Hello ! c:

Héhé, avant de me faire houspiller, je tiens à rappeler que j'avais dit à la fin du dernier chapitre "moins d'un an je vous le PROMETS, et je vous autorise à me houspiller, à me harceler, à me traquer et me séquestrer si je mens" ET CA FAIT MOINS D'UN AN BWEHEHE.

Mais bon pour la forme je tiens à m'excuser quand même et j'espère que cette histoire vous plaira toujours autant. J'apporte pas mal de réponses ici, j'espère que ça vous ira ! Merci à toutes pour vos review, particulièrement à Ryuu91 qui m'a bien motivée pour finir ce chapitre :p


Genres : Romance/Adventure/un peu de Angst

Rating : T (pour l'instant)

Pairing : Grey/Natsu à venir.

Fond sonore conseillé : J'ai écris la première partie avec Oats in the water de Ben Howard, mais sinon... Love More de Message to Bears.

Disclaimer : Les personnages de Fairy Tail appartiennent à Hiro Mashima. L'univers est de moi. Bonne lecture !


Y'avait ce qui commençait à changer


Rogue sentit son cœur rater un battement en arrivant devant l'unique porte au bout d'un couloir blanc et lugubre, faiblement éclairé par des lumières disposées au sol. Au point où il en était, il se fichait bien des caméras de surveillance ; il n'y avait que cette porte qui comptait. Cette porte, la pièce à laquelle elle permettait l'accès, et ce qu'il espérait y trouver.

Le brun jeta un coup d'œil à la carte qu'il tenait dans sa main, tâchée d'un peu de sang qu'il essuya avec la manche de sa veste ; il n'avait pas hésité en voyant le dénommé « Byro » et ses deux assistants et les avait rapidement mis hors d'état de nuire. Ils se réveilleront probablement à temps pour s'enfuir lorsque l'incendie prendra forme et pourront témoigner de ce qu'il s'est passé ; ça faisait partie du plan, aussi risqué soit-il. Pour ce qui était de Byro, en revanche, il risquait d'avoir plus de mal à s'en remettre que les autres ; mais ça, Rogue s'en foutait pas mal, ayant retrouvé son calme après avoir cogné le vieillard plus que nécessaire.

Le brun n'avait pas émis de commentaire lorsque Erza leur avait exposé les événements qui allaient suivre ; il se fichait de ces mecs. Il se fichait de leur stupides croyances formées sur quelque chose qui ne lui semblait plus si concret, de ce qu'ils pensaient des gens avec qui il avait grandi, de ce qu'ils auraient put leur faire subir si ils n'étaient pas aussi effrayés. Il se moquait de leurs armes bien plus développées que les leurs, de la réponse qu'ils risquaient de recevoir si leur stupide gouvernement décidait de mettre une bonne fois pour toute une fin à leur existence pas si paisible que ça.

Il était juste venu pour Gajeel.

Après une profonde inspiration, il passa la carte dans la fente prévue à cette effet et se recula de quelques pas lorsqu'elle s'ouvrit sans bruit ; un râle lui parvint, lui arrachant un frémissement d'horreur et de rage, puis les lumières s'allumèrent une par une, aveuglantes.

Il était là.

Gajeel et lui se dévisagèrent avec stupeur pendant de longues secondes, le premier peinant à le reconnaître à cause de son déguisement, le second observant l'étendue des dégâts provoqués par ces longues semaines d'absence ; ce fut Gajeel qui prit la parole le premier, d'une voix sèche et brisée qu'il ne chercha même pas à dissimuler.

« Bon, tu vas m'aider à sortir de ce trou ou bien ?

— Gajeel... »

Il se retint de lui demander si ça allait – puisque de toute évidence, ça n'allait absolument pas – et prit une profonde inspiration pour calmer les battements de son cœur tout en s'approchant de lui. Déjà, Gajeel se débarrassait des anneaux de métal qui enserraient sa gorge et ses poignets, les jetant au loin avec une rage non dissimulée. Rogue nota que ses mains tremblaient légèrement, mais il n'aurait pas sut dire à cause de quoi ; la colère, la peur ? Même Gajeel avait ses faiblesses et il le savait.

« Tu peux marcher ?

— Pas tout seul, grogna l'autre. Attends, attends, fit-il ensuite alors que Rogue le soulevait avec précaution. T'as pas un truc qui coupe ? »

Les sourcils froncés, le plus jeune lui tendit l'éclat de miroir qu'il avait gardé avec lui ; alors, sans lui donner plus d'explication, Gajeel s'en empara et se taillada l'avant-bras dans un grognement de douleur, sous le regard effaré du plus jeune. Sans ciller, sans s'arrêter ; parce que c'était nécessaire.

« Pourquoi tu...

— Vire moi cette puce, ordonna-t-il en serrant des dents, blême, et Rogue sentit le monde frémir sous sa colère lorsqu'il aperçut le traceur qui clignotait doucement, profondément ancré dans sa chair. Ou ils vont réussir à me trouver. »

Le plus jeune s'exécuta sans commentaire ; la colère qui faisait brûler son regard suffisait à traduire le dégoût et la rage qu'il ressentait face à tout ça.

Ils avaient traité Gajeel comme un animal sauvage.

La petite pièce métallique fut difficile à extraire, chaque mouvement entrepris par le plus jeune arrachant un grognement, parfois un cri de douleur au captif ; finalement, les mains couvertes de sang, il défit l'écharpe qu'il portait et s'empressa de faire quelque chose qui ressemblait à un garrot avant que Gajeel ne recouvre suffisamment ses esprits pour l'en empêcher. Ils avancèrent sans rencontrer qui que ce soit, Rogue traînant l'autre du mieux qu'il le pouvait ; et quelque part, peut-être plus que jamais, il se surprit à l'admirer pour la force dont il faisait preuve, encore conscient alors qu'autant de douleur aurait terrassé n'importe qui d'autre. Même lui avait du faire preuve de plus de courage et de volonté que jamais pour extraire la puce en faisant fi de sa peur et de la nausée qui l'avait presque empêché de respirer. Ses mains tremblaient encore.

Une brutale explosion fit soudain vibrer les murs et arracha un premier sourire à Gajeel ; amaigri, sa longue tignasse retombant mollement sur ses épaules et une barbe grignotant grossièrement sa mâchoire serrée à cause de la douleur, ce dernier fixait Rogue, appuyé contre un mur. Calme. Satisfait.

« Eh, gamin. Où est-ce que t'as appris à te contrôler comme ça ? »

Rogue ne pût s'empêcher de soupirer de soulagement ; au loin, il apercevait Sting et Natsu qui courraient dans leur direction, partagés entre la hâte de sortir de cette foutue ville et celle de revoir leur ami.

« Disons que j'ai eu un bon professeur. », répondit-il simplement en s'approchant de nouveau pour le soutenir.

Gajeel se contenta de rire, chaque secousse lui arrachant une grimace de douleur.

Ça allait. Ils allaient sortir de cette putain de ville et rentrer ; ils allaient changer tout ça et leur faire payer.

Ça allait.


x


Après la fureur des flammes rouges et oranges était venue la noirceur de la fumée, épaisse et étouffante qui filait vers le ciel.

