retraçait son chemin sur la peau de la jeune fille endormie qui, comme si elle avait ressenti son toucher, poussa un gémissement et tourna plus franchement sa tête dans ses bras, présentant à Sirius la rondeur de sa joue et la courbe discrète de son nez. Incapable de résister, l'index de Sirius se dirigea vers ce brin de peau à découvert –
James lui attrapa le poignet et les yeux de Sirius s'écarquillèrent. Il poussa un hoquet de surprise et lança un regard paniqué à son meilleur ami qui l'observait d'un air alarmé :
« Qu'est-ce que tu fous ? chuchota James. Toucher une fille inconsciente ? C'est beaucoup trop pervers pour que je te laisse faire. »
Mais Sirius n'entendit qu'à peine les propos de James, il était bloqué sur une pensée qui lui échappa en un balbutiement rare :
« C'est – c'est – »
Les sourcils de James se froncèrent d'incompréhension mais Sirius n'arrivait pas à sortir les mots. Son cœur battait la chamade et il avait l'impression d'être au bord de la crise cardiaque. Tout son corps était en ébullition : il brûlait mais il ne s'était jamais senti aussi bien, ses poils étaient dressés sur ses bras mais il n'avait pas la force de les lever, son cœur se réjouissait mais…
Il était en état de choc.
« C'est quoi ? persista James.
– C'est elle, expira Sirius, sentant sa respiration s'accélérer. C'est elle, mon, mon, mon âme – mon âme sœur. »
James lui rendit son regard éberlué, sa prise sur le poignet de Sirius se relâchant.
« Quoi ? » croassa Remus, le seul capable de retrouver l'usage de la parole mais Sirius ne l'entendit pas.
Il y avait une collision violente d'émotions dans sa poitrine, si nombreuses étaient-elles qu'il était incapable de décrire ce qu'il ressentait. Sirius n'avait jamais pensé qu'il aurait une âme sœur. Il pensait qu'il n'en méritait pas une. Mais, même dans ses rêves les plus fous, il n'aurait jamais pensé qu'il la trouverait et encore moins qu'elle se révélerait être Grace Mosley.
Grace Mosley, la chouchoute des professeurs. Grace Mosley, celle dont il avait souvent moqué et imité la manière exubérante de lever sa main à chaque fin de phrase d'un professeur en 1ère année. Grace Mosley, celle qui avait alimenté quelques fantaisies depuis le premier match de la Serdaigle en 5e année où sa tenue de Quidditch avait révélé que ses habits conservateurs cachaient une poitrine plantureuse et des cuisses que Sirius rêverait d'être les geôliers de son visage. Cette Grace Mosley ?
Sa fièvre avait beau s'être miraculeusement atténuée, le choc et la panique firent de nouveau vaciller son estomac jusqu'à ce que celui-ci ne tire la sonnette d'alarme. Sirius bondit en avant et déversa le contenu de son petit-déjeuner entre la table de chevet et la chaise de Remus.
James et Peter poussèrent des cris de dégoût mais Sirius resta à haleter, le buste toujours penché par-dessus son lit.
Le visage fermé, Remus lança un recurvite pour effacer les traces du bouleversement de Sirius. Il tendit un verre d'eau que Sirius prit avec un remerciement marmonné.
« Eh bien, ce n'était pas la première rencontre que j'avais imaginée. »
À la voix grave de Grace Mosley, Sirius oublia de terminer son verre.
Claquant sa langue contre son palais, Remus lui reprit le verre à moitié rempli des mains mais Sirius ne le remarqua que lointainement, les yeux figés sur Grace Mosley.
En la voyant l'observer si calmement, le dos droit et ses mains entremêlées sagement sur ses genoux, Sirius aurait pu croire que la Serdaigle était venue lui transmettre les devoirs qu'il avait raté pendant sa journée de convalescence à la demande d'un professeur. Si ses joues n'étaient pas anormalement rouges et ses yeux bleus brillants de fièvre, il aurait pu croire qu'elle était simplement une énième fille qui était assaillie par la timidité à sa proximité.
Mais Grace Mosley n'était pas timide, non.
