Écrire pour survivre.

Cela faisait un mois. Seulement un mois. Déjà un mois?
Il ne savait plus que penser.

Les premiers jours, il avait espéré. Qu'il se passe quelque chose, n'importe quoi, mais qu'on le sorte de là. Oh, ça aurait pu être pire, bien sûr, il avait tout ce qu'il fallait pour qu'il puisse vivre presque confortablement. Mais depuis un mois, il n'avait plus entendu une voix autre que la sienne, n'avait plus vu un visage autre que celui que lui offrait le miroir de cette maison. Sa maison, maintenant, jusqu'à la fin.

Peu importe la façon dont celle ci viendrait, elle le libérerait de ces murs qu'il avait toujours haïs, aujourd'hui plus que jamais.

Depuis quelques jours, il tournait en rond, comme un lion en cage. Il ne savait plus que faire pour s'occuper, aussi bien l'esprit que les mains. Pour ne pas perdre la notion du temps, il avait créé un calendrier avec de grandes feuilles jaunies trouvées dans un placard. Sur ces feuilles, les colonnes contenant les jours, les mois, et bientôt les années, étaient décorées de dessins, de mots, de phrases qui lui passaient par la tête, le tout formant une fine broderie complexe. Mais actuellement, il ne voulait pas continuer ce fin travail sur lequel il s'était penché durant ses nuits d'insomnies.
Alors il s'était levé, et tournait en rond, jetant parfois un regard par la petite fenêtre barrée, caressant parfois des doigts l'un des murs vides de la pièce.

Il finit par en sortir, se retrouvant dans une pièce plus petite, plus sombre, aussi, la lumière ne filtrant que par les quelques fines fissures des lattes de bois. Cette pièce le terrifiait autant qu'elle l'attirait. Les plaques de bois formant les murs étaient couverts d'écriture, a certains endroits, elle était fine, lisse, harmonieuse, écrite avec l'un des crayons que contenait une boite en carton a l'entrée, puis elle devenait plus maladroite, moins claire, puis les lettres tracées ne formaient plus de mots, plus de phrases, le tout devenait un pèle mêle de lettres, de chiffres, de gribouillis, n'ayant un sens que pour l'esprit sûrement dérangé de celui qui l'avait créé. Et cela le terrifiait. Car sur ces murs était tracé le chemin par lequel une personne était passée, et par lequel il passerait lui même, certainement.

Alors lorsqu'il venait ici, il se raccrochait aux écrits les plus clairs, les plus purs, ceux qui étaient nés avant que l'écrivain ne perde peu a peu la raison, et lui aussi, peu a peu, ajoutait des vers aux poèmes inachevés, des traits aux dessins imparfaits, et, lentement, plus il avançait le long du mur, plus il se rapprochait de la limite de ce qu'il pouvait appréhender. Car lorsque les traits devenaient brouillons et que la délicatesse devenait brusquerie, l'œuvre tracée était si chaotique qu'aucun être sain d'esprit ne pourrait l'observer, l'analyser dans son entièreté. Mais aujourd'hui, il n'avait pas le cœur a continuer de suivre les traces de l'homme, alors il observa le reste de la pièce, ses yeux s'habituant a la quasi obscurité pour glisser sur les imperfections du plafond, du sol, qui semblait affaissé, usé par endroits, et il pouvait sans peine imaginer l'homme qui s'était tenu là, a genoux sur le sol, devant le mur noirci pendant des heures.

Sur le sol auparavant couvert de poussière, qu'il avait rapidement balayé, ses yeux s'arrêtèrent sur de fins traits formant un rectangle dans le parquet, et il s'approcha pour se mettre a genoux devant cette partie du sol. Il fit glisser ses doigts le long des rayures, et finalement, tira doucement mais avec force sur les grossières lattes de bois. Il les écarta et toussa plusieurs fois devant le nuage de poussière qui s'éleva.

Lorsque sa respiration redevint normale, il se pencha sur le trou et en extirpa un lourd morceau de tissus, il le posa a ses cotés et passa sa main sur le fond du creux pour vérifier qu'il n'y restait rien avant de reposer rapidement les morceaux de bois dessus puis il reprit le sac de tissus et rejoignit la première pièce.