Grey continuait de la fixer, pourtant, quelques ballons colorés filant parfois devant son champ de vision pour n'en être que plus visible ; et comme ça, à côté de cette masse noire et dégueulasse, même le ciel paraissait plus bleu, les ombres moins profondes, le gris moins présent.

Tout paraissait soudain plus beau, et il clignait encore des yeux lorsqu'il se rendit compte que tout ce qu'il voyait était entrain de changer. Il cru que c'était à cause des larmes qui lui brouillaient la vue, tout d'abord, puis les battements de son cœur s'accélérèrent davantage lorsqu'il comprit que ça n'avait rien à voir.

Les yeux de Cana – violets et beaux, si beaux. La rampe du tram qu'il avait toujours pensé être noire – pigmentée de rouge. Les plus vieilles maisons – beiges et pas vraiment grises, au toit couleur de jade et pas noir. Tous ces noms de couleur lui venaient naturellement, comme s'il les avait toujours connus ; près de lui, les yeux de Cana brillaient encore – et cette fois bien plus que d'autres, il se surpris à l'envier pour la beauté des améthystes qu'elle portait sans en être tout à fait consciente. Elle était belle et le monde entier paraissait plus beau.

« Est-ce que tu vois tout ça, Grey ? Tu vois ? »

Sa voix tremblait et elle porta une main à sa bouche tandis que des larmes venaient rouler sur la peau délicieusement dorée de ses joues ; à l'intérieur du petit habitacle, tout le monde se dévisageait avec un mélange de fascination et d'effroi, tous aussi – si ce n'était plus – choqués qu'eux.

Le monde avait commencé à changer.

Le tram repartit subitement en avant, dans une série de protestations et de cris de stupeur. Grey fronça des sourcils alors que des stores venaient essayer de les empêcher de voir ce qu'il se passait dehors ; enfin, il réalisa que les tremblements de sa main étaient dû à son bracelet qui vibrait presque avec véhémence.

« Qu'est-ce que... »

Ses yeux gris s'arrondirent lorsqu'il vit qu'il s'agissait d'Ul, et il réalisa soudain que le bâtiment qui était actuellement entrain de brûler devait probablement se trouver aux alentours de la Tour des sciences et de la recherche ; et c'était précisément là où sa mère adoptive se trouvait.

Merde.

Il décrocha avec précipitation et ne pût s'empêcher de crier une fois la communication lancée.

« Ul ? Ul, ça va ? T'es où ? »

Seul un grésillement lui répondit ; Grey jura en comprenant que les communications devaient être brouillées et chercha la sortie de secours du regard, Cana l'observant avec inquiétude. Son cœur battait à présent à grands coups dans sa poitrine, les sensations qui en découlaient dissipant tout le reste.

Dans tous les scénarios qu'il s'était imaginé, jamais il n'aurait pensé que ses proches puissent subir les conséquences de ce qu'il espérait depuis si longtemps.

Jamais il n'aurait imaginé que ce simple espoir pourrait blesser d'autres gens.

Que son rêve pourrait blesser Ul.

Qu'il puisse subitement en vouloir à quelqu'un – il n'en voulait pas à Natsu. Pas le moins du monde.

Il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même.

« Tu penses qu'elle était là-bas quand...

— J'sais pas, répondit sèchement le brun en bousculant un homme d'affaire pour attraper la poignée de secours. J'y vais. »

Cana se contenta de hocher la tête, le fixant avec gravité. Sans attendre plus longtemps — et surtout parce qu'il voulait pas prendre le risque que quelqu'un ne l'arrête — le brun tira sur la poignée de toutes ses forces, grimaçant vaguement lorsqu'une alarme retentit dans l'habitacle qui s'était mis à ralentir. C'était la première fois qu'il faisait ça, et il s'autorisa un soupir de soulagement en constatant que le système de secours fonctionnait malgré le bordel que cet incendie avait foutu dans le reste des communications. Les autres étaient bien trop sous le choc pour songer à l'interpeller et c'était tant mieux.

La porte s'ouvrit dans un râle aigu ; l'adrénaline et la peur qu'il soit arrivé quelque chose à Ul refoulant la moindre once d'hésitation, Grey bondit du tram et se réceptionna sans trop de difficulté sur une route pavée et déserte. Immédiatement, le froid vint lui mordre la peau, et son bracelet émit un léger tintement censé l'informer de la chute brutale de la température ambiante ; il l'ignora sans mal, son regard glacé rivé vers une seule chose.

La neige crissant sous ses pas de plus en plus rapides, il se dirigea vers la colonne de fumée, l'ombre des ballons colorés flottant comme un sillon derrière son passage.

Ils sortaient tous en trombe du bâtiment, se bousculant les uns aux autres malgré le semblant d'ordre qu'essayaient d'imposer les membres du service de sécurité. Natsu les regardait tous sans vraiment les voir, ne notant que leurs ressemblances et aucune de leurs différences — parce qu'ils avaient tous l'air pareil. Gajeel s'efforçait de tenir bon, son visage et ses blessures dissimulées par un épais sweet à capuche, et tous ces gens étaient trop préoccupés par leur propre sécurité pour seulement remarquer qu'il saignait.

Sting était devant Rogue qui soutenait Gajeel, tandis que Natsu fermait la marche ; ils avançaient péniblement à travers la foule lorsque soudain, ce dernier perçut une voix qui l'interpella suffisamment pour qu'il s'arrête. Une femme, là-bas ; yeux et cheveux noirs coupés courts, blouse blanche. Badge. Le visage déformé par l'angoisse.

Et elle appelait un « Grey ».

« Rogue, je vous rejoins plus tard ! »

Il ne savait même pas si l'autre l'avait entendu ; toujours est-il qu'il se dirigea vers la jeune femme dont les yeux affolés tentaient de repérer quelqu'un.

Elle parût à peine surprise lorsque leurs regards se croisèrent.

« Je m'appelle Natsu, fit-il simplement. Vous êtes Ul ?

— Qu'est-ce que tu... »

Elle sembla soudain réaliser la présence de couleur chez l'autre et se figea tout à fait. Natsu se contenta de sourire, sa peau halée contrastant avec la blancheur de ses dents ; Grey avait une mimique semblable lorsqu'il était pris au dépourvu.

« Je suis sûr qu'il va bien. Partez.

— Qu'est-ce que tu en sais ?

— Longue histoire. Sortez d'ici et rentrez chez vous. Dites-lui que vous allez bien. »

Ul n'eut pas le temps de répondre, éberluée.

« Ça va aller. Je vous le promets. »

Dernier sourire.

La seconde suivante, Natsu avait disparu dans la foule, unique étincelle dans une masse sombre et étouffée par la peur.

Par le changement.


x


Le cœur battant la chamade, Grey mit un moment avant de réaliser où ses pas l'avaient presque instinctivement menés et ralentit en comprenant quelle rue il longeait depuis qu'il avait quitté le tram.

Cette rue-là.