Elle n'avait pas été timide lorsqu'Evan Rosier était descendu de son balai à la mi-temps du match pour la prendre à partie après qu'elle ait esquivé les mains des Poursuiveurs de Serpentard en tournant habilement autour d'Evan Rosier, batteur impitoyable qui avait failli perdre l'équilibre après une manœuvre soudaine de Grace Mosley. Non, lorsqu'Evan Rosier « Le Taureau » s'était planté à moins d'un pas d'elle, la surplombant de toute sa hauteur, Grace Mosley qui ne dépassait pas le mètre 60 avait haussé son menton. Puis, sans un mot, elle avait posé ses deux mains sur le torse du Serpentard et l'avait poussé sans ménagement.
Sirius ne savait pas que ce que la Serdaigle avait dit au Serpentard abasourdi à ses pieds alors que la foule rugissait dans les gradins. Mais les paroles qui avaient accompagnées l'expression hautaine de la Serdaigle avaient rendu fou de rage Evan Rosier. Si Madame Bibine n'était pas intervenue, nul doute qu'Evan Rosier n'aurait pas hésité à frapper la petite blonde qui était une Poursuiveuse des plus vicieuses.
Non, bien que Grace Mosley soit la pire Miss-Je-Sais-Tout qui soit, elle n'était pas timide.
« Je suis désolée que tu sois tombé malade à cause de moi, continua-t-elle, si normalement que Sirius aurait pu croire qu'il imaginait les gouttes de sueur qui se frayaient un chemin sous sa frange bouclée pour dévaler la longueur de ses joues. Si j'avais su que mon manque de considération pour ma santé t'affecterait également, je n'aurais pas accumulé les nuits blanches. Pardon. »
Et sous ses yeux confus, Grace baissa la tête jusqu'à ce que Sirius ne puisse que voir la couronne dorée de ses cheveux. Mais Sirius était trop sonné pour lui dire de se redresser alors James fut le premier à réagir :
« Grace, tu n'as pas besoin de t'excuser, dit-il en hésitant un instant avant de poser sa main sur l'épaule menue de la Serdaigle. Allez, redresse-toi, insista James en resserrant sa prise. Grace ?
– Est-ce qu'elle va bien ? » s'inquiéta Peter alors que les quatre garçons fixaient la Serdaigle dont la parfaite posture usuelle avait disparu.
Voûtée, Grace Mosley ne levait plus les yeux de ses poings sur ses genoux.
« Grace ? Tu veux que j'aille chercher Madame Pomfresh ? s'inquiéta James alors qu'il entendait clairement son ancienne rivale de Quidditch respirer avec force.
– Même si elle a dormi, je ne crois pas que ça ait été assez et peut-être que…, dit Remus, le visage toujours fermé avant de poser son regard sur Sirius qui, rehaussé maladroitement contre la tête de lit, avait fermé les yeux et avait les traits crispés de douleur.
– Je pense qu'on devrait vraiment aller chercher Pomfresh, dit Peter en se relevant mais, alors qu'il s'apprêtait à tirer le rideau entourant le lit de convalescence de Sirius, les paroles de Remus le stoppèrent.
– Peut-être que leur proximité joue un rôle dans l'intensité de leurs symptômes.
– Quoi ? s'exclama Peter en se retournant pour dévisager avec des yeux ronds Sirius qui recommençait à haleter en grimaçant et la jeune fille qui avait laissé son front se reposer sur le lit de celui-ci, sa respiration tout aussi irrégulière.
– C'est possible, continua Remus en se levant pour poser le dos de sa main sur le front transpirant de Sirius. Je ne suis pas un expert en...âmes sœurs, grimaça-t-il, mais s'ils sont vraiment liés, c'est tout à fait possible. »
Comme pour lui répondre, Grace poussa un gémissement peiné et James s'accroupit pour se mettre à hauteur de son visage.
« Et qu'est-ce qu'on fait alors ? » paniqua Peter.
Remus retira sa main du front brûlant de Sirius :
« Ah ça, j'en sais rien.
– Lunard !
– Désolé, Peter. J'étais absent quand Binns a fait le cours sur les âmes sœurs, » se dédouana platement Remus.
Peter n'eut pas le temps de lancer de remarque à Remus que James se mit à chuchoter frénétiquement le prénom de Grace Mosley.
