Chapitre I

Le retour du héros

La Terre promise est toujours de l'autre côté du désert.

HENRY HAVELOCK ELLIS

Le matin arriva finalement après une nuit si longue et si froide qu'elle sembla durer éternellement. Lorsque le soleil se leva sur le vaste désert gerudo, tout changea en un instant. La température monta rapidement, et le sable d'or se mit à étinceler de plein feu. L'ombre d'un cheval et de son cavalier glissait silencieusement sur l'étendue sablonneuse qui s'étirait jusqu'au delà de l'horizon, et cela de n'importe quel côté où l'on posait son regard. Vêtu d'une épaisse cape de voyage vert sombre le protégeant des rayons brûlants de l'astre solaire, le cavalier avançait au pas de sa monture, déjà trempée par l'effort d'une marche en plein soleil. Cela dura longtemps, suffisamment pour que le soleil atteigne son zénith. À ce moment là, l'ombre était tout à fait en dessous du cheval bai efflanqué par la soif qui le tenaillait. Lorsque l'ombre bascula vers l'est et que le soleil commença à décliner vers l'ouest, son cavalier poussa un soupir de soulagement dont l'origine était la vue d'un oasis non loin. La jument épuisée, poussa un faible hennissement à la vue de ce providentiel signe de vie. Son cavalier mit pied à terre pour la guider par la bride vers cet îlot de verdure perdu en plein océan de sable. La simple pensée que bientôt ils profiteraient d'un peu d'eau et de fraîcheur redonna vigueur à leurs jambes fatiguées, aussi ils pressèrent le pas.

« Courage ma belle, tu vas pouvoir boire à ta guise », dit le cavalier à sa monture d'une voix rauque témoignant du long moment de solitude qu'il venait de passer.

Soudain la jument stoppa, releva son encolure amaigrie et pointa ses oreilles vers l'avant. Le cavalier rabattit sa capuche en arrière, découvrant un visage hylien encadré par des cheveux blonds en pagaille. Sa peau tannée par le soleil et salie par la poussière du désert lui donnaient l'air d'avoir voyagé des jours durant dans cet enfer. Ses yeux bleus scrutèrent l'horizon afin d'apercevoir ce qui avait bien pu intriguer sa jument au point de lui faire oublier qu'elle n'avait pas bu depuis la veille. Mise à part la petite étendue d'eau entourée de verdure, rien ne lui semblait suspect. Cependant, faisant confiance à l'instinct animal qu'il connaissait bien, l'homme sortit son arme : une longue épée argentée à la garde ornée de cuir. Il s'approcha, sa monture le suivant de près, toujours prompte à faire confiance à son cavalier.

Lorsqu'il fut assez près de l'eau, il finit par comprendre ce qui avait pu étonner l'animal : il y avait là un être étendu sur le sol. L'épéiste s'approcha, non pas sans méfiance, près du corps qui se révéla être celui d'une femme à la chevelure flamboyante. Vigilant, le guerrier garda son épée en main et s'approcha de l'inconsciente. Du bout de sa botte, il la retourna sur le dos et découvrit un visage jeune et sévère à la peau basanée. Ses cheveux rouges étaient tirés en arrière par une queue de cheval dans laquelle on avait tressé quelques nattes qui se trouvaient être attachées par de gros anneaux de bois. Certaines de ses mèches semblaient avoir été teintées d'un noir profond, aussi sombre que l'étrange symbole qu'elle arborait au milieu du front. La poitrine de la jeune femme s'élevait faiblement mais régulièrement : elle était en vie.