En continuant tout droit, il devrait arriver rapidement à la Tour ; aussi reprit-il sa course, ignorant les quelques passants effarés qu'il croisait, les agents de sécurité qui tentèrent de l'arrêter — rien ne l'arrêtait, et ils étaient de toute manière bien trop occupés pour s'occuper d'un seul gamin qui courait à contre-courant. Il serrait fortement son bracelet dans sa main, de peur de manquer un appel d'Ul ou de qui que ce soit d'important. Bientôt, il dût faire un détour pour éviter une patrouille de sécurité et se mit à longer les murs des quelques bâtiments qui se trouvaient encore là, la plupart étant inhabités ; personne ne voulait plus vivre aussi près de la frontière.

Parfois, son regard s'accrochait à quelques visages, les détaillait, les retenait ; les nuances de marron et de bleu dans leurs yeux qu'il avait toujours pensé ternes, les reflets chocolats et auburn d'une chevelure. Alors Grey clignait des yeux et reprenait sa course, la tête vide et trop pleine à la fois de questions nouvelles, désorienté, la peur au ventre et une angoisse terrible dans le cœur.

Tout avait déjà commencé à changer.

La brutalité des événements ne l'atteignait qu'à moitié ; il ne s'autorisera de la satisfaction que lorsqu'il saura qu'il sera certain que Ul et les autres étaient bien en sécurité. Et dire qu'il devait la rejoindre, à la base...

Est-ce que ça l'aurait permis de revoir Natsu ?

S'étant arrêté le temps qu'une patrouille de sécurité ne passe sans le repérer, le brun s'appuya contre le mur derrière lequel il s'était dissimulé et sortit le paquet qu'il avait récupéré le matin même de son sac. En parcourant l'enveloppe du bout des doigts, il avait compris que ce qu'elle contenait avait une forme approximativement ronde, avec plusieurs reliefs. Ça avait l'air brodé, aussi, il savait pas trop ; il n'avait pas encore pris le temps de l'ouvrir et préférait attendre d'être enfermé dans sa chambre. Seul, sans personne d'autre.

Parce que si quelqu'un lui avait demandé d'où ça venait, qu'est-ce qu'il aurait répondu ? Si Cana avait vu ce qu'elle contenait, qu'est-ce qu'elle aurait dit, à quoi elle aurait pensé ? Comment est-ce qu'elle l'aurait prit, après avoir compris qu'il lui cachait un secret d'une telle ampleur, à elle qui lui disait tout ?

Il se surprit à sourire à moitié en se levant de nouveau ; au moins, comme ça, il avait vraiment de quoi être un putain de rebelle, à sympathiser comme il le faisait avec ce qui n'était ni plus ni moins un foutu terroriste aux yeux des autres.

Mais un terroriste qu'il aimait foutrement bien, quand même.

Son bracelet n'affichait rien d'autre que l'heure et la température ambiante ; il l'avait suffisamment balancé pour que les capteurs sensés l'informer de son état physique déconnent, aussi l'information très vague portée sur son état émotionnel le fit plus sourire qu'autre chose. Amèrement, peut-être, peut-être un peu amusé quand même.

La neige s'était remise à tomber tandis qu'il avançait.


x


Grey sursauta violemment lorsque son bracelet émit une forte vibration et accepta l'appel sans même réfléchir, le cœur battant. Il finit par voir le nom d'Ultear ; toutes ces sensations rendaient le monde trop flou.

« Grey ? Où est-ce que t'es ?! Maman a pas arrêté d'essayer de t'appeler ! »

La voix d'Ultear avait toujours eu quelque chose de particulier sur lui ; un peu comme Ul, un peu moins comme Lyon. Parce que c'était un peu sa grande sœur ? Parce qu'ils s'aimaient autant qu'ils se détestaient d'une façon qu'ils sauront jamais expliquer ? Parce que même s'il lui dira jamais, chacun de ses mots laissait une empreinte chez lui, parce qu'elle était plus responsable et qu'il le savait, parce qu'il l'avait toujours un peu admirée sans le lui dire ?

Cette fois, ces simples mots firent repartir son cœur comme jamais, et Grey se retint de se laisser tomber dans la neige, un sourire béa aux lèvres et le cœur bousculé par toutes ces émotions qui essayaient de l'étouffer. Il avait l'impression d'être sur le point d'éclater de rire et de fondre en larmes en même temps.

Ul était avec elle ; elle allait bien. Elles allaient bien.

« Lyon est avec vous aussi ? »

Il se rendit compte que sa voix était entrecoupée des grandes bouffées d'air qu'il prenait maintenant à pleins poumons ; après avoir vécu quelque chose comme ça, il avait franchement moins envie de fumer.

La réponse ne tarda pas et il dut écarter le bracelet de son visage tandis qu'Ultear — et Ul aussi, probablement — répondait avec véhémence :

« Évidemment qu'il est là ! Pourquoi il faut toujours que tu sois entrain de traîner dehors quand il faut pas, merde, Grey ! Et pourquoi tu respires aussi fort ? T'es sûr que ça va ?

— T'aurais pu commencer par poser la question, plutôt que de m'engueuler comme ça... »

Il ne se retint pas de rire alors que son aînée redoublait de colère ; finalement, après deux bonnes minutes, il finit par s'excuser et sa voix se radoucit un peu. Ils étaient juste un peu bousculés par tout ça, Ul et les deux autres probablement plus que lui.

Au fond, ils avaient juste été morts d'inquiétude tous les deux.

« Je rentre, déclara-t-il posément en rebroussant chemin. Je devrais être là dans... »

Grey s'était retourné en parlant ; il se figea alors et manqua de lâcher le bracelet qu'il avait gardé à la main lorsque ses yeux s'arrêtèrent sur une silhouette qu'il connaissait bien.

De l'autre côté de la place, debout près du banc, cet abruti à capuche semblait guetter quelque chose. Quelqu'un.

« Dans pas longtemps, acheva-t-il précipitamment. Je te laisse. »

Ses protestations s'évaporèrent aussitôt qu'il coupa la communication pour fourrer le bracelet dans sa poche.

Natsu se retourna à l'entente de bruits de pas ; ils se dévisagèrent sans rien dire pendant un moment, tous deux dans l'expectative de la réaction de l'autre. Natsu esquissa un sourire ; Grey sentit son cœur s'accélérer encore, vaguement étourdi après tout ce qui venait de se passer.

L'euphorie qui avait pris le dessus lui donnait vaguement l'impression d'être au bord de l'implosion.

« Salut. », souffla simplement Natsu, son sourire agrandissant de seconde en seconde.

Grey ne réfléchit même pas à répondre ; à vrai dire, il était même pas sûr d'avoir compris tant tout ça paraissait irréel. Y'avait des patrouilles partout, cet idiot de l'autre côté venait de faire péter le symbole de cette foutue ville et ils se tenaient l'un en face de l'autre comme si de rien n'était.

« Je t'ai vu partir avec mon cadeau, ce matin. T'aimes bien ?

— Je... Je l'ai pas encore ouvert. », finit par répondre Grey.

Natsu arqua un sourcil et finit par hausser des épaules, l'air parfaitement décontracté.

Comme si de rien n'était.