« Grace, Grace, hé ho Grace ! s'agitait-il et Remus et Peter entendirent enfin la cadence inquiétante de la respiration de la jeune fille. Réponds-moi !
– Ne me t-touche pas. »
Sirius poussa un gémissement semblable à un sanglot et les deux Gryffondors crurent un instant que leur meilleur ami allait pleurer, cette même personne qui avait enchaîné les blagues alors qu'une pleine lune particulièrement violente avait creusé son dos d'une plaie profonde.
Automatiquement, en un geste inconscient pour le rassurer, Remus posa sa main sur l'épaule de Sirius. Mais aussi soudainement que la douleur était apparue, le visage de Sirius se lissa et sa tête tomba en avant. Deux secondes plus tard, il se redressait en un sursaut, comme s'il s'était surpris à s'endormir.
« Qu'est-ce que tu as fait ?! » s'exclama Sirius en agrippant sa poitrine de sa main avant que Remus puisse lui demander s'il allait bien.
Quand bien même il l'aurait fait, Remus n'était pas sûr qu'il aurait obtenu une réponse. Toute l'attention de Sirius était focalisée sur les cheveux blonds à quelques centimètres de sa main sur le drap blanc que Sirius avait serré au point d'en avoir la peau blanche il y a quelques secondes encore.
Lentement, Grace se redressa et Remus observa avec incompréhension les larmes rouler sur les joues rouges de la Serdaigle. Tout comme Sirius, Grace Mosley ne pleurait pas. L'année dernière, lors de l'avant-dernier match de la saison, celui extrêmement serré de Serdaigle contre Serpentard, elle ne l'avait pas fait alors qu'elle aurait dû.
Remus se souvenait encore parfaitement de Grace Mosley se dirigeant avec la vitesse d'une comète vers les buts des Serpentards, esquivant avec une telle fluidité les Serpentards à ses trousses qu'un débutant aurait pu croire que c'était à la portée de tout le monde.
En voyant la percée impressionnante de la Serdaigle qui faisait rugir les gradins, James s'était relevé pour s'accrocher à la rambarde, les yeux grands ouverts comme si ça lui permettrait de comprendre comment Grace Mosley avait fait pour esquiver le Cognard d'Evan Rosier qui venait pourtant de derrière elle.
Deux Poursuiveurs de Serpentard étaient soudainement apparus devant la Poursuiveuse de Serdaigle. Remus avait entendu Peter pousser un hoquet de stupeur et James hurler : « ALLEZ, MOSLEY ! ». Grace Mosley avait continué sa trajectoire, le Souafle coincé sous son aisselle. À la place des deux poursuiveurs de Serpentard plus qu'à un mètre de Grace Mosley, Remus se serait posé des questions sur la santé mentale de la Poursuiveuse. Est-ce qu'elle voulait leur rentrer dedans et les faire tous les trois tomber dans le vide ?
Au dernier moment, réalisant sans doute l'effet d'une collision avec un balai prenant autant de vitesse, les deux Serpentards s'étaient écartés avec précipitation.
« Oui, OUIIII ! avait jubilé James de concert avec la foule rugissante, secouant entre ses mains la rambarde. ELLE EST DINGUE, COMPLÈTEMENT DIN…gue. »
Un Cognard avait percuté de plein fouet l'épaule de Grace Mosley.
L'élan de son balai l'avait fait continuer sa trajectoire mais le Souafle s'était échappé du creux de son aisselle. Miraculeusement, Grace Mosley avait donné un coup de pied au Souafle qui venait de lui échapper et ça avait été assez pour que Francis Lockart, capitaine des aigles, rattrape in extremis le Souafle. Déstabilisé par l'arrivée soudaine de Grace Mosley dans l'un de ses buts, le Gardien de Serpentard s'était élancé trop tard pour arrêter le tir du capitaine des Serdaigles.
Au dernier moment, Grace Mosley était parvenue à arrêter sa trajectoire. Tenant d'une main son balai, son autre bras pendant dans le vide, elle avait haleté en rendant leur regard aux Serdaigles dont les cris de joie s'étaient coincés dans leur gorge en voyant le missile à deux doigts de les percuter dans les gradins. Alors que les Serpentards repartaient à l'attaque, Grace Mosley avait lentement perdu en altitude.