La jument bai se désintéressa rapidement du corps endormi et alla tremper ses sabots meurtris dans l'eau claire de l'oasis où elle but également tout son saoul. Son cavalier, gardant la femme dans son champ de vision, alla faire de même avant de remplir sa gourde qu'il déversa sur le visage de la rousse. Elle mit un certain temps à donner signe de vie. Ses paupières s'agitèrent faiblement, elle gémit, puis quelques temps après, elle commença à s'éveiller de son sommeil. Ses yeux s'entrouvrirent pour laisser apparaître de grandes iris mordorées, à l'image du sable du désert. Son regard semblait fatigué, comme si son sommeil avait duré des années. Reprenant ses esprits petit à petit, elle se redressa sur son séant. Apercevant ses visiteurs, elle tenta de se mettre sur ses pieds mais chancela et se laissa finalement choir sur le sol sablonneux. Elle semblait surprise de cette visite impromptue.

« Qui êtes-vous ? s'enquérit-elle.

- Je vous retourne la question. » répliqua le blond avec méfiance.

La jeune femme hésita un instant et posa sa main sur son front, à l'image d'une personne a qui un effort intellectuel impose mûre réflexion. Elle soupira, elle n'était de toute évidence pas en position de discuter.

« Je m'appelle Saïnee, je ne me souviens de rien à part ce nom. J'ai la vague impression de connaître cet endroit, et pourtant je n'en ai aucun souvenir. Je ne sais pas comment j'ai pu atterrir ici, mais peut être en avez vous une idée. »

Elle toisa d'un air accusateur le bretteur qui avait toujours sa lame pointée sur elle. Le blond jeta un regard aux alentours et rangea finalement son épée dans son fourreau.

« Je n'ai aucune idée de ce qui a pu vous amener ici, je suis tombé sur vous par hasard.

- Quelle chance ! ironisa t-elle. Ça n'a pas l'air très fréquenté par ici pourtant.

- Effectivement. Le désert est inhabité depuis des générations, seuls quelques gobelins viennent fouiner dans les alentours. Ici les hommes d'arme d'Hyrule leur laisse la paix, et il y a bien quelques voyageurs à piller de temps à autres. »

Elle se frotta la tête et observa sa propre personne en détail. Elle ne semblait pourtant pas avoir été violentée, seule une grande fatigue la tenaillait. Le cavalier s'en alla fouiller dans une des sacoches accrochée à la selle de sa jument. Il en sortit une fiole qu'il tendit à la rousse.

« Ceci vous aidera à reprendre des forces. »

Elle hésita un instant, puis se saisit tout de même de la fiole qu'elle vida d'un trait. Le liquide rouge laissa un goût amer dans sa gorge desséchée, mais elle lui fit instantanément un bien fou. Ses forces revinrent peu à peu, aussi elle tenta de se mettre debout. Au bout de deux essais, la jeune femme tenait solidement sur ses pieds. Le blond sembla surpris par la force que dégageait la dite Saïnee. Elle faisait à peine sa taille, mais elle était solide et avait fière allure. Des muscles saillants se dessinaient sous sa peau bronzée. Son buste était recouvert d'un épais plastron de cuir d'archer tandis que ses poignets et ses chevilles étaient entourés d'épais bracelets de cuirs également, recouverts de dorures qui luisaient au soleil. Le tout semblait résistant mais léger. Un sarouel carmin laissait deviner des jambes fines mais musclées tandis qu'à partir de sa taille un tissu d'un rouge profond retombait devant et derrière elle vulgairement jusqu'à ses genoux. Ses pieds étaient chaussés de légères sandales brunes qui lui permettaient certainement de courir aussi vite que le vent.

Le voyageur l'observa silencieusement tandis qu'elle scrutait l'horizon. Mis à part cet oasis, rien à part les dunes du désert gerudo n'était observable à l'horizon tremblotant.

« Hyrule est encore à quelques heures de marche. Si nous partons à la tombée de la nuit, nous pourrons profiter des heures les plus fraîches pour atteindre le pays, informa le blond.

- Nous ? objecta la rousse.

- Vous comptez rester ici ? rétorqua l'épéiste.

- Si j'accepte de vous gratifier de ma présence, j'aimerai au moins connaître votre nom », lança la jeune femme d'un air sarcastique.