Ce mec était complètement malade, et le pire dans tout ça, c'est que Grey était pratiquement sûr qu'il adorait ce côté de sa personnalité. Qu'il adorait cette audace qu'il lui manquait parfois, cette simplicité et la dévotion qu'il mettait dans ce qu'il faisait. Cette couleur dans ses cheveux – rose, mais pas un rose commun, pas le genre de rose qu'il y avait dans ses souvenirs. Un rose plutôt doux, plutôt chaud, presque trop simple, trop tout. Ses yeux, aussi – Grey adorait ses yeux depuis le premier jour et il s'en rendait compte un peu plus à chaque fois que leurs regards se croisaient. Brûlants et calmes à la fois, verts d'abord, dorés ensuite, un mélange de tout ça qui donnait quelque chose d'unique.

Juste Natsu.

« J'espère que ça te plaira, fit l'autre avec un autre de ses sourires, un peu en coin cette fois, pas timide mais pas aussi assuré pour autant, un sourire qu'il lui faisait pourtant depuis un moment déjà et qui lui donnait envie de le lui rendre à chaque fois. Meldy m'a aidé à le faire. Avant, y'avait des gens qui pensaient que ça avait le pouvoir de chasser les mauvais rêves.

— Natsu, tu...

— Ouais je sais, ça paraît dingue, nan ? Mais j'aime assez l'idée. Et comme tu m'as dit que tu faisais tout le temps des cauchemars, je me suis dit que-

— Putain, tu... Tu viens de faire péter une foutue tour et tu me parles de ça ? Comme si de rien n'était ? »

Il se contenta de sourire et Grey s'étonna de pouvoir encore tomber des nues face à ça. Y'avait personne d'autre autour, pas un bruit ; juste une rumeur lointaine dont il avait pas envie de se préoccuper pour l'instant, juste des ballons qui commençaient à descendre pour s'échouer et éclater en une multitude de couleurs sur le sol rendu immaculé par la neige.

Tout commençait à changer, et ça devenait tellement beau.

Par il ne savait quel miracle, aucune patrouille n'était encore passée à proximité – ou en tout cas pas assez pour les remarquer. Grey fronça des sourcils lorsqu'il finit par apercevoir les traces rougeâtres que Natsu avait à l'extrémité de ses manches. Ce dernier sembla le remarquer et s'expliqua rapidement :

« C'est celui de mon ami. Tu sais, celui dont je t'avais parlé.

— Gajeel, souffla le brun, sans comprendre comment Natsu pouvait avoir l'air aussi sûr de lui. Est-ce qu'il va bien ?

— Bah... C'est Gajeel. Il s'en remettra. »

Il haussa des épaules en souriant et Grey sentit les siennes s'affaisser. Natsu n'avait pas eu besoin d'expliquer ce qui s'était passé et il avait pas l'air décidé à le faire ; mais ça lui suffisait.

Ça allait.

L'autre se massa la nuque avant d'enfin se lancer ; il avait le regard soudainement un peu fuyant, et Grey comprit ce qu'il s'apprêtait à lui dire avant même qu'il ne le fasse.

« Euh... Vaut mieux qu'on essaie de pas trop se voir pendant un moment. Le temps que ça se calme.

— Je vois, souffla le brun en acquiesçant lentement.

— Je... Je veux pas qu'il t'arrive un truc à cause de moi. »

Grey baissa les yeux, partagé entre la déception irrépressible qui se faisait ressentir et la compréhension ; Natsu avait raison et il le savait.

Ils le savaient tous les deux.

Le brun soupira et releva la tête en s'efforçant de sourire ; rapidement, Natsu le lui rendit, et ça devint un peu plus facile. Plus naturel, plus familier.

Grey fouilla quelques secondes dans sa poche avant de lui tendre son briquet.

« T'as qu'à le déposer là quand t'estimeras que ce sera le moment. J'essaierai de passer de temps en temps, alors...

— Tu prends des risques, commenta Natsu. Mais ça me va.

— Je vois pas pourquoi tu serais le seul à en prendre, releva le brun avec un air de défi. Rien qu'en te parlant comme ça, je devrais pouvoir me retrouver en taule. Ou pire, maintenant que j'y pense.

— Pire ? »

Il leva la main pour prendre le briquet de celle de Grey ; elle s'effleurèrent, une fois, deux fois. Ne se lâchaient pas.

Il avait pas envie de le lâcher ; pas comme ça.

« Me retrouver en taule sous la surveillance de ma mère, je suppose, souffla le brun en baissant momentanément les yeux, comme pour se donner contenance.

— T'as de la chance de l'avoir.

— Je sais, ouais...

— Et... Merde, Grey, j'ai pas- »

Il vit les traits de Natsu se brouiller d'inquiétude et de colère, le tout mêlé à une impuissance qu'il comprenait bien pour la partager.

« Tu devrais venir avec moi, finit-il par lâcher en ancrant son regard plus solidement au sien. Je veux pas te laisser ici, avec ces mecs et leurs idées à la con. C'est pas un monde pour toi, Grey.

— Mais tu sais que je peux pas. Pas tout de suite. Y'a Ul, Cana, Lisanna... Je peux pas.

— Je sais. Je sais, merde, je sais, mais... »

Ils se fixèrent encore avant que Natsu n'attrape son épaule pour l'attirer brusquement contre lui, dans une étreinte plus désespérée qu'autre chose. Cette fois, Grey était presque sûr d'être plus proche des larmes que du rire, mais il n'en fit rien et se contenta de lui rendre son étreinte en silence.

Et il se foutait bien de ce qu'on aurait pût penser en les voyant, des risques qu'il prenait et de là où ça pourrait le mener ; il s'en foutait complètement.

Natsu arborait un sourire un peu plus confiant lorsqu'ils se séparèrent ; Grey était trop secoué pour être gêné, mais ça l'empêcha pas d'avoir un petit rire en voyant la mine que tirait celui qui venait de l'autre côté.

« J'en ai pas fini avec toi et ta foutue ville, Fullbuster.

— T'as plutôt intérêt à ramener tes fesses sur ce putain de banc de toute façon. Je tiens à revoir mon briquet, compris ? »

L'autre eut un dernier sourire et acquiesça avant de se diriger vers les ruines de l'autre côté. Grey le suivit du regard un long moment, jusqu'à ce que sa silhouette ne soit plus qu'un spectre avalé par les flocons de neige. Il attendit quelques minutes, le temps que la neige commence à recouvrir ses traces.

Et sur le chemin du retour, les choses lui semblèrent bien plus différentes qu'il ne l'avait pensé.


x


Ça ne faisait que trois jours, et pourtant, chaque seconde à attendre que quelque chose se produise devenait de plus en plus insupportable. Erza devenait insupportable, Gajeel l'était plus encore quand il était capable de s'énerver sans que Wendy ne le calme pour l'empêcher d'ouvrir ses blessures, et Natsu...

Natsu l'avait été aussi, au début ; et puis là, il était juste silencieux. Calme. Loin de tout ça.

Une flamme dansant entre ses doigts.