Un an plus tard, Remus avait toujours en tête le stoïcisme buté sur le visage de Grace Mosley alors qu'elle passait devant les gradins de Gryffondor, la crispation féroce de sa mâchoire et ses yeux rougissants les signes de la douleur qu'elle taisait.
Lorsque la Serdaigle s'était posée au sol, Madame Bibine avait rapidement sifflé une pause mais Grace Mosley avait refusé qu'on la fasse léviter jusqu'à l'infirmerie. Se tenant son épaule clairement déboitée par le Cognard de Sébastian Vance, elle avait quitté par elle-même le terrain et Remus s'était demandé d'où la Serdaigle puisait cette force car Remus, lui, avait souffert bruyamment pendant des années avant de réussir à contrôler sa voix.
Mais peut-être que cette impossibilité d'admettre d'aller mal était une des raisons pour lesquelles Sirius et Grace Mosley étaient fait l'un pour l'autre. Aux yeux de Remus, cette caractéristique était l'une des pires choses à partager mais pourtant son ventre se noua.
« Je t'ai bloqué, dit Grace en essuyant ses joues striées de larmes.
– C-comment ? » demanda Sirius et c'était bien la première fois que Remus l'entendait bégayer et paraître presque blessé par un membre de la gente féminine.
Il ne savait pas quoi en penser.
« Il y a comme un fil qui te relie toi et moi, expliqua Grace Mosley en ignorant le regard pénétrant de James qui l'observait avec une intensité qui ne lui ressemblait pas – excepté lorsqu'il s'agissait de Lily Evans et de Dorcas Meadowes. Je l'ai remarqué depuis quelques jours.
– Et tu n'as rien dit ? dit Sirius avec colère, la main toujours crispée sur sa poitrine.
– J'étais plus préoccupée par les révisions pour les ASPICS blancs, dit Grace en s'essuyant sa frange trempée, paraissant éreintée.
– Je suis le seul à penser qu'avoir enfin trouvé son âme sœur est plus important que les ASPICS blancs ? s'étonna Peter, toujours debout à côté du rideau.
– Je ne peux pas me permettre de les rater, dit doucement Grace et, pour la première fois, Remus eut l'impression de voir un éclair d'émotion traverser ses yeux bleus rendus brillants par la fièvre. Je suis désolée. Vraiment, » ajouta-t-elle en plongeant ses yeux dans ceux gris de Sirius.
Remus n'avait toujours pas enlevé sa main de l'épaule de Sirius alors il sentit distinctement celui-ci se détendre. Pour une raison que Remus préférait ignorer, il resserra sa prise alors que Sirius prenait de nouveau la parole, l'agacement transpirant de sa voix :
« J'accepte tes excuses seulement si tu promets de ne pas le refaire.
– De ne pas refaire quoi ?
– De ne pas me bloquer, répondit Sirius puis, ses sourcils se froncèrent et il massa sa poitrine avec sa main : Pendant quelques minutes c'était comme si…et puis plus rien, » termina gauchement Sirius, bien loin de son assurance habituelle.
Les épaules de Grace s'affaissèrent.
« Comme si j'étais en toi ? » dit Grace avec un sourire fatigué qui changea dramatiquement son visage.
Grace Mosley n'était pas le genre de filles à se faire remarquer par ses éclats de rire fréquents. Pourtant, malgré sa discrétion, elle était également directe et n'avait pas peur de prendre le contrôle d'une conversation si la direction de celle-ci ne lui plaisait pas. Remus se souvenait encore du travail de groupe qu'il avait dû faire avec Grace Mosley en début de 6e année et l'efficacité avec laquelle la Serdaigle avait fait taire Marlène et Servilus qui échangeaient des remarques venimeuses au lieu de commencer à travailler sur leur exposé de Métamorphose, Marlène n'ayant pas pardonné le comportement du Serpentard à l'égard de Lily.
Mais malgré son aisance à l'oral, Grace Mosley était également une personne qui donnait l'impression de limiter sa prise de paroles. Elle faisait partie de ceux qui préférait souvent observer avant d'agir et Remus l'avait toujours lointainement apprécié pour ce trait de caractère qu'ils partageaient. Pourtant, alors que le sourire rare de la Serdaigle adoucissait son visage et ne lui donnait plus son attitude distante habituelle, Remus sentit la panique monter.