Le guerrier resta silencieux quelques instants face à cette remarque quelque peu insolente, puis pour la première fois depuis très longtemps il émit un léger rire, amusé par la répartie de la jeune fille.

« Je m'appelle Link. » finit-il par répondre.

Le soleil commençait à décliner sur le paisible royaume d'Hyrule. Les hautes falaises surplombant le village Cocorico avaient finalement dissimulé l'astre rougeoyant derrière leur masse d'ocre, baignant le village dans la pénombre. Comme chaque jour, Luda la fille du prêtre se plaisait à rejoindre la source d'Ordinn en amont du village, afin de faire des offrandes à la déesse protectrice de la région. Ici, à cet instant de la journée, la jeune fille avait déjà pu observer quelques fées danser à la surface de l'eau. Ces frêles créatures étaient si pâles que seule la faible lueur du crépuscule révélait leur présence. La jeune fille brune aux cheveux coupés courts enleva ses sandales et baigna ses pieds dans le liquide limpide, seulement ridé de temps à autre par un éclat rose extrêmement bref. Elle releva le bas de sa tunique blanche aux broderies complexes afin de ne pas mouiller le tissu fin et délicat de cet habit de cérémonie, puis s'assit sur un rocher rond poli par les âges. Luda ferma les yeux, profitant de la douce tranquillité des lieux. Cela faisait sept ans que Hyrule était redevenu un endroit paisible. Après une terrible guerre entre les forces du bien et du mal qui avait ravagé le pays, les choses étaient revenues à la normale. Chaque peuplade hyrulienne avait aujourd'hui retrouvé un souverain légitime, tous ralliés sous la couronne de la reine Zelda.

Luda profita quelques instants de ce moment de félicité, puis lorsque les premières étoiles scintillèrent dans le ciel, elle se leva, rechaussa ses sandales et ramassa son panier rempli d'offrandes pour se diriger vers le passage entre les rochers couverts de mousse qui menait à la statue d'Ordinn. Elle monta les escaliers hâtivement, manquant de trébucher sur les marches humides. Lorsqu'elle fut arrivée au sommet, elle souffla un instant et se redressa : il fallait être digne lorsque l'on s'apprêtait à côtoyer une déesse, même s'il ne s'agissait que de sa version de pierre, son vieux père l'avait éduquée tout de même ! Luda pénétra la tête haute dans la pièce aux murs trempés d'une humidité qui avait effacé toute trace des anciennes peintures d'ornement. Elle s'avança dans la salle, mais l'ombre d'une chose inhabituelle la fit s'arrêter net. Elle ne sut dire de suite ce que pouvait bien être cette ombre, jusqu'à ce que celle ci se mette à bouger et à grandir. Ce qui fit qu'elle bougea était dû au fait que bien sûr, cette chose était vivante. Et ce qui fit que Luda la vit grandir, c'était que cette chose était en réalité humaine, féminine précisément et qu'à ce moment même, elle se relevait. Ce qui inquiéta la jeune fille, c'était que cette caverne n'était accessible qu'au prêtre et à elle même, son apprentie. Ce qui l'inquiéta encore plus, c'était que cette femme dissimulait une partie de son visage sous une épaisse écharpe, et que de toute évidence, il s'agissait d'une parfaite inconnue.

« N'ai crainte jeune fille, lança une voix froide comme de la glace. Je ne te ferai aucun mal.

- Qui êtes-vous ? osa demander Luda d'une voix tremblante. Il est interdit de vous trouver ici...

- Quelqu'un est avec toi ? demanda la femme, faisant fi de la question de l'apprentie prêtresse.