Gajeel se remettait de ses blessures, physiques comme mentales. Il n'avait que vaguement évoqué ce qu'ils lui avaient fait là-bas ; personne n'avait insisté. Wendy avait fermé ses blessures sans même que ses mains ne tremblent, et chacun le regardait guérir en silence, sans rien dire, sans rien demander.

Parfois, ils échangeaient quelques regards, et ça suffisait.

Il y avait eu une fois, où Rogue et lui se trouvaient sur le toit, seuls tous les deux. Gajeel lui avait demandé de venir, aussi le plus jeune attendait-il que l'autre prenne la parole en laissant son regard flamboyant admirer le paysage. Il y avait de jeunes enfants dans la petite communauté qu'ils avaient doucement formé ; les plus vieux n'avaient pas encore cinquante ans, et comme beaucoup de ces enfants, les parents de Rogue n'en faisaient pas partie.

Plus de la moitié de ces enfants étaient devenus orphelins avant même de se créer des souvenirs ; d'autres l'étaient devenus au fur et à mesure, et d'autres le seront probablement encore.

Gajeel les regardait aussi – ou peut-être qu'il regardait la petite aux cheveux bleus qui s'en occupait, personne ne le savait vraiment. Certains, la plupart en tout cas étaient comme eux, avec une couleur particulière qui les définissait dans ce tableau si grand. D'autres étaient comme lui ou comme Rogue ; juste un petit détail dans leurs yeux qui les différenciait de ceux de l'autre côté.

Et pourtant, ici, ils n'étaient pas moins bien traités qu'un autre.

Gajeel avait prit une longue inspiration avant de parler, calme, plongé dans une réflexion profonde. Finalement, sans parler tout d'abord, il avait désigné un autre toit d'un mouvement de tête, et Rogue avait compris instantanément de quoi ils allaient parler.

Natsu étaient assis au bord du vide, face au soleil qui se couchait ; et de temps en temps, une petite flamme surgissait de l'objet qu'il avait ramené de l'autre côté.

« Comment est-ce qu'il peut être sûr qu'il peut faire confiance à ce mec ?

— C'est lui qui lui a donné les infos dont on avait besoin pour te récupérer, répondit Rogue.

— Ouais, d'accord, j'avais compris ce détail là. Mais comment il peut être sûr qu'il peut le revoir sans risque ? »

Rogue ne répondit pas tout de suite ; même lui se posait la question, parfois, et il savait que c'était aussi le cas de Meldy, Sting, Erza et tant d'autres. Pourtant, personne n'avait rien dit.

Quelque part, ils avaient peut-être compris que dissuader Natsu d'y retourner était devenu inutile ; peut-être parce qu'ils le connaissaient bien, parce qu'ils savaient que rien ne pouvait se mettre en travers de son chemin pour peu qu'il ait une idée en tête.

Le plus jeune finit par répondre après un soupir :

« On peut pas être sûrs pour le moment. On le sera pas tant qu'on l'aura pas vu de nos propres yeux, je dirais... Mais on t'a retrouvé. C'est le principal.

— Hm... Si tu le dis. »

Ils gardèrent le silence après ça.

En contre-bas, sautillant d'une pierre colorée à une autre, les enfants continuaient de jouer, couvés par le regard grave et assombri de pensées des adultes.

Ils espéraient juste qu'ils pourront jouer comme ça aussi longtemps qu'ils le voudront ; que personne ne viendra briser ce petit rêve là.

Pas celui-là.


x


Grey soupira longuement, sa lassitude prenant la forme d'un nuage de fumée qui s'échappa vers le ciel gris dont il voyait un morceau grâce à la fenêtre de sa chambre.

Ça faisait une semaine.

Toutes les écoles et pas mal d'institutions étaient encore fermées, le temps qu'une enquête soit menée. L'incendie avait effacé toutes les preuves palpables, mais les dessins ancrés sur les murs à la peinture n'étaient pas partis aussi vite ; il avait fallu que ce soit des hommes de l'armée qui s'en occupent personnellement, les agents chargés d'assurer la propreté de la ville ayant pour une grande majorité refusé de s'en approcher.

Sous les yeux gris et ternes de Grey, le monde perdait de nouveau peu à peu ses couleurs, comme de nouveau aspirées par chaque bouffée de fumée qu'il recrachait.

Ul était rarement à la maison, ces temps-ci ; chaque employé avait dut répondre à pas mal de questions, et il semblerait que sa mère adoptive ait été en contact direct avec un suspect non identifié. Grey se doutait bien que Natsu n'était pas venu seul ; ceux qui l'avaient accompagné étaient en tout cas miraculeusement restés invisibles, indétectables malgré tous les moyens de sécurité mis en œuvre.

Il espérait juste que ça reste comme ça aussi longtemps que possible ; que Natsu et les autres soient tranquilles aussi longtemps que possible.

Il finit par jeter le mégot de sa cigarette dans un cendrier qu'il laissait dans un coin stable du toit et retourna au cœur de sa chambre pour se laisser tomber sur son lit. Machinalement, il tendit la main jusqu'au tiroir le plus proche avant de tâtonner son contenu pour en retirer ce qu'il cherchait, soigneusement dissimulé sous un vieux cahier.

Suspendu à un fil épais formé d'une multitude de fils plus fins et faits de couleurs dont il ne connaissait pas le nom, l'attrape-rêve que lui avait offert Natsu captait paresseusement la lumière pour renvoyer des éclats colorés contre les murs. La rosace était brodée avec un enchaînement de bleu et de rose aux nuances diverses et plus nombreuses qu'il n'aurait pu l'imaginer ; suspendues à d'autres fils ornés de perles colorées, des plumes se mouvaient doucement, accompagnant dans leur mouvement le miroitement de la lumière sur les éclats de pierres transparentes et colorées.

Et il ne se laissait pas de contempler la beauté que ça pouvait renvoyer.

Avec ça, même la lumière pâle et terne paraissait plus jolie, les murs blancs moins vides. Grey l'observa un moment en silence, soufflant parfois sur les plumes pour les faire bouger dans un rythme que lui seul contrôlait. Tout semblait plus paisible lorsqu'il l'avait sous les yeux, plus calme, plus silencieux ; c'était comme si la neige avait pris des couleurs.

Comme si Natsu lui avait donné un bout de son monde sans qu'il ne quitte le sien.

Des coups frappés à sa porte le firent sursauter. Sans bruit, Grey se hâta de ranger l'attrape-rêve dans le tiroir et grommela quelque chose d'assez intelligible pour que la porte ne s'ouvre sur Lyon.

Comme à chaque fois, son aîné et lui se dévisagèrent un moment avant d'agir ; Grey prit de nouveau place dans son lit et le plus âgé vint s'asseoir sur sa chaise de bureau, observant la chambre un moment sans rien dire. Ultear était probablement dans sa chambre, peut-être dans le salon ; il savait pas, ils se voyaient pas trop, encore moins depuis qu'elle avait entamé ses études de médecine pour suivre les traces de sa mère. Lyon était encore au lycée – il n'avait qu'un an de plus que lui – alors ils se voyaient davantage, puisqu'ils se retrouvaient souvent sur le chemin.