Sous sa main, Sirius décortiquait du regard Grace Mosley assise à son chevet.
« Je sais que c'est désagréable mais tant que je suis malade il vaut mieux que je bloque notre lien de mon côté, » termina Grace.
Remus recula mais ne rejoignit pas James et Peter dans leurs ricanements difficilement retenus.
« Tu n'aurais pas pu le dire autrement ? grimaça Sirius.
– C'est la vérité, soupira Grace et, sans détourner les yeux de Sirius, elle frappa le ventre de James du dos de sa main.
– Hé, se défendit James en parvenant difficilement à retenir son rire alors qu'il entendait Peter continuer de ricaner. C'est toi qui a dit que tu étais en Sirius, désolé d'y voir quelques connotations sexuelles. »
Depuis son trône d'oreillers, Sirius jeta un regard noir à James qui haussa les épaules en guise d'excuse, un sourire amusé toujours accroché à ses lèvres. Remus, lui, se décida à se rasseoir, les images lui venant à l'esprit l'amusant bien moins.
Comme si elle avait entendu ses pensées, Grace posa ses yeux sur lui depuis l'autre côté du lit. Remus força un sourire à ses lèvres mais celui-ci n'eut pas l'effet escompté. La Serdaigle fronça les sourcils puis se releva.
Grace Mosley vacilla et James bondit pour la rattraper.
Avec agacement, Grace se défit de sa prise et Remus se rappela vaguement avoir déjà entendu des rumeurs comme quoi Grace Mosley était une Sainte-Nitouche qui ne laissait personne la toucher. Étant donné que cette rumeur provenait de Liam Olsen, l'ancien capitaine de Quidditch de Gryffondor qui avait eu son diplôme en juin dernier, Remus n'avait porté qu'une attention minime à cette rumeur. Après tout, Liam Olsen était connu pour sa tendance à laisser ses mains s'égarer et pour sa susceptibilité.
« Je vais bien, James, s'agaça Grace Mosley en se raccrochant à la table de chevet. Je n'ai pas besoin de ton aide pour tenir sur mes pieds.
– Excuse-moi de ne pas te faire confiance. Tu es quand même tombée dans les pommes en plein examen juste parce que tu as eu la trouille d'avoir un très pitoyable E.
– Je ne peux pas me permettre d'avoir un E, James, » claqua Grace Mosley.
Elle jeta un regard peu amène au Gryffondor en question qui leva le menton en réponse, bien loin de se sentir désolé.
« Et je t'ai déjà dit que j'allais bien, ajouta-t-elle en dégageant son coude que James s'apprêtait à attraper alors qu'elle vacillait encore une fois.
– Tu es gonflante, Grace Mosley. Pour une fois dans ta vie, tu ne peux pas laisser quelqu'un t'aider ? s'agaça James.
– On n'est pas assez proches pour que tu me donnes des leçons, James Potter. Fous-moi la paix. »
Levant les yeux au ciel, James se recula et haussa ses sourcils en direction de la Serdaigle qui l'observait avec des yeux à moitié plissés, de suspicion ou pour se retenir de ne pas chanceler, Remus n'était pas sûr.
« C'est bon ? Je suis assez loin à ton goût ? railla James.
– Je n'ai pas assez d'énergie pour me disputer avec toi, dit Grace, une main posée sur la table de chevet et se frottant les yeux de l'autre.
– On croirait entendre, Meadowes, renifla James.
– James. »
Si Grace avait retiré sa main de ses yeux, elle aurait pu voir le regard qu'échangeait Sirius avec son meilleur ami, lui faisant clairement comprendre de laisser tomber sinon… Elle aurait également vu le froncement de sourcils de Remus face à ce soudain volte-face de Sirius qui n'en avait jamais rien eu à faire de Grace Mosley et qui n'aurait jamais dû prendre son parti contre James, celui qui aurait logiquement dû être son âme sœur. Elle aurait également vu l'air surpris de Peter qui était habitué à entendre « Cornedrue » sortir de la bouche de Patmol à chaque fois qu'il s'adressait à James depuis qu'ils avaient terminé leur transformation en animagus.