- Je suis seule, et je viens apporter des offrandes à Ordinn, la déesse de notre village... »

La gamine tremblait. Qui pouvait bien être cette mystérieuse inconnue ? Comme pour répondre à sa question, la femme s'avança de quelques pas, laissant la lueur de la lune éclairer sa personne. Il s'agissait d'une femme d'à peu près son âge, soit une vingtaine d'années. Elle était grande et élancée, ses longs cheveux argentés et sa peau d'albâtre brillaient à la lueur du clair de lune. De son regard bleu comme les yeux d'un chaton nouveau né, elle toisait la prêtresse de haut en bas. Luda avait à présent l'impression que la femme l'observait intérieurement, comme si celle ci pouvait lire au plus profond de son âme. L'inconnue était vêtue d'une grande tunique mauve, moulant le haut de son corps et s'élargissant à partir de la taille pour descendre jusqu'en bas de ses jambes vêtues de bas noirs aux bandes d'argent. Ses bras étaient entourés de gantelets noirs bandés d'argent également. Ses pied étaient chaussés de bottes mauves serrées dont les talons carrés lui donnaient encore plus de grandeur. Mais ce qui inquiéta le plus Luda était le fait que cette mystérieuse jeune femme tenait un coutelas d'argent d'une main de fer, prête à en faire usage si nécessaire.

« D'où viens-tu ? demanda la femme, coupant ainsi court aux réflexions de Luda.

- Cocorico, un petit village un peu plus bas. »

L'inconnue sembla réfléchir quelques instants. Luda qui n'avait pas bougé, se demanda s'il ne valait pas mieux faire volte-face et s'enfuir en courant. Mais l'allure athlétique de la femme l'en dissuada finalement. Et puis elle tenait toujours ce coutelas… Mais comme si elle avait pu lire dans les pensées de la prêtresse, la grande rangea son arme dans un petit étui en cuir qu'elle attacha solidement à sa taille.

« Comment t'appelles-tu jeune fille ? questionna l'inconnue.

- Je m'appelle Luda, mon père est le prêtre du village.

- Pourrais tu me mener à ton village ? »

Luda resta interdite quelques instants. Même si le ton de l'inconnue s'était radouci, elle ne lui faisait pas vraiment confiance. Elle n'avait pas l'air d'un bandit, mais quelqu'un qui dissimule son visage derrière une écharpe a forcément quelque chose à cacher: une horrible cicatrice, ou bien un sourire carnassier... La jeune prêtresse frissonna. Il faut dire que Luda avait toujours vécu dans son paisible village de Cocorico. La dernière fois que d'étranges inconnus avaient débarqué ici, cela s'était soldé par de nombreux morts et un village presque entièrement rasé.

« Je ne suis pas un être maléfique, dit la femme devinant sans doute ses pensées. Je suis simplement égarée, j'ai besoin de ton aide. »

Luda acquiesça finalement, toujours un peu inquiète. Elle déposa ses offrandes grossièrement au pied de la statue d'Ordinn (elle verrait plus tard pour les formalités, si toutefois elle était toujours en vie) puis sortit de la pièce humide et s'engagea dans les escaliers, talonnée par l'inconnue. Les deux jeunes femmes descendirent le chemin escarpé qui menait au village. De là, on pouvait apercevoir les fenêtres des paisibles demeures éclairées par la lueur des chandelles, et de pâles volutes de fumées s'élevant du toit des maisons. Nulle ne prononça un mot durant le court trajet. Luda d'un pas hâtif traversa la rue principale qui bien sur était vide de toute présence en cet instant, mise à part celle d'un vieux goron ivre mort qui avait roulé sous un étal de marchand et ronflait bruyamment. Elle emmena la jeune femme vers une grande bâtisse circulaire au toit de chaume et aux murs de briques, surplombée d'une girouette dont le découpage formait grossièrement un coq. C'était l'église du village où elle résidait avec son père. Luda sentit son cœur se serrer en pensant à ce que cette femme pourrait infliger à son paternel si elle sortait ses armes. Avait-elle fait une bêtise ?

« N'ai crainte, je ne cherche pas à faire le mal », dit la jeune femme.

Décidément, elle avait de l'intuition, pensa Luda…

- Que cherchez-vous ? interrogea-t-elle alors.