L'aîné avait l'air vaguement mal à l'aise ; comprenant que plus vite il saura ce qu'il voulait, plus vite il le laissera tranquille, Grey se redressa et le fixa longuement avant d'entamer la discussion pour laquelle l'autre était probablement venu.

« Tu t'ennuyais ?

— Kagura vient de partir. Je venais voir ce que tu faisais, répondit le plus vieux en haussant des épaules. Ça m'a l'air passionnant... »

Grey eut un demi-sourire.

« Il se passe des choses intéressantes quand tu fixes le plafond, parfois. Ultear est là ?

— Devant la télévision. Ils parlent encore de ce qu'il s'est passé la semaine dernière... Ils retrouvent des trucs avec de la couleur tous les jours... »

Le brun se retint de froncer des sourcils et examina les traits de Lyon ; il n'affichait pas d'air dégoûté ou apeuré, seulement déconcerté. Grey n'avait eu l'occasion de parler de ces événements qu'avec Cana ; et avec Natsu, aussi, un peu, mais ça n'avait rien à voir. Ul n'avait pas exposé le sujet et elle parlait de façon très évasive des interrogatoires et de ce qu'on attendait d'elle ; Grey savait qu'elle pensait les protéger en faisant ça, mais savoir qu'elle endurait quelque chose d'aussi pénible toute seule et sans se soulager du fardeau que ça pouvait représenter le mettait hors de lui.

« Et... T'en penses quoi toi, de tout ça ? De ce qu'il s'est passé ? se risqua à demander le brun en faisant mine de fixer le plafond, attentif à la moindre réaction de l'autre.

— Je... Je sais pas, Grey. »

Ce dernier leva les yeux vers son aîné, surpris.

« Comment ça ?

— Je sais pas pourquoi... Je sais pas qui a fait ça et pourquoi ils l'ont fait. Mais tout ce que ça engendre pour le moment, c'est de la peur. Et de la haine. Kagura m'a dit que les gens la regardaient de travers plus souvent... Tu sais, à cause de ses yeux.

— On devrait pas se juger à cause de ça, grommela Grey en détournant le regard, une vague de dégoût et de colère se faisant sentir suite aux dires de Lyon.

— Je sais. Je suis d'accord avec toi, mais... Je sais pas comment ça va se terminer. »

Le brun acquiesça et se massa la nuque avant de continuer, hésitant :

« Est-ce que tu penses qu'ils vont chercher à s'en prendre à quelqu'un ?

— Y'a eu qu'une seule victime, répondit le plus vieux. Tu sais, le vieux collègue à Ul... Je l'aimais pas beaucoup.

— Moi non plus... Mais, je veux dire, et si c'était des gens... tu sais, de l'autre côté. De là-bas. Tu penses qu'ils... »

Rien que finir sa phrase était trop pénible.

Lyon semblait avoir compris ; son regard s'assombrit quelques instants, puis il parut réfléchir avant de déclarer, hésitant :

« Ils disent tous que la couleur est mauvaise, mais... On a besoin de ces gens. Ul a dit qu'ils étaient plus résistants, tu te souviens ? Ils peuvent combattre des maladies dont on ne se remettrait pas. C'est pour ça qu'on... Qu'ils...

— Qu'ils les traitent comme des souris de laboratoire ? Qu'ils sont écartés du monde ? »

Lyon acquiesça en silence et Grey grommela une série de jurons à voix basse. Il avait une foutue envie de fumer.

Natsu était pas le genre de personne qu'il voulait imaginer enfermé dans une pièce le temps qu'on ait besoin de lui prélever des échantillons de sang ou de trucs de ce genre ; personne méritait d'être traité comme ça.

Qu'il s'agisse de gens comme lui ou de gens comme eux.


x


Les jours étaient mi-blancs, mi-gris ; jamais complètement noirs. Les cours reprirent petit à petit, de façon beaucoup plus encadrée au début, familière ensuite. Cana souriait un peu plus mais restait prudente pour autant, Lisanna était étroitement surveillée par ses aînés et semblait tranquille.

Et Grey continuait de brûler des cigarettes, d'attendre et de faire fondre la neige ; mais là-bas, de l'autre côté, il n'y avait pas un bruit, pas un mouvement.

Que des fantômes sans couleur.

Ul partait de plus en plus tôt le matin et rentrait de plus en plus tard le soir, si bien que les journées se faisaient de plus en plus monotones et répétitives sans que rien ne change. C'était différent, pourtant ; tout était différent.

Le ciel était bleu, parfois. Les maisons n'étaient plus juste blanches, les toits n'étaient plus juste noirs, les arbres juste gris ; il avait remarqué qu'au soleil, les yeux de Lyon se paraient d'éclats bruns, les cheveux de Cana étaient un peu moins noirs, un peu plus chocolat. Même Lisanna paraissait moins terne, heureuse d'être entourée de ses proches ; Grey souriait à chaque fois qu'il voyait son visage se teinter d'un bonheur rosé, que ses lèvres couleur pêche s'étiraient.

Leurs regards se rencontraient, parfois, et il se souvenait de ce qui le poussait à rêver.

Un matin, Lisanna était venue attendre sur le banc à côté de lui. Il avait fumé sa cigarette sans rien dire et l'avait écouté raconter l'histoire du livre qu'elle lisait ; c'était un vrai livre en papier, un de ceux qu'on ne trouvait que trop rarement aujourd'hui. L'histoire n'était pas du genre de celles qui le captivaient, d'ailleurs, mais il l'avait écoutée avec plaisir, avait admiré ses grands yeux bleus et plus vivants que jamais, la couleur de neige si délicate de ses cheveux, la joie dans son sourire, le calme plat et apaisant de son regard. Lisanna était quelqu'un de bien et d'aussi loin qu'il puisse se souvenir, elle l'avait toujours intéressé, de par sa nature simple et avenante, sa gentillesse, ses grands yeux bleus et ses sourires brillants.

Ce matin là, elle était là, encore ; Grey avait fumé une première cigarette et attendait, son manteau ouvert laissant loisir à une brise fraîche de le revigorer. La neige était comme moins présente lorsqu'ils se rapprochaient de l'autre côté de la rue, et il était pratiquement certain qu'il faisait meilleur ici qu'ailleurs.

Ce matin, Lisanna lui avait parlé d'un de ses livres, encore, et Grey l'avait écouté en souriant ; et puis ce matin, d'un seul coup, il lui avait dit doucement :

« Tu sais, il y a quelqu'un que j'aimerais bien te présenter. C'est... Il est un peu comme toi. »

Lisanna avait souri – un sourire amusé et curieux à la fois, un de ceux auquel on ne résistait pas.

« Comment ça ?

— Bah... Je sais pas, il... Il fait sourire les gens, je suppose. Un peu comme toi. C'est quelqu'un de simple, plutôt direct. Du genre naturel, tu vois ? »

Elle avait acquiescé ; lorsque ses lèvres ne le faisaient pas – et elles le faisaient pratiquement tout le temps – c'était ses yeux qui souriaient à sa place. Ils brillaient à ce moment là, et il sût qu'elle avait toute son attention parce que son regard lui suppliait en silence de continuer.