Mais lorsqu'elle se força à se redresser, tout son corps la suppliant de s'allonger, Eva ne vit que le regard sombre de Sirius Black se poser sur elle et elle sentit encore une fois la panique monter. Mais il fallait qu'elle se contrôle, sa première perte de contrôle avait presque réussi à rendre inconscient son âme sœur et elle. Elle ne pouvait pas laisser Sirius Black être le dommage collatéral de ses crises de panique.
Inconsciemment, la main de Grace se leva et elle la tendit vers le Gryffondor qu'elle avait quelquefois discrètement détaillé du regard, appréciant la perfection de ses traits et la luminosité de ses sourires lorsqu'il était entouré de ses amis.
« Qu'est-ce – »
Grace ignora Remus Lupin qu'elle vit se redresser sur sa chaise du coin de l'œil.
Elle posa sa main sous le menton de Sirius Black, le forçant à se tourner vers elle et une sorte de brasier s'alluma dans sa poitrine à la vue du gris de ses yeux.
Couvée par son regard, elle se sentit respirer plus calmement et la fièvre lui assomma moins fortement l'esprit, rendant invalide l'excuse de sa maladie pour expliquer son action qui suivit.
Elle tourna le visage de Sirius Black vers elle, des décharges de froid émanant de lui pour refroidir sa main et, inconsciemment, Grace se pencha vers lui.
Elle oublia la présence des trois autres Gryffondors dans ce carré de l'infirmerie. Se laissant entraîner par le contentement soudain qui atténuait les effets de sa fièvre, Grace posa son front contre celui de Sirius Black – Sirius. Elle devait l'appeler Sirius maintenant.
Son pouce caressa inconsciemment l'axe de la mâchoire de Sirius et elle ferma les yeux puis expira, réchauffant la bouche de Sirius par son haleine.
Lointainement, elle était consciente que dans son état normal jamais elle ne se serait permise de le toucher si librement. Jamais elle n'aurait ignoré les yeux écarquillés de Sirius face à cette violation flagrante de son espace personnel – une chose qu'elle estimait au plus haut point. Mais, à l'instant présent, elle se contenta d'apprécier le réconfort que la sensation de sa peau contre la sienne lui procurait.
Une éternité plus tard ou bien quelques secondes plus tard, Grace se redressa en laissant ses doigts caresser le cou de Sirius et elle ressentit de la satisfaction à la vue du bleu clair qu'elle laissa derrière elle. Elle était habituée à voir Sirius Black agir avec une suavité inhabituelle pour son âge avec les filles mais elle eut la distincte impression qu'elle l'avait surpris.
Grace se redressa et put admirer le bleu clair colorant le menton et le front de Sirius. De manière inexplicable, l'intensité du brasier dans sa poitrine la fit caresser avec son pouce la lèvre inférieure de Sirius qui passa d'une couleur rosée à un bleu clair fascinant.
« Euuuuh… »
Ce chuchotement confus de Peter Pettigrow la fit reprendre ses esprits. Grace se recula de quelques pas mais arracher son regard de celui de Sirius fut plus dur que ça n'aurait dû.
« Je vais dormir, » annonça-t-elle en ignorant les yeux ronds de James Potter.
Sans un mot de plus, elle se glissa derrière le rideau et s'effondra sur son lit qu'elle n'aurait jamais dû quitter si elle était intelligente. Deux secondes après que son nez ait touché son oreiller, Grace s'endormit, ignorant qu'elle avait laissé derrière elle un garçon rougissant furieusement pour la première fois de sa vie.
« Ta gueule, James, grogna Sirius avant de se cacher sous ses draps.
– Je ne sais pas si c'était l'un des moments les plus gênants de ma vie ou l'un des plus chauds.
– Peter ! s'exclama Remus.
– Je ne serais pas surpris que Patmol soit en train de bander là-dessous.
– James, pas toi aussi ! » s'exclama Remus.
Sirius extirpa son pied de ses draps pour asséner un coup de pied à James mais celui-ci s'écarta au dernier moment.