- Je ne le sais pas vraiment. »

C'est sur cette réponse énigmatique que Luda poussa la porte de sa demeure.

C'est à peu près au même moment que Link et Saïnee reprirent la route vers Hyrule. À cette heure, la fournaise du désert laissait place petit à petit à une tiédeur agréable qui se transformerait somme toute assez rapidement en froid glacial. Ils avaient passé les heures les plus chaudes de l'après midi abrités sous la fraîcheur des quelques palmiers qui poussaient autour de l'oasis, parlant peu, puis lorsque enfin il avait commencé à faire moins chaud, Link avait décrété qu'il était temps de lever le camp. La rousse semblait toujours aussi amnésique. Après quelques heures de marche sous la pleine lune, le sol sablonneux avait laissé place à une terre caillouteuse où poussaient ici et là quelques buissons aux fruits épineux du genre à vous piquer les doigts. D'après les dires du jeune homme, ils se trouvaient maintenant très proche de la grande plaine, tout à fait à l'ouest du royaume. Link avait décidé de faire route vers Cocorico, un village situé à l'est de Hyrule, au pied de la montagne du Péril, afin de rendre visite au prêtre du village qui saurait peut être venir en aide à la jeune fille. En effet, il se souvenait que quelques années auparavant lorsque son amie Iria avait elle-même souffert d'amnésie, le père Reynald avait été le seul homme en Hyrule en mesure de l'aider. Et puis cela ne lui ferait qu'une escale de plus avant de rejoindre son village natal. Après sept années passées à errer de par le monde, il n'était plus à ça près.

Après une nuit sans sommeil, les rayons du soleil vinrent caresser les paupières alourdies des voyageurs épuisés. Ils se trouvaient à présent sur un plateau rocailleux surplombant une immense forêt de pins au pied de laquelle reposait un lac aux eaux sombres et tranquilles. Un large fleuve alimentait celui-ci et suivait un cours sinueux jusqu'à perte de vue dans la vaste plaine hylienne. De là ou elle était, Saïnee pensa que celui-ci ressemblait tout à fait à un long serpent argenté. À l'est en face d'elle, là ou le soleil se levait, une montagne fumante dominait toute les autres de par sa grandeur. La rousse pensa que si elle pouvait la voir à cet instant, c'était certainement qu'elle était bien plus haute encore que les falaises où elle se trouvait.

« Cocorico se trouve au pied de cette montagne, lui fit remarquer Link en la rejoignant. Il nous faudra deux jours pour y arriver. Cela fait tellement longtemps que je n'ai pas vu ce paysage, et pourtant rien n'a changé.

- Depuis combien de temps vous étiez partis ? questionna la jeune fille.

- Sept ans déjà », répondit l'épéiste.

Le soleil déclinait doucement vers l'ouest du royaume d'Hyrule, baignant celui-ci dans une douce lueur cramoisie. Deux jours s'étaient écoulés depuis l'arrivée de l'inconnue à Cocorico. De nature solitaire, elle s'exilait la journée durant aux abords de la source d'Ordinn, et ne revenait que bien plus tard, à la nuit tombée. Elle n'avait révélé ni d'où elle venait, ni quel était son but, elle avait même eu peine à dévoiler son nom. Le père Reynald pensa que son attitude ressemblait tout à fait à celle de la jeune toalienne qu'il avait secouru quelques années auparavant. « Laissons lui un peu de temps » avait-il prôné au conseil du village.

Les petits commerces de Cocorico commençaient à fermer boutique quand la sentinelle lança un appel au loin.

« Un cavalier approche, une personne en croupe avec lui ! »

Les villageois, habitués à de telles visites ne s'affairèrent pas pour autant. Depuis la fin de la guerre, Cocorico laissait ses portes ouvertes aux voyageurs. La sentinelle du haut de sa tour de gué porta une main en visière, l'accoutrement de ce cavalier ne lui était pas inconnu.

« Ma parole, c'est lui ! C'est le héros ! » lança t-il à qui voulait l'entendre.