« Il me fait me sentir bien et loin de tout, comme toi. Et je crois même qu'il aime les animaux aussi, ajouta-t-il avec un clin d'œil qui déroba un éclat de rire à la jeune fille.

— Tu l'aimes beaucoup. »

Grey se figea tandis que le sourire de Lisanna s'accentuait davantage ; ça n'était pas une question, plutôt une constatation. Pas franchement fine ou subtile ; juste une simple constatation. Franche, honnête, directe, naturelle ; comme elle, comme Natsu.

« Ouais, il est un peu comme ça, lui aussi... »

Et le pire, c'est qu'il savait qu'elle avait raison.


x


Natsu se retourna à peine lorsqu'il entendit Meldy arriver ; il regardait encore le soleil se coucher, tout en jetant de temps à autre un coup d'œil en direction de enfants qui jouaient en contre-bas. Les autres préparaient le repas ; le soir, tous avaient l'habitude de manger ensemble, chacun apportant ce qu'il pouvait. Natsu sentit son estomac grogner rien qu'à l'idée des fruits confis que préparait Wendy...

Meldy prit place à ses côtés et se laissa à admirer le paysage à son tour, un vague sourire aux lèvres. Natsu fronça des sourcils à la vue de la robe et du décolleté qu'elle portait ce soir-là et s'étonna de la voir aussi bien coiffée, elle qui ne passait généralement pas beaucoup de temps à s'occuper de ses longs cheveux.

« J'espère que c'est pas pour Sting, tout ça, déclara-t-il en désignant sa tenue du menton.

— C'est pour qui je veux, répliqua sa cadette en accompagnant ses mots d'un coup de coude. Et puis, je te rappelle que tes fréquentations sont bien plus discutables que les miennes.

— Eh ! s'indigna le jeune homme. Happy est pas si bruyant que ça...

— Tu sais très bien de quoi je parle, Natsu... »

Il abdiqua dans une moue défaitiste et reporta son regard vers le ciel. Il savait que les autres en parlaient aussi ; seulement, il avait préféré ne pas en parler avec eux, conscients qu'ils avaient de quoi se méfier. Il espérait simplement qu'un jour, ils puissent rencontrer Grey et comprendre qu'il n'y avait rien à craindre.

« C'est quelqu'un de bien et je lui fais confiance, déclara le jeune homme avec un calme étonnant. Et je sais qu'il me fait confiance aussi. Il t'apprécierait, je pense, ajouta-t-il avec un sourire songeur. Toi aussi.

— Je n'en doute pas. », répondit simplement sa petite sœur.

Elle lui sourit lorsqu'il se tourna vers elle avec surprise ; il savait qu'elle pensait ce qu'elle disait.

« Enfin bref, tu viens ? C'est Erza qui raconte l'histoire, cette fois.

— Du moment qu'elle a besoin de personne pour faire le mort, je veux bien m'approcher... »

Meldy pouffa et ils descendirent tous les deux ; tout le monde était déjà dehors et ils firent partie des derniers à prendre place autour de la gigantesque table qui avait été montée pour l'occasion. Au bout de celle-ci se tenait Erza, son regard flamboyant et sa chevelure de feu lui apportant une apparence majestueuse. Erza était respectée par tous, de par ce qu'elle avait enduré avant d'arriver ici et par l'autorité dont elle faisait preuve. Chaque opération menée de l'autre côté était planifiée et dirigée par elle et elle seule et chacun lui faisait confiance pour ça ; ils n'échouaient pratiquement jamais, et lorsque ça arrivait, c'était tout à fait indépendamment de sa volonté.

Bientôt, même les plus jeunes enfants se turent, conscients que l'histoire allait commencer. Même les adultes se tenaient attentifs sur leur chaise, toujours captivés par cette histoire que chacun connaissait pourtant par cœur ; le fait que ce soit Erza qui la raconte y était également pour quelque chose. Après Levy, c'était probablement celle qui la racontait le mieux.

« Tout avait commencé dans une paisible ville comme celle-ci, où chacun cohabitait avec son voisin quelles que soient leurs différences.
Il y avait toutes sortes de gens ; des gens comme vous, comme moi. D'autres avec des yeux et des cheveux noirs – mais ça n'avait pas d'importance, à l'époque. Chacun vivait une vie calme et paisible, les problèmes quels qu'ils soient paraissaient bien loin et la ville menait une existence prospère. »

Natsu jeta un coup d'œil aux visages rassemblés autour de la table ; ils étaient tous captivés et à l'écoute, sans exception. Une fois qu'elle fut certaine qu'elle avait l'attention de chacun, Erza reprit de sa voix forte :

« Un jour, alors que rien ne semblait pouvoir arriver à cette ville, certains habitants tombèrent gravement malades. Il y en avait beaucoup, et bientôt, ils durent demander de l'aide aux autres villes pour obtenir de l'aide ; ils ne pouvaient pas s'occuper de tous les malades. D'autres commencèrent à les aider, mais alors que le nombre de malades continuait de croître, la maladie s'étendit à l'échelle du continent. Il y eu beaucoup de morts, et ceux qui guérissaient étaient de plus en plus rares.
Or, certaines personnes semblaient insensibles au virus. Tandis que les personnes malades avaient commencé à changer jusqu'à ce que toute trace de couleur autre que le blanc et le noir ne disparaisse de leur corps, celles qui se portaient bien se voyaient au contraire porteuses de couleur qui à l'époque n'étaient pas naturelles. »

Erza posa un regard calme sur la petite fille la plus proche de sa chaise ; cette dernière se ratatina le plus possible, jusqu'à ce que les yeux de la rousse ne dérivent vers quelqu'un d'autre. Le silence ne dura que quelques secondes ; tous buvaient ses paroles, certains avec avidité, d'autres avec une morosité que Natsu rencontrait de plus en plus souvent.

« Par sécurité pour les personnes qui n'étaient pas encore contaminés, on les rassembla à l'écart des autres pour ne pas qu'elles tombent malade. Cette situation dura plusieurs années, et beaucoup de familles furent déchirées par cette situation qu'on leur imposait. Des gens qui s'aimaient furent incapables de se retrouver à cause de l'interdiction d'interagir avec ceux de l'autre groupe ; ils étaient séparés par une grande rue qui longeait un canal. Beaucoup de gens étaient tristes, mais bientôt, les malades commencèrent à guérir.

— Comment est-ce qu'ils ont réussi à guérir ? »

Natsu – et une bonne partie de l'audience – se raidirent tandis que le petit garçon qui avait pris la parole saisissait la gravité de ce qu'il venait de faire. Pourtant, Erza se contenta de lui intimer le silence d'un regard calme et reprit :

« Les docteurs ne comprenaient pas ce qu'il se passait. Les malades sortaient de plus en plus nombreux des hôpitaux, totalement guéris, pour rentrer chez eux ; comme il y avait eu beaucoup plus de gens malades que de personnes immunisées, la ville comportait à présent plus de gens qui n'avaient plus de couleurs différentes que d'autres. Les maisons furent de nouveau habitées et bientôt, la vie reprit son cours comme si rien ne s'était passé.