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« Enfin ! J'ai cru que tu allais dormir une journée de plus ! Heureusement pour toi que l'examen de Métamorphose était le dernier.
– Dorcas. De l'eau, grogna Grace lorsque son tapotement aveugle de sa table de chevet ne réussit pas à la faire dénicher un verre d'eau pour sa gorge sèche.
– Tu es la pire des imbéciles inconsciente que je connaisse, l'insulta Dorcas en lui tendant un verre et Grace se redressa tant bien que mal avant de prendre prudemment le verre entre ses doigts.
– Je suis désolée.
– Tu dis ça à chaque fois, Grace. Ça ne sert à rien de t'excuser si tu continues à adopter le même comportement par la suite.
– Je suis désolée, » répéta plus faiblement Grace en observant avec des yeux fatigués l'eau dans son verre.
L'eau tremblait. Grace s'empressa de boire pour ignorer ce léger souci.
« McGonagall a accepté de te faire repasser l'examen la semaine prochaine. Elle a bien vu que ta dissertation trois-quarts terminée était parfaite, dit Dorcas d'une voix traînante, le sarcasme peignant ses paroles donnant envie à Grace de s'excuser de nouveau.
– C'est gentil de sa part, dit doucement Grace.
– Elle ne sera pas aussi gentille la prochaine fois. Pomfrey n'a pas manqué de l'informer de la quantité de Pimentine que tu avais dans le sang. »
Grace garda la bouche close.
« Rien à redire ? J'aurais dû m'en douter. Tu es aussi têtue que Potter. En parlant de lui, j'ai trouvé ce pervers avec Sirius Black à ton chevet quand je suis arrivée ce midi. J'ai dû les menacer avec un Chauvefurie pour qu'ils foutent enfin le camp. Ce crétin de Potter a essayé de me menacer avec son badge de préfet-en-chef mais je lui ai rapidement fait désenchanter. Qui prendrait son parti quand je dirai qu'il lorgnait avec son copain une jeune fille inconsciente en profitant de l'absence de l'infirmière ?
– Dorcas…
– Quoi ? J'ai raison ! Même Evans ne pourrait pas lui trouver d'excuse cette fois-ci ! On croirait qu'elle est devenue aveugle cette année, la moindre critique contre la performance de Potter en tant que préfet-en-chef elle les prend pour elle !
– Dorcas, s'il te plaît. Arrête. »
Avec un reniflement hautain, Dorcas cessa sa tirade. Elle croisa les bras sous sa poitrine et détourna le regard comme à chaque fois que Grace la reprenait, ses boucles d'oreilles argentées tintant à son mouvement abrupt.
« Est-ce qu'il y a d'autres personnes dans l'infirmerie ? demanda Grace après quelques instants de silence où elle déposa son verre sur sa table de chevet.
– Non.
– Tu es sûre ? » insista Grace et Dorcas lui adressa un mauvais regard en réponse, insultée que sa meilleure amie ne la croit pas instantanément.
Dorcas décroisa ses bras puis agita sa baguette pour tirer les rideaux les entourant, affichant à leur vue les lits vides de l'infirmerie. Avec un autre tournoiement de sa baguette, Dorcas remit à leur place initiale les rideaux pour préserver leur intimité. La brune haussa un sourcil en direction de la blonde, l'air de dire « tu me crois maintenant ? ».
« Je devais être sûre. J'ai quelque chose à te dire.
– Quoi ? Que tu as besoin d'une culotte de rechange parce que tu as transpiré toute la nuit ? railla Dorcas. Ne t'inquiète pas, j'ai amené un sac avec tes vêtements. »
Grace ne fut pas étonnée lorsque Dorcas déposa un sac sur ses jambes recouvertes d'un drap blanc. Malgré sa mauvaise humeur qui était devenue presque quotidienne cette année, Dorcas restait une amie très attentionnée.
« Merci. Non, c'est par rapport à quelque chose de plus grave. Tu pourrais te rapprocher ? »
Dorcas avança sa chaise, les pieds de sa chaise crissant contre le parquet de manière abominable. Un tantinet exaspérée, Grace lui dit de se rapprocher encore plus et Dorcas lui adressa un regard suspicieux :
« Si c'est pour que tu me refiles le reste de ta maladie, je ne suis pas intéressée.