Aussitôt, la populace s'agita, des voix s'élevèrent de partout, et chacun se pressa vers les portes, au pied de la tour de gué. Le père Reynald à qui cette agitation n'avait pas échappée se posta au devant de l'attroupement. Quelques instants plus tard, le galop fracassant d'un cheval résonna sur le sol caillouteux du village. Link (et celle qui l'accompagnait à la surprise de tous) furent accueillis à bras ouverts. Le cavalier mit pied à terre dans un bain de foule en liesse.

« Soit le bienvenu, mon fils ! lança chaleureusement le père Reynald en prenant Link dans ses bras, comme il l'aurait fait avec son propre enfant, des larmes pointant au coin de ses paupières vieillies par l'âge et la sagesse.

- C'est une joie de vous revoir mon Père », répondit le blond.

Les villageois vinrent réclamer quelques poignées de mains au héros, les enfants se cachaient et observaient, admiratifs derrière leurs mères, les femmes pleuraient, et quelques gorons étaient même venu assister au spectacle.

« Je l'ai bien connu ce p'tit gars ! » disaient certains d'entre eux emplis de fierté.

Après de chaleureuses retrouvailles durant lesquelles Saïnee s'était montrée très discrète, le père Reynald emmena Link et la jeune fille vers sa demeure, loin de l'agitation qui troublait le calme habituel de Cocorico. Le prêtre et le jeune homme discutèrent comme de vieux amis qui s'étaient quittés depuis longtemps. Link ne s'attarda pas sur les raisons qui l'avaient poussé à partir si loin d'Hyrule, aussi son hôte se montra discret et compréhensif. Ils parlèrent longuement de choses dont je ne puis vous rapporter les paroles, puisqu'elles n'ont aucun lien avec cette histoire et ne seraient donc pas intéressantes à raconter. Le prêtre rassasié des aventures du héros commença ensuite à s'intéresser à la nouvelle venue.

« Et donc cette jeune femme ? Tu dis l'avoir rencontrée dans le désert… reprit le prêtre alors qu'il servait un verre d'hydromel à son convive.

- Oui, il y a deux jours seulement, lors de mon retour. Je l'ai conduite jusqu'à vous en pensant que vous lui seriez peut être d'une grande aide. Elle semble souffrir d'amnésie, tout comme Iria, il y a quelques années.

- Quelle étrange coïncidence... murmura Reynald plus pour lui même que pour son interlocuteur.

- Une coïncidence ? répéta Link.

- Il y a deux jours exactement, voici que ma fille Luda que tu as bien connu à ramené… cette femme. Une jeune fille, probablement perdue. Étrangement, elle ne semble pas se souvenir de quoi que ce soit, mis à part son nom… Enfin, elle est très discrète.

- Et son nom à elle, c'est quoi ? » demanda soudainement Saïnee qui n'avait pas encore ouvert la bouche.

Reynald n'eut le temps de donner réponse, car l'imposante porte en ogive de l'église s'ouvrit, et sa fille en compagnie de la jeune femme en question, firent irruption dans la grande pièce circulaire.

« Shindel… murmura la rousse en se levant.

- Saïnee ! » lança la nouvelle venue en serrant les poings instinctivement.

Un silence empli de tension et de questionnement tomba soudainement. Chacun posa alternativement ses yeux sur les deux femmes qui se toisaient mutuellement.

« Père ! dit Luda qui ne perdit pas la tête pour autant. De retour de la source, nous avons rencontré Colin qui vient d'arriver de Toal, il dit qu'il apporte une nouvelle importante. »

En entendant le nom de Colin, Link détacha son regard des deux femmes et le dirigea vers l'embrasure de la porte ou se trouvait encore Luda.

« Fais le entrer ma fille », dit Reynald en se levant, impassible.