Seulement, tandis que les habitants revenaient dans leurs maisons de l'autre côté du canal, d'autres retombèrent malades, plus gravement cette fois. On chercha longtemps à comprendre pourquoi, jusqu'à ce qu'une seule évidence ne fasse surface pour expliquer ce qui était entrain de se passer... »

Erza baissa les yeux, comme beaucoup des plus âgés ; ceux qui comprenaient. Ceux qui connaissaient la fin de l'histoire parce que c'était devenu le début de la leur, ceux qui comprenaient parce qu'ils n'avaient jamais rien connu d'autres que cette histoire là, ce chapitre à l'issue indéterminée, ce passage dans lequel ils stagnaient.

« Ceux qui portaient des couleurs et ceux qui n'en avaient plus n'étaient plus capables de vivre ensemble. Les gens comme nous furent garder à l'écart, au cas où les autres auraient besoin de nous... Et on nous a coupé du monde pour protéger les autres. »

Natsu sentit le regard de Meldy posé sur lui ; lorsqu'il leva les yeux, ceux de Gajeel et des autres l'étudiaient à leur tour, plein d'un jugement et d'une méfiance qui lui donnaient envie de vomir tout en le laissant complètement impuissant.

Il comprenait leur peurs. Il comprenait la colère de Gajeel, la méfiance naturelle des autres ; mais dans sa main, la chaleur familière du briquet que lui avait donné Grey lui laissait avoir de l'espoir.

Erza resta immobile lorsque le jeune homme se leva, sans prêter attention à sa réaction ou à celles des autre. Il attendit simplement que chacun ne pose les yeux sur lui, lui que certains voyaient comme un paria, lui sur qui chacun comptait pour continuer à leur offrir un espoir de prospérité au cœur d'un monde qui les persécutait.

« On est pas obligés d'en finir là. Ça commence à changer, déclara-t-il posément, conscient qu'il prenait le risque d'attiser la colère de beaucoup parmi eux.

— J'y étais ! protesta Gajeel en brandissant son bras encore couvert de bandages. J'y étais tête de nœuds, et je peux t'assurer qu'ils en ont rien à foutre de ce qu'on-

— Mais ils sont pas tous comme ça, protesta le jeune homme, le reflet des flammes éclairant la tablée brûlant dans son regard. Ils sont pas tous comme ça et tu le sais, parce que c'est quelqu'un de là-bas qui nous a donné la chance de te sortir de là !

— J'ai parlé à quelqu'un, là-bas, commença Rogue en se levant à son tour. Elle n'était pas d'accord avec ce qu'on faisait à Gajeel. Elle pensait que ça ne devrait pas arriver.

— Grey m'a parlé de ses amis, et certains ont de la couleur aussi ! Peut-être pas autant que nous, mais au fond, qu'est-ce que ça change ? On vaut pas mieux qu'eux si on commence à se juger à cause de la couleur de nos yeux, ou, je sais pas, de nos cheveux, de notre peau ! Est-ce que vous faites confiance à Rogue uniquement parce qu'il a de la couleur dans les yeux ? À Erza à cause de ses cheveux ? »

Cette dernière acquiesça en silence, convaincue ; un murmure parcouru l'assemblée, composée d'une myriade de couleurs qui faisaient leur différence si unique. Natsu observa chacun d'entre eux, nota chacune de leur différences ; chacun fit de même, et bientôt, tous se dévisagèrent comme si c'était la première fois qu'ils se voyaient. Comme si c'était quelque chose de tout à fait autre que leurs différences dans un monde monochrome qui les avait rapprochés.

« Il y en a forcément qui pensent comme nous, là-bas, continua le garçon au briquet d'une voix forte. D'autres qui pensent comme Grey, comme moi, comme nous ! Tout ce qu'on doit faire, c'est leur donner l'occasion de s'en rendre compte. Leur prouver qu'on est capables de trouver une solution pour vivre ensemble. »

Gajeel ne l'avait pas lâché du regard ; Natsu garda le silence un long moment, conscient que ses mots et leur sens faisaient lentement leur chemin jusque dans l'esprit de l'ex-prisonnier.

« Je pardonnerai jamais aux mecs qui t'ont fait ça, Gajeel. Mais ça veut pas dire que je donnerai pas une chance aux autres. »

Personne n'avait osé prendre la parole après ça.

Alors seulement, Gajeel se contenta d'acquiescer en grommelant quelque chose pour lui-même, et ça suffit pour que les enfants retrouvent le sourire.

Tous se rappelleront de ce soir où Natsu leur avait montré une suite possible pendant très longtemps.

Lui le premier.


x


Bourdonnements.

Ça faisait quelques jours que ça lui prenait parfois, sans que ça ne l'interpelle assez pour qu'il s'en inquiète. Ul était là, il faisait encore jour et elle leur parlait à tous les trois – Lyon, Ultear et lui.

Elle parlait mais il n'écoutait pas vraiment ce qu'elle disait ; il y avait des reflets bleutés dans son regard qu'il n'avait jamais remarqué, et le diamant qu'elle portait au bout d'une chaîne en argent réfléchissait la lumière dans une myriade de couleurs.

Et c'était tellement beau.

Lyon et Ultear affichaient un air grave, un peu comme d'habitude depuis quelques temps. Grey se sentait détaché de tout ça, trop léger, trop loin ; il s'imaginait dehors, dans le froid, là où la neige n'était plus, en face de l'autre côté de la rue où les ruines semblaient reprendre vie sous son regard. Il y voyait des gens comme lui, des gens comme Natsu, les animaux des histoires de Lisanna, quelqu'un qui ressemblait à la mère de Cana ; rien que des chimères plus colorées que tout ce qui se trouvait dans son monde à lui.

Ul vint attraper son visage entre ses mains pour le regarder dans les yeux ; alors il reprit pied avec la réalité et se concentra, les sourcils froncés face à l'inquiétude qui durcissait les traits de sa mère adoptive.

« Grey, si il y a quoi que ce soit qui a changé depuis l'explosion de la Tour, il faut me le dire, d'accord ? Tu comprends ? »

Il fit oui de la tête. Ul parut soulagée et dégagea tendrement les mèches qui recouvraient son front ; ça lui faisait toujours bizarre mais au fond, il savait qu'il en avait toujours un peu besoin.

« Tu me le promets, Grey ? »

Bourdonnements.

Grey cligna des yeux ; aussitôt, l'impression de vertige sous ses pieds disparut et il acquiesça de nouveau. Une fois, pour ses yeux ; et puis une autre, parce qu'elle avait besoin de l'entendre.

« C'est promis. »

Le monde avait déjà commencé à changer pour lui.


FIN DU CHAPITRE

Je tiens à préciser que j'ai tapé pas loin de 7000 mots en une après-midi hier pour vous livrer ça, les idées sont toutes fraîches dans ma tête, je sais pas encore à quel point ce sera sadique mais ce sera cool. Promis. :3

Merci pour votre lecture, j'attends vos impressions hihi !

(et je réitère ma promesse d'un an. D'ailleurs je vous autorise à venir me gronder en PM/review de temps en temps, ça me motivera peut-être xD)

A bientôt !