Il lui fallut a nouveau quelques secondes pour s'habituer a la lumière projetée par l'ampoule pendant au plafond puis s'assit au sol, posant sa trouvaille devant lui.

Il passa sa main sur le tissus salit pour le débarrasser du plus gros de la poussière et ouvrit le nœud qui le retenait. Des livres. Deux livres épais se trouvaient là.

Il prit le premier, passa sa main sur la couverture, mais rien ne se détachait sur la protection marron, ni titre, ni nom d'auteur, ni illustration. Alors il le posa sur sa jambe et prit le second volume, il réitéra l'expérience, mais c'était a nouveau une couverture unie qu'il observait. Enfin, il l'ouvrit, la première page était couverte d'écriture manuscrite, il le feuilleta, mais il en était de même pour tout l'ouvrage, les pages étaient couvertes d'une écriture soignée, différente pourtant de celle qui maculait les murs de la petite salle. Il reprit le premier et le feuilleta. Même chose. Une fine écriture recouvrait la quasi totalité des pages, les dernières étaient cependant laissées blanches.

Kyo tourna les yeux vers la fenêtre. Le soleil se levait lentement, alors il se leva, prit les deux livres avec lui et alla éteindre l'ampoule avant de s'asseoir sous la fenêtre pour profiter des premiers rayons du soleil.

Il ouvrit le premier livre, celui qui n'avait pas un espace laissé vide, et commença a lire.

Cela fait une semaine que je suis entré ici, et, déjà, je sens la lassitude me prendre et le sommeil me fuir. Déjà, le soleil sur ma peau me manque, et mes muscles s'engourdissent. Alors, chaque jour, je marche. Je longe les murs de cette cage, la traverse, me concentrant sur mes pas pour ne pas me rendre compte que je tourne en rond. J'ai trouvé ce livre vierge sur la petite table de cette maison le premier jour. Je l'ai longtemps observé, mais je ne le touche qu'aujourd'hui. J'aurai voulu attendre plus longtemps. Je ne pensai pas être si faible, avoir tant besoin de m'occuper pour éviter de sombrer.
Il n'y a que deux livres. Que quelques centaines de pages. Pas suffisamment pour m'occuper jusqu'à la Fin. Alors je prends mon temps, me concentre pour écrire du mieux que je peux. Pour prendre le moins de place possible.
Le soleil décline déjà. J'ai allumé l'une des bougies, la lumière n'est peut être pas très forte, mais elle me permet au moins de continuer à écrire. A écrire pour ne rien dire, peut être. Mais c'est tout ce qu'il me reste a faire. Cela ne fait qu'une semaine... Je ne peux que trembler en pensant a l'état dans lequel je serai dans un mois, dans un an, dans dix ans même ? Mais je sais que je ne vivrai sûrement pas jusque là. Je n'y arriverai pas. Mais que se passerait il si je sombrais finalement dans la folie, si mon esprit devenait si perdu que je ne saurai même plus ce que je fais là, ce qu'il y a au dehors de ces murs de bois ?
Mieux vaut ne pas y penser.

La première partie de ce texte semblait s'arrêter là, les lignes suivantes n'étaient pas écrites de la même façon, elles étaient plus claires, plus élégantes. Alors Kyo referma le livre, bascula la tête en arrière et pensa a ce qu'il venait de lire en savourant la chaleur du soleil sur son visage. Il n'était pas dur de comprendre qui avait écrit ce texte. C'était l'un de ses ancêtres, l'un de ceux qui avaient vécu dans la « Maison du Chat ». Et ce texte était un journal intime. Un objet auquel l'homme s'était raccroché de toutes ses forces jusqu'à la fin.

Kyo soupira et se releva. Il posa le livre sur la petite table et rejoignit le coin qui servait de cuisine. Il fallait qu'il se nourrisse...


Fin de ce premier chapitre...
Alors, verdict ? Est ce que je continue ?
Si oui, sachez que cette histoire n'est pas terminée, et que je ne pense pas respecter un rythme de publication, les chapitres arriveront lorsqu'ils naîtront. Lorsque vous le voudrez, j'espère.
Alors j'attends avec impatience votre avis sur cette petite histoire~