Luda fit entrer un jeune homme dans la vaste salle circulaire dont l'atmosphère avait pris l'épaisseur d'une gelée chu-chu. Il était grand, ses cheveux à l'image de Link étaient blonds comme les blés. De grands yeux bruns illuminaient son visage d'adulte ayant gardé une certaine candeur. Il portait à la taille une longue épée rangée dans un simple fourreau de cuir de chèvre et était muni d'un bouclier de bois attaché dans son dos.

« Père Reynald, navré d'arriver à cette heure tardive, mais je suis envoyé par Bohdan, le chef de notre village. Nous avons besoin de votre aide.

- Dis moi tout mon fils », répondit l'homme d'église.

Mais Colin avait détaché ses yeux du prêtre, il observait à présent l'homme qui venait de se lever également. Il n'en crût d'abord pas ses yeux, mais c'était pourtant une évidence : Link était bel et bien de retour en Hyrule.

Ce que Colin était en réalité venu rapporter au prêtre se trouvait être une autre curieuse coïncidence. En effet, il y a deux jours à peine, le garçon avait découvert une jeune fille aux abords de la source de Latouane. Son corps baignant à moitié dans l'eau demeurait inerte aux pieds d'une grande jument pie qui veillait sur elle. Colin avait d'abord eu du mal à approcher l'animal qui gardait férocement sa cavalière, mais le cheval avait petit à petit toléré que le blond lui vienne en aide. Il avait alors ramenée à Toal la jeune fille, (où Ute, la mère de Colin avait pris depuis grand soin d'elle) et son cheval. La blonde s'était éveillée quelques heures plus tard, et n'avait pu se souvenir que de son nom et de celui de sa monture. Everlee, et Artémis. Elle était cependant dans un état très faible, et malgré les soins de Ute, sa santé ne s'était que très peu améliorée. Colin était donc parti demander secours au père Reynald qui était le meilleur homme de médecine aux alentours.

La demoiselle en question était en ce moment même allongée dans l'herbe fraîche d'une clairière, entourée par les chèvres du berger du village. Elle avait insisté malgré son état à se rendre à la bergerie de Toal où on avait logé son cheval. Les yeux verts de la jeune fille scrutaient le ciel crépusculaire entre les branchages de la forêt Toalienne. Elle se redressa et passa sa main dans ses longs cheveux blonds ondulés parsemés de mèches vertes. Une grande fatigue la tenaillait. Elle bâilla longuement et s'étira comme un chat, puis émit un léger sifflement entre ses lèvres. Son cheval qui broutait non loin redressa l'encolure et s'avança vers elle en émettant un faible hennissement. La blonde s'accrocha à la crinière pêle-mêle de l'équidé qui avait ployé son encolure pour être à sa hauteur et se remit sur ses pieds, un peu chancelante. Elle n'était pas très grande, on aurait presque pu croire à une jeune fille tout juste sortie de l'adolescence si des formes féminines ne se faisaient pas deviner sous sa légère tunique blanche aux manches courtes et bouffantes dont la jupette tombait au dessus de ses genoux. Par-dessus celle-ci, elle portait un plastron vert brodé d'or, muni d'une longue capuche pointue, et attaché par devant au niveau de la poitrine par un lacet de cuir. Dans son dos, celui-ci retombait à la manière d'un queue de pie. Ses jambes étaient nues, et ses pieds chaussés de petites bottes de cuir munies d'éperons à bouts ronds.

La grande jument pie s'agenouilla, laissant sa cavalière passer une jambe par dessus son dos avant de se relever. Everlee salua Fahd, le berger, d'un geste timide de la main avant de prendre le chemin du village sous le ciel qui commençait à scintiller d'étoiles. Elle pensa alors à Colin, partit le matin même vers Cocorico. À cet instant, il devait certainement être en compagnie du prêtre dont il lui avait parlé, car il lui avait promis d'arriver avant la nuit tombée. Elle ne savait si ce père Reynald saurait l'aider, mais ce qui était certain, c'était qu'elle n'avait aucune idée de la grande aventure qui l'attendait.