– Merlin, Dorcas ! Rapproche-toi juste ! »
Marmonnant des protestations, Dorcas se rapprocha assez pour que Grace puisse lui chuchoter à l'oreille. Mais lorsque Grace eut terminé sa phrase, Dorcas ne bougea pas, lui offrant toujours la vue de sa joue.
« Dorcas ? »
Lentement, Dorcas tourna son visage vers son amie, si proche que son nez effleura la joue encore tiède de Grace. Ses yeux marrons étaient grands ouverts, incrédules.
« Le meilleur ami de Potter ?!
– Oh pour l'amour de Dieu ! s'écria Grace en poussant Dorcas en arrière, n'en ayant que faire du hoquet de surprise de celle-ci qui se retrouva subitement le dos collé à sa chaise. Pour une fois dans ta vie, est-ce que tu pourrais me parler d'autre chose que de James Potter !
– Mais – mais ! Lui ? s'exclama Dorcas en agitant ses mains. Lui ? Tu aurais pu choisir n'importe qui d'autre !
– Je ne l'ai pas choisi, Dorcas ! s'emporta Grace, sentant des larmes traîtresses lui monter aux yeux et, en réponse, elle baissa la voix. Si j'avais pu – »
Grace se pinça les lèvres et continua plus bas, presque une confession :
« Si j'avais pu, je ne l'aurais jamais trouvé.
– Mais – mais, commença Dorcas, presque désespérée que Grace avoue que tout cela n'était qu'une grande blague pour se venger de ses remarques bougonnes. Tu – tu ne laisses personne te toucher ! Et tu as passé toute la soirée d'hier à dormir ! Je ne comprends pas !
– Il y a deux jours. Sirius faisait la course avec James dans les couloirs. Il m'a bousculé avant de repartir en courant.
– Sirius ? Tu l'appelles Sirius maintenant ? s'exclama Dorcas, l'air horrifié avant de lever ses deux mains pour couper les protestations de la blonde. Attends – plus important ! Les couloirs sont glaciales, c'est impossible de ne pas porter des manches longues à part si on veut attraper une hypothermie alors - Dorcas plissa les yeux d'un air suspicieux - comment vos peaux ont pu se toucher ?
– J'avais chaud, admit Grace et elle eut beau le dire le plus innocemment possible, Dorcas vit instantanément à travers son jeu.
– Attends…dit-elle lentement, observant avec suspicion chaque millimètre du visage de Grace. Tu as de la fièvre depuis deux jours ? »
Cette fois-ci, Grace ne put réprimer une grimace et l'incrédulité de Dorcas laissa place à la colère :
« Merlin ! Parfois tu me donnes juste envie de – »
Et Dorcas joint très explicitement ses deux mains et les serra si fort qu'elles en tremblèrent. Non, Grace était heureuse que Dorcas pouvait contrôler ses pulsions lorsque ça la concernait. Elle ne voulait pas se faire tordre le cou.
« Je suis désolée ?
– Oh garde tes excuses pour toi, espèce d'imbécile inconsciente ! Je savais que j'aurais dû t'attacher à ton lit pour te forcer à dormir cette semaine ! »
Et si Dorcas l'avait fait, Grace ne se serait pas retrouvée à devoir faire face à une situation qu'elle avait toujours espéré silencieusement ne pas devoir vivre. Elle devrait se réjouir puisqu'avoir une âme sœur ou plutôt trouver son âme sœur était une rareté et voilà que dès ses 17 ans elle l'avait trouvé mais comment... Sirius Black ?
Grace n'était pas sûre que sa vie redeviendrait un jour normale.
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Titre : Ce qui a lié nos âmes, le temps ne peut le délier - Partie 1
Nombre de mots : 11 800
Hello, je dépose ça un peu sur un coup de tête. Le juste vivra par sa loyauté reste encore ma priorité mais l'inspiration m'est venue pour une Sirius x Serdaigle!OC et j'ai eu une envie soudaine de me lancer dans un UA!soulmate. Dites-moi si une suite vous intéresserait, je n'ai pas énormément d'avance mais s'il y a des intéressés ça pourrait être très très divertissant de s'enfoncer davantage dans le monde de Grace Mosley